Position de l'AFPEP-SNPP sur les compétences psychothérapiques des médecins généralistes

Jean-Jacques Laboutière et Olivier Schmitt
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Paris, le 7 juin 2007

L’article 52 de la loi 2004-806 du 9 août 2004 réglementant l'usage du titre de psychothérapeute vise à clarifier l'offre de soins afin de mieux assurer la sécurité du public. Cette clarification repose sur la prise en compte de la formation des professionnels autorisés à se prévaloir du titre de psychothérapeute qui sont divisés en deux groupes :

- D'une part les professionnels que leur formation autorise de droit à se prévaloir du titre de psychothérapeute : ce sont les médecins, les psychologues et les psychanalystes.

- D’autre part les professionnels n'ayant aucune des formations citées ci-dessus et qui devront suivre une formation complémentaire en psychopathologie avant de pouvoir porter le titre de psychothérapeute. Le contenu de cette formation complémentaire sera précisé par un décret qui n'est pas encore paru.

En autorisant tous les médecins à se prévaloir du titre de psychothérapeute, le texte de cet article pose problème dans la mesure où il implique que le tronc commun des études médicales serait suffisant à assurer la compétence psychothérapique. Les syndicats de psychiatres ne peuvent se ranger à cette lecture du texte.

Afin de situer au mieux les enjeux de ce texte, piégé par l’ambiguïté des termes « psychothérapeute » et « psychothérapie », trois niveaux de compétence dans le champ médical doivent être clairement distingués en préalable à toute discussion :

- Tout d'abord la compétence relationnelle que tout médecin acquiert au cours du tronc commun des études médicales par sa formation théorique en psychologie médicale et l'encadrement dont il bénéficie lors des stages hospitaliers. Cette compétence relationnelle commune à tous les médecins, ou en tout cas que leur position professionnelle exige, ne peut en aucun cas être assimilée à une « compétence » psychothérapique.

- Ensuite les diverses techniques psychothérapiques, généralement enseignées par des instituts privés, qui s'ordonnent elles-mêmes à une diversité de théories dont les principaux courants sont la psychanalyse, les thérapies cognitivo-comportementales et les thérapies systémiques, cette liste étant loin d'être exhaustive. Cette compétence dans une seule technique psychothérapique est généralement revendiquée par les médecins non psychiatres qui souhaitent bénéficier du titre de psychothérapeute.

- Enfin la compétence psychothérapique du psychiatre qui a constamment été théorisée par les associations scientifiques représentatives de la profession comme une dimension consubstantielle de l'acte du psychiatre et non pas comme une technique détachable de cet acte. Cela se traduit dans la nomenclature des actes médicaux par l'unicité de la lettre clef CNPsy puisqu’un acte de psychothérapie distinct de cette lettre-clef serait sans fondement. Cette compétence repose avant tout sur l'expertise psychopathologique et clinique acquise lors de la spécialisation en psychiatrie ; elle est le plus souvent complétée par une formation à la psychothérapie hors de l’université durant les années de spécialisation, généralement sous la forme d’une formation à la psychanalyse.

Cette distinction entre différents niveaux de compétence regroupés sous le terme unique de « psychothérapeute » éclaire le problème posé par l’octroi de ce titre à tout médecin. Trois questions surgissent d'emblée :

1°/ Modification de la nature des demandes
Tout d'abord, s'il est évident qu'un médecin non psychiatre peut valablement se former à une technique psychothérapique comme tout autre professionnel non-médecin pourrait le faire, l'autonomie particulière du cadre médical et la place symbolique du médecin peuvent poser problème.

En effet, contrairement au psychothérapeute non médecin, le médecin psychothérapeute sera confronté à toute la palette des états psychopathologiques, comme c'est déjà le cas, mais avec cette différence que l'affichage du titre de psychothérapeute placera le patient dans une position de demande radicalement différente de ce qu'elle est actuellement puisque le patient s'attendra à ce que le médecin puisse aussi répondre en tant que psychothérapeute, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle sauf pour les psychiatres. Cette position est totalement différente de celle du psychothérapeute non-médecin dont la compétence se repère dans la stricte limite d’une technique psychothérapique particulière dont l’indication a généralement déjà été posée en amont.

C'est donc avant tout d'une expertise clinique et thérapeutique en psychiatrie dont le médecin psychothérapeute aura besoin afin de parfaitement repérer les troubles et poser les indications de psychothérapie. Mais quel niveau de formation « intermédiaire » entre le tronc commun des études médicales et la spécialisation peut-on imaginer ?

2°/ Hiérarchie des fonctions
De surcroît, depuis l'instauration du parcours de soins, si le médecin est un omnipraticien, il est aussi l'acteur déterminant de l'orientation du patient dans le système de soins. Le fait qu'il puisse éventuellement conduire lui-même la psychothérapie s'il est formé à une technique adéquate ne doit en aucun cas interférer avec ce premier impératif de dépistage et d'orientation, ce qui suppose une formation différente, et bien plus approfondie, de celle qui sera exigée des psychothérapeutes non médecins.

Indépendamment de la volonté du médecin, le patient pourra-t-il comprendre que son généraliste l’adresse à un psychiatre alors qu’il affiche le titre de psychothérapeute ? L’affichage du titre de psychothérapeute permettra-t-il de concilier durablement ces deux missions ou bien va-t-il obliger les généralistes à se cantonner dans l’une ou l’autre ?

3°/ Hétérogénéité des conceptions de la psychothérapie
Enfin, la spécificité de la psychothérapie pour les psychiatres – dimension consubstantielle de l’acte – pose question quant à la légitimité de ces derniers à se prononcer sur une compétence psychothérapique réduite à une technique qui n’est pas leur objet. L’objet de la psychiatrie est la psychopathologie et c’est uniquement à ce niveau que les psychiatres devraient s’impliquer pour discuter de la possibilité des médecins non-psychiatres de se prévaloir du titre de psychothérapeute, les différentes techniques psychothérapiques demeurant du ressort des instituts qui en assurent la formation.

En conclusion :
Entre les capacités d’accompagnement psychologique communes à tous les médecins et les compétences psychothérapiques acquises par la formation spécialisée en psychiatrie, l’octroi du titre de psychothérapeute aux médecins non-psychiatres pose un problème spécifique qui tient davantage à la modification de la demande de soins qu’à sa compétence psychothérapique.

Le médecin affichant le titre de psychothérapeute va inévitablement voir s’adresser à lui en premier recours une population de patients attendant d’être pris en charge par lui quelle que soit leur demande de soins. Il sera de fait dans la position du psychiatre. Toute la question est donc de savoir si l’on peut assumer cette position sans en avoir la formation.

On peut donc considérer que la Loi reconnaît la consubstantialité d’une nécessaire position d’accompagnement psychologique à la fonction médicale de tout médecin. Il est de la responsabilité de l’Université qu’ils en acquièrent les compétences minimales durant leurs études de médecine. Il est donc inutile, redondant et problématique pour les raisons citées plus haut, d’autoriser les médecins à afficher une quelconque compétence de « psychothérapeute ». Être médecin implique de facto une position où l’on doit assumer une certaine fonction psychothérapique et ne nécessite pas une mention particulière. Seule une compétence technique particulière peut être éventuellement mentionnée par eux telle que « Psychanalyste » ou « Thérapies cognitives et comportementales » s’ils sont affiliés à une école ad hoc, ou encore « Titulaire du DESS de psychologie clinique » s’ils en ont le diplôme.

En aucune manière il nous semble nécessaire de créer une entité professionnelle nouvelle — que l’on aurait les plus grandes difficultés à définir — entre le médecin et le psychiatre.

Dr Jean-Jacques Laboutière,
Président d’honneur de l’AFPEP – SNPP

Dr Olivier Schmitt,
Président de l’AFPEP – SNPP

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