L'inné et l'acquis de Nicolas Sarkozy
Libres réflexions à propos des déclarations sur l’inné et l’acquis de Nicolas Sarkozy,
candidat à la présidence de la République Française.
Les déclarations :
« J’inclinerais, pour ma part, à penser que l’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a mille deux cents à mille trois cents jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que les parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent le cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense ». Dialogue avec le philosophe Michel Onfray dans Philosophie Magazine de mars 2007.
« Qui peut me dire que c’est normal d’avoir envie de violer un petit garçon de trois ans ? Quelle est la part de l’inné, quelle est la part de l’acquis ?.… Il y a des gens qui fument deux paquets de cigarettes et qui n’auront jamais de cancer et puis il y a des malheureux qui ne fument jamais et qui auront le cancer, pourquoi ? Parce que leur identité… il y a un terrain qui est plus propice et plus fragile ». Interview sur France 2 de début avril 2007.
« Je suis né hétérosexuel. Je ne me suis jamais posé la question du choix de ma sexualité. C’est pour cela que la position de l’Église consistant à dire que l’homosexualité est un péché est choquante. On ne choisit pas son identité… On a l'identité qu’on a. De la même façon qu’il y des gens qui ont tendance à grossir et d’autres pas, des chauves et des chevelus, des petits et des grands. Nous sommes 6 millions de migraineux. C’est totalement héréditaire. Ma mère est migraineuse, mes fils sont migraineux ». Entretien à Libération du 12 avril 2007.
Quelques réactions :
« La vision d’un gène commandant un comportement complexe tel que ceux conduisant à l’agressivité, à la violence, à la délinquance, à la dépression profonde avec dérive suicidaire, est ridicule et fausse… Cette conviction réaffirmée par le candidat de l’UMP à l’Elysée confirme ses liens idéologiques avec la nouvelle droite ». Axel Kahn, généticien.
« Grave est l’idée que l’on ne peut pas changer le cours de l’existence ». Monseigneur André VingtTrois, archevêque de Paris.
« Il y a des choses chez Nicolas Sarkozy qui me semblent aujourd’hui, et je le dis avec tristesse, proprement irrecevables, proprement inacceptables… Pour moi, il a franchi la ligne jaune dont j’ai consacré ma vie à dire qu’elle devait être tracée et respectée… Nous dire qu’il y a une prédisposition à la pédophilie, une prédisposition au suicide, que la génétique décide, ça n’est pas supportable… Dans d’autres cas, on se disait, c’est de la tactique, c’est du machiavélisme, il est en train d’aller pêcher les voix de Le Pen. Là, non, c’est quelque chose qu’apparemment il pense et je crois qu’une ligne jaune a été franchie ». Bernard-Henri Lévy, philosophe.
«Quelque chose d’extrêmement grave qui rappelle des choses qu’on a entendu à d’autres époques». Marie Georges Buffet, candidate du PCF.
« Signe d’un programme profondément réactionnaire et antihumaniste ».
Najat Belkacem, porte parole de Ségolène Royal.
« Interprétation idéologique digne de la scientologie » Jean-Marc Ayrault, député socialiste.
Le commentaire :
La déclaration de Nicolas Sarkozy ne peut être jugée comme un simple dérapage, pas plus que comme un argument de campagne : elle s’inscrit dans une conviction et dans la continuité d’une politique dont il est facile de suivre la logique dans le temps et dans les déclarations.
Ce « fil » conducteur est celui de l’eugénisme et du « fichage ».
Il dépasse, malheureusement, la seule personnalité de Sarkozy : il imprime tout un courant politique de la nouvelle droite.
Le projet de loi sur la délinquance et du dépistage précoce des troubles decomportement chez l’enfant sous-entend l’idée d’éléments constitutifs irréversibles dès le plus jeune âge de la personne : on naît, en quelque sorte, futur délinquant. Tout étant joué, l’action de l’homme politique ne peut consister qu’à établir un système pour empêcher de nuire ces futurs fauteurs de troubles. Les questions de pédagogie et l’éducation n’ont plus lieu d’être.
Le fichage des personnes ayant été l’objet de placements en psychiatrie s’inscrit dans un même processus de prédestination et d’inéluctable récidive. Il confond, de plus, trouble psychique et délinquance. Toute décompensation psychique ne peut être que le signe d’un risque inéluctable de répétition et donc de dangerosité individuelle en puissance. Quelle répercussion cette condamnation peut-elle avoir sur la personne ainsi désignée ? C’est la même logique que l’on retrouve dans la préconisation des fichages ADN, aujourd’hui pour les délinquants sexuels… demain pour les suicidaires ? A quand le code barre génétique gravé sur l’avant-bras ?
Le projet de statut de « psychothérapeute » s’inscrit dans une logique complémentaire. Reprenant l’évaluation de l’INSERM préconisant les thérapies comportementalistes et cognitivistes, seules efficaces à leurs yeux, il prévoit une formation universitaire des psychothérapeutes privilégiant ces approches par rapport à celles basées sur la psychanalyse et autres approches « humanistes ». On ne peut, en effet, qu’améliorer par conditionnement celui qui est victime de ses gènes. La psychanalyse ne peut être vécue que comme une science dangereuse puisqu’elle pose la question de la liberté de la personne à travers ses conditionnements posés comme l’interaction de facteurs multiples agencés organiquement les uns aux autres, individuels, collectifs et biologiques.
Enfin, la notion d’identité nationale reprend une autre dimension puisque dans sa déclaration sur France 2 ainsi que dans l’entretien à Libération, il associe directement « gènes » et «identité» : demain l’identité française sera-t-elle lisible dans les gènes ?
Il appuie cette notion d’identité mêlée à l’hérédité sur une base prétendument scientifique car biologique, mêlant aussi bien la calvitie, que la taille ou la migraine à des choses d’un autre domaine que sont la sexualité ou la dépression. D’une part, il utilise la science d’une façon totalement abusive et erronée : ce qui est vérifiable physiologiquement est d’emblée annoncé comme forcément vrai. Il oublie par là aussi bien les notions de cause et d’effet (est-ce la poule qui fait l’oeuf ou l’œuf qui fait la poule) que celle des interactions entre l’observateur, son protocole d’observation et l’objet observé. Ces choses là sont des évidences reconnues actuellement aussi bien par les scientifiques que par les épistémologues. D’autre part, il oublie que tout être humain est d’emblée le résultat d’une rencontre de deux patrimoines génétiques qui, d’emblée, interagissent : la génétique est pensée comme clonage. C’est l’exemple étonnant qu’il donne : sa mère, lui et ses enfants liés dans une file clonée d’où tout tiers ou tout hasard est exclu. Lapsychanalyse aurait effectivement des choses à dire là qui pourraient, on le voit bien, être gênantes pour la construction tranquille et rassurante que veut établir Sarkozy.
Tout cela à un relent délétère d’eugénisme et de police.
Cet eugénisme, comme toujours, s’appuie sur des démonstrations biologiques : c’est ce qui a amené, ne l’oublions pas, à tous les asservissements et toutes les exterminations ethniques, de même que tous les rejets des « handicaps ». Par ailleurs, si tout est joué à quoi bon s’encombrer des notions désuètes de liberté, de justice et de droit ? Le responsable politique n’a plus à se soucier des « Droits de l’homme » puisque s’ils sont déclarés libres et égaux devant la loi ils sont en même temps déclarés non égaux devant la nature : la justice est remplacée par un savant rééquilibrage où l’on essaiera seulement de « corriger » au sens propre du terme : « corriger » des infirmités par des prothèses généreusement octroyées par le politique (sous forme d’allocation par exemple) ou, alternative qu’il ne faut jamais oublier, «corriger» au sens répressif, si ces « inégalités naturelles » entraînent un danger pour l’ordre social.
Tout est prêt, désormais, pour une organisation politique qui administre, sélectionne et classe. Tout est prêt pour un pouvoir policier qui scrute et enquête. La fonction de tout éducateur et de tout soignant est désormais réduite non seulement à celle de dresseur et de réparateur, mais aussi de dépisteur pour livrer tout individu potentiellement dangereux. Cette tâche, si l’on n’y prend garde, sera également dévolue à tout citoyen désormais chargé de « dénoncer » tout individu ou tout comportement individuel suspects. C’est l’avènement d’une société de surveillance où chacun peut être suspect aux yeux de chacun, structure que Annah Harendt a nommée en « pelure d’oignon » (chaque couche couvre une autre couche mais est aussi couverte par une autre), qui, pour elle, est signe des sociétés totalitaires. C’est l’avènement du citoyen transparent, réduit à son code génétique et à sa carte vitale, pistable à tout instant grâce à sa carte bancaire ou à son numéro de portable.
Joseph Mornet
Saint-Martin-de-Vignogoul