Etude clinique

Patrice Charbit
Retour au sommaire - BIPP n° 48 - Juin 2007

Nous tenons à remercier tous les confrères qui ont participé à l’étude clinique menée par l’AFPEP, en faisant parvenir un témoignage de leur pratique.

Une première approche nous permet de souligner l’importance du concept de soin (au sens winicottien du terme) particulièrement dans les cas de psychose dont la fréquence revient de manière inattendue dans les différentes observations. Il est tangible que le travail auprès de ce type de problématique s’accompagne d’une solitude du psychiatre parfois extrême. Cette étude pourra être de surcroît l’occasion de partager des points de vue voire des préoccupations.

D’une façon plus générale, il paraît clair que les conditions techniques de la consultation psychiatrique sont prégnantes à définir une éthique de la consultation. Ses inflexions seront, à tout coup, reprises dans les conclusions définitives.

Nous pouvons préciser, à ce point de notre réflexion, que les interventions les plus riches de sens pour notre étude portent sur les observations les plus singulières et les plus remarquables dans leur originalité. Il s’agit de ne pas sous estimer la particularité de nos pratiques les plus journalières, nous sommes en effet coutumiers d’inventions au jour le jour dont il serait riche de témoigner, cependant, n’hésitez pas à nous envoyer, si le cœur vous en dit, « l’observation de votre vie de psychiatre » et ce, surtout si elle n’a pas été idéale.

En vous remerciant par avance de votre prochain envoi.

Pour le groupe d’étude : Anne Rosenberg, Claude Gernez, Patrice Charbit.

 

Point d'étape de l'étude clinique

La nosographie psychiatrique est dépendante du contexte socio-politique : c’est un enseignement de l’histoire et l’explication de l’exclusivité recherchée des DSM et autre CIM qui sont des instruments de gestionnaires, d’industriels et la source d’inspiration des protocoles actuels.

C’est l’illusion du protocole que de croire gérer les questions avant même d’y être confronté. Les seuls protocoles possibles sont ceux qui permettent aux questions de se poser, de prendre toute leur mesure, certainement pas ceux qui imposent que tout soit joué d’avance. Il n’y a pas d’intelligence artificielle du fantasme ou de la relation. Pourtant, rien de déraisonnable à imaginer que les planificateurs aient besoin d’indicateurs mais de là à se passer de diagnostic et de structure psychique, le moins que l’on puisse dire est qu’il y avait plus précis qu’une pure collection de symptômes. Toujours est-il que nous en sommes là, que les choses avancent à un rythme effréné et qu’il s’agit de marteler que la gestion n’est pas à confondre avec la thérapeutique, que, somme toute, elle n’est pas faite pour cela.

La santé est devenue une question de consommation qui ne repose elle-même que sur le temps du suspense et du court terme. Espérons qu’elle ne le soit pas toute et qu’il puisse persister des zones de paradoxes.

Pour notre part, nous sommes les héritiers d’une histoire, d’un patrimoine, dans un monde en mutation dont nous avons à prendre le pouls si nous ne voulons pas devenir obsolètes. Il s’agit de chercher à infléchir et de ne pas abandonner le terrain de la science.

Dans ce contexte, l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé s’est mise en tête, à travers une étude clinique, d’identifier au plus près la spécificité de l’acte psychiatrique contemporain. Nous avons à cet effet demandé aux psychiatres privés français de rédiger une observation qui leur semble paradigmatique de leur pratique et nous sommes en mesure de vous faire part de premiers commentaires.

Avant de tenter de cerner leur acte, il est stratégique de définir leur place. Les psychiatres sont en effet les seuls à assumer les confins de la médecine, de la médecine spécialisée, de la psychanalyse, du médico-social, de la philosophie et de la politique. Nous ne saurions trop insister sur ce point puisque c’est cette place qui se trouve aujourd’hui sur la sellette. Il est du souhait de beaucoup que nous ne soyons que des techniciens. L’exemple nous vient de la médecine somatique dont le fantasme de soigner l’organe malade et non le patient est chaque jour plus marqué.

Si seulement il pouvait laisser sa fonction cérébrale au vestiaire, que de soulagements il en résulterait pour nos gestionnaires. Je n’exagère en rien, il nous est demandé de soigner des cerveaux, et qui, parmi nous, pourra soigner un déprimé, un délirant ou un anxieux en exigeant qu’il laissât sa fonction cérébrale dans la salle d’attente ?

Qui pourra parler de ce lieu une fois la disparition des psychiatres consommée ?

N’est-il pas utile qu’un psychanalyste s’appuya sur le poids politique de la médecine ou qu’un philosophe s’ancra dans une pratique patente ?

Est-ce que la diversité de leurs formations ne leur permet pas des actes singuliers ?

N’y a-t-il pas d’actes spécifiques qui ne soient imputables qu’à cette diversité ?

Leurs pratiques au jour le jour et le degré d’inventivité que cela comporte ne sont-ils pas liés aux confins qu’ils occupent ?

Les premiers résultats de notre étude semblent aller dans ce sens. Toute la vigueur de cette étude repose sur le repérage d’actes spécifiques opérés d’une place singulière. Dans ce cadre, un protocole limité dans le temps et d’indication symptomatique, n’est que purement et simplement déplacé.

Nombre confrères insistent, notamment avec des patients psychotiques ou porteurs d’atteinte psychosomatique, sur la nécessité d’inventer un cadre qui ne sera aucunement exportable auprès d’un autre patient.

Loin d’une neutralité, fut-elle bienveillante, ils sont dans la nécessité d’éviter un diagnostic (beaucoup de patients sont malades du diagnostic au sens de l’étiquette), d’intervenir, de placer en première ligne la dimension de soin, de s’investir personnellement jusqu’à demander des contrôles, à inventer des cadres en fonction des modes d’élaboration possibles.

Vous sentez bien que cette étude vient mesurer l’investissement du psychiatre, l’écart qu’il est prêt à prendre de ses propres théories, de ses propres positionnements au nom d’une confrontation clinique.

Cette étude pose donc la question de la spécificité de l’acte psychiatrique, la place du diagnostic, le mode d’invention du cadre, la valeur de la nosographie qui n’est pas un préalable protocolaire mais un repérage lié aux conditions d’élaboration du patient.

L’ambition de cette étude est donc de cerner les conditions techniques qui permettront d’établir une éthique de notre pratique qui pourra elle-même déboucher sur des considérations politiques.

C’est au nom d’une éthique que les confrères prennent des distances de ce qui leur a été enseigné ou prescrit.

C’est de leur place, de leur confrontation avec la clinique, qu’ils inventent au jour le jour des prescriptions qui ne sont inscrites nulle part.

C’est cette éthique née de leur technique que nous voulons cerner.

Je voudrais pour ponctuer cette étape, insister une fois encore sur la dimension éminemment politique de la nosographie. Vous avez tous en tête l’extraordinaire levier que le diagnostic de monomanie a pu représenter, jusqu’à quasiment inventer la psychiatrie de la première moitié du XIXe siècle. Vous avez tous en tête combien le diagnostic d’hystérie a pu distendre « le lien odieux entre la femme et le prêtre » et soutenir de ce fait la Troisième République Française. Vous vous rappelez tous combien les diagnostics de neurasthénie puis de névrose obsessionnelle ont contribué à grignoter le territoire des médecins généralistes et autoriser ainsi l’installation des psychiatres en ville, ce qui a permis leur rayonnement dans la société civile et de ce fait les psychothérapies.

Nous sommes aujourd’hui devant de pareils enjeux, devant la nécessité de ne pas abandonner le terrain de la science aux indices boursiers et de défendre nos pratiques. Nous avons besoin d’une nosographie à notre mesure si nous voulons garder une incidence politique, un poids sur l’échiquier sanitaire.

La logique marchande des nouvelles nosographies, la complicité de l’université à cet égard, nous oblige, de facto, à nous démarquer nettement. Nous proposons, pour notre part, une éthique du diagnostic.

Elle ne peut être que liée aux rigueurs d’une pratique, elle ne peut être que dépendante d’un cadre d’élaboration, elle ne peut que prendre en compte des réalités subjectives, elle ne peut que prendre en compte notre patrimoine historique, elle ne peut être que déliée de tout étiquetage qui se révélera discriminatoire voire injurieux, elle ne pourra que chercher à éviter qu’un patient soit malade du diagnostic et se retrouve du fait du déclenchement d’un protocole invalidant dans une position de handicapé soit au-delà de toute thérapeutique curative.

Il en va du statut de nos patients comme de celui du citoyen qui doit pouvoir s’adresser à nous sans craindre un catalogage social qui le marquera à vie jusque et y compris sur des papiers d’identité informatisés.

Nous n’avons pas de plateau technique qui soit un lieu d’investissement du capital malgré les gros efforts pratiqués sur l’imagerie neurophysiologique et la logique marchande ne pourra essentiellement pénétrer notre champ opératoire que par le biais du médicament.

C’est donc là que doit s’exercer notre vigilance en veillant à ce que la nosographie soit indépendante des thérapeutiques médicamenteuses.

Une éthique du diagnostic, une nosographie qui tiennent compte du sujet et non du consommateur, les considérations politiques qui en découleront, telles sont les ambitions à terme de cette étude.

Patrice Charbit
Montpellier


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