Nouvelle clinique psy. Dis-moi la conception de l'inconscient que tu as, je te dirai qui tu es !

Jacques Louys
Retour au sommaire - BIPP n° 48 - Juin 2007

La conception neurologique de l’inconscient sert de base aux partisans de la théorie de l’émergence et des niveaux constitutifs du psychisme. Le développement de niveaux hiérarchiques de complexité neurologique finit par permettre à une conscience de surgir, on ne sait comment. La personne va pouvoir rétro-agir consciemment sur les niveaux inférieurs du psychisme. Il s’agit de changer les routines inconscientes et le mauvais conditionnement des réflexes qui rend malade dans une situation donnée. La thérapeutique qui s’ensuit est fondamentalement rééducative puisque c’est le handicap obtenu qui fait souffrir en fonction de la situation de vie. Sinon, on donne une compensation sociale sous forme d’une pension et d’aides diverses au “désavantage social” ainsi constitué pour le gommer. Et pour finir, un contrôle institutionnel vient limiter les conséquences des échecs rééducatifs.

En psychanalyse, certains sont très proches de cette vision des choses au point que leur approche « psychodynamique » est fondamentalement une pensée par niveaux de développement, souvent assimilée à une conception psychanalytique. L’inconscient est alors pensé comme une inscription qu’il faudrait décoder, ou comme un logiciel qui serait à “translittérer” pour reprendre le mot de M. Jean Allouch. On a des hiéroglyphes quelque part et il faut arriver à les formaliser en écriture avec nos caractères à nous pour les comprendre ou dans la phonétique de nos paroles conscientes pour pouvoir en parler. Il y a un déchiffrement littéral à faire de l’écriture inconsciente depuis ses inscriptions archaïques et enfantines.

Le Dr Sigmund Freud parlait ainsi de rébus à trouver. Il s’était d’ailleurs appliqué à construire une métapsychologie avec des stades à partir de 1905.

Les neurologues s’intéressent plus au matériel concret qui permet les conditionnements et les psychodynamiciens plus au logiciel qui en est la substance interne, mais leur rencontre actuelle est logique et conforte la vision de la construction hiérarchique et développementale du psychisme.

Toutefois, court en parallèle dans la psychanalyse, une conception jamais abandonnée depuis le Dr Freud qui est celle du conflit intra-psychique et du symptôme comme levée d’un refoulement après un temps de fonctionnement défensif plus ou moins efficace. L’inconscient est abordé comme processus primaire face aux processus secondaire du préconscient-conscient. Déplacements et condensations d’éléments mnésiques en sont les concepts fonctionnels clés, plus tard reformalisés comme métaphores et métonymies par le Dr Jacques Lacan. Elle s’oppose complètement à la précédente, celle par niveaux hiérarchiques.

Un implicite de cette autre conception est que l’inconscient n’est pas tant une inscription refoulée ou incomprise par son archaïsme, qu’un problème fonctionnel. L’inconscient est la mémoire de ce qui permet les articulations des éléments psychiques qui est proprement l’inconscient, plus que les “signifiants” en eux-mêmes du psychisme qui sont toujours activés en temps “réel”, dans le temps réel de la vie virtuelle ou concrète et du processus secondaire. C’est la fonctionnalité articulatoire inconsciente qui permet le jeu d’accrochage et de décrochage des signifiants pris dans les pressions contraires des pulsions de vie et de mort. Cette conception fonctionnelle est plus proche de la conception biologique de l’homéostasie corporelle, à part que la contrainte en jeu n’est pas seulement la contrainte externe dont le corps aurait à se prémunir mais aussi la contrainte interne que la notion de pulsion indique. Il y a un raffinement progressif en biologie du maintien des équilibres lors de l’évolution et le psychisme humain serait ainsi la pointe la plus affinée du contrôle des équilibres. Mais ce ne serait pas seulement par l’effet d’une pression de sélection sous l’effet des désastres ou des avantages externes que cette homéostasie se serait affinée. Cette pression d’équilibres à maintenir serait aussi une pression intériorisée par le corps qui interviendrait pour son propre compte sous la forme de pulsions constantes antagonistes. Dans cette conception, la pulsion n’est pas l’instinct qui serait une énergie inférieure à contrôler et à diriger par des rétroactions suffisantes. C’est au contraire la clé fonctionnelle même des équilibres à maintenir en des jeux de contraires dans tous les types de relations humaines.

La différence avec les théories de l’émergence, c’est que cet affinage inconscient se fait toujours en perdant quelque chose. Les théoriciens de l’émergence ne veulent pas voir ce qui se perd quand une propriété nouvelle surgit. Pour eux, si le verre devient transparent, c’est une propriété nouvelle qui advient et jamais une perte d’opacité. Mais là, c’est ce qui se perd en cours de route à chaque situation adaptative qui va être en question pour comprendre comment naît un problème psychique jusqu’à l’effondrement final et ce qui peut surnager après.

En biologie végétale existe une conception dont on peut s’inspirer pour comprendre cela, qui est celle de formation et d’information.

“Formation” vient du latin forma, forme. Une forme, c’est une manière d’être extérieure, d’où le mot “formation”. Une formation, c’est quelque chose de complexe qui apparaît unifiée par un rapport de forme (Gestalt). Une formation en biologie végétale, c’est un ensemble de plantes qui présentent un rapport de forme résultant de leurs situations climatiques et édaphiques communes. Exemple : les plantes du maquis constituent une formation caractéristique, alors qu’elles sont pourtant de nature biologique très diverse. On comprendra alors que ce qui nous apparaît dans le “réel”, ce sont des formations. L’“information”, par contre, c’est ce qui échappe à cette mise en apparence en formation car c’est ce qui donne la forme, ce qui fournit l’information (dans l’exemple, la nature génétique des plantes) et non ce qui en résulte, la formation résultant des facteurs liés au sol (édaphiques) et climatiques, comme réunion des “accommodats”. C’est la notion d’accommodat qui permet de faire le lien entre la formation et l’information.

Le mot accommodat vient du latin accommodatio d’où le terme “accommodation” ; en biologie, quand un être vivant est déplacé de son milieu d’origine, il peut présenter des modifications d’aspect ou de fonctionnement qui ne sont pas héréditaires mais qui le sont par accommodation ; par exemple de nombreuses plantes de plaines ont une taille réduite si elles sont semées en montagne ; dans le maquis, elles présenteront d’autres modifications typiques de la formation qu’on y rencontre. Le nombre de ses accommodats traduit en conséquence la plasticité écologique d’une espèce. C’est une réduction des potentialités de l’espèce dans une situation concrète, donc une augmentation de la précarité pour cette espèce. Il y a pertes successives par adaptations successives.

Nous voyons qu’en biologie végétale, les facteurs liés au sol et au climat mettent en relief la souplesse du génétique. En même temps, la notion d’équilibre entre les espèces s’est imposée avec vigueur dans les considérations écologiques modernes. Une formation n’est possible que si ses composants recréent un équilibre possible entre eux de par leurs échanges. Déjà en situation de précarité, les espèces accommodées vont déterminer une formation dont on voit bien la fragilité conséquente. Si tout se passe bien, après un changement d’environnement, une nouvelle formation se crée et arrive à tenir ses équilibres. Sinon, la formation s’effondre d’un bloc et un déséquilibre majeur apparaît avec surgissement inconsidéré de quelques espèces et disparition d’autres. Il y a alors réduction exagérée de la réalité et de la variété vivante une fois dépassée la limite de l’accommodation. C’est ce qui fait craindre aux écologistes des effondrements soudains (et proches !) des bio-systèmes une fois ces limites atteintes alors que la conscience politique, si elle ne nie pas les problèmes écologiques, croit toujours que l’on pourra agir par des corrections successives. Les politiques sont, hélas, toujours englués eux aussi dans les conceptions des théories de l’émergence et de la foi consécutive dans les rétro-contrôles possibles.

Les catastrophes du psychisme

Pour le psychisme, on peut comprendre les situations de crise et de surgissement des symptômes chez quelqu’un comme un dépassement des limites de l’accommodation du champ psychique relationnel entre humains et un effondrement de la formation qui concerne l’individu. La réduction où se trouve plongé l’individu n’est pas alors une réduction par passage à un niveau inférieur dont il faudrait l’aider à sortir, c’est la réduction affreuse des composantes de sa formation de vie après une catastrophe.

Pour ceux qui se rattacheraient à ce dernier courant, la clinique toujours à construire face au rouleau compresseur des cliniques d’une certaine acception de la psychodynamique puis maintenant “pragmatiques anglosaxonnes”, est une clinique fonctionnelle qui parle des équilibres et des déséquilibres du psychisme, des crises symptomatiques d’effondrement et des éventuelles néo-formations résultantes, instables et limitées. Ce qui est repérable par là même, formalisable et transmissible scientifiquement dans ces catastrophes et leurs conséquences n’est donc pas toute la clinique puisqu’il s’agit de la constitution de néo-formations qui ne sont pas forcément “typiques”. Une part est typique et sert à établir une clinique raisonnée qui montre que ça ne s’écroule pas n’importe comment. Une autre part est à envisager comme atypique, ou instable et évolutive dans un bon ou un mauvais sens de façon singulière. Il est même possible que la fréquence des cas particuliers soit supérieure à la fréquence des tableaux cliniques bien individualisés. La description et l’étude de ceux-ci sont toutefois utiles pour aborder les situations concrètes de la clinique. Ils peuvent servir de point départ pour comprendre ensuite les différences singulières qui s’en écartent. Mais ces tableaux cliniques ne doivent pas aboutir à un gel de la séméiologie qui empêcherait de se confronter concrètement à la réalité évolutive de la maladie psychique. Pour une personne donnée, ces tableaux cliniques sont la plupart du temps provisoires en attendant que des dérives et des remaniements se produisent, pas toujours prévisibles et auxquels le clinicien doit savoir s’adapter avec souplesse.

Une clinique tellement réduite qu’elle se résume à des symptômes pathognomoniques ou à des collections statistiques de symptômes appariés : c’est ce que veulent absolument les tenants des classifications anglosaxonnes cherchant à mettre la psychiatrie dans le lit de l’Evidence Based Medicine. C’est une clinique si idéologique qu’elle met en danger l’éthique même du professionnel psy, qu’il soit médecin ou non. Au niveau de la prise en charge, cela se traduit par le calibrage du discours du patient à des normes au lieu de la recherche d’un nouveau discours qui aiderait patiemment la personne à retrouver un nouvel équilibre fonctionnel à sa mesure et à le stabiliser. C’est vraiment un problème éthique majeur.

Conclusion

La recherche clinique devient aujourd’hui un enjeu crucial dans le champ psy face aux comportements enragés des réducteurs de tête qui sont des utopistes croyant à une simplicité trompeuse de la “maladie mentale” et qui cherchent à imposer à tout le monde des référentiels dirigeant les pratiques avec contrôles à la clé. Fixer des protocoles statiques à des situations cliniques fondamentalement mouvantes est une sottise. Il est temps que ceux qui ont une pensée développée de physiologie réagissent et mènent la résistance suffisante pour maintenir un espace de liberté scientifique à la recherche clinique psy et à la pratique soignante qui doit rester absolument du “sur-mesure”. Sinon, nous serons obligés de continuer une recherche clinique quasi-clandestine en profitant pour le moment des facilités de communication que permet internet.

Jacques Louys
Haguenau


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