Référentiels d’auto-évaluation des pratiques

Retour au sommaire - BIPP n° 50 - Décembre 2007

À Nancy, le 9 juin 2007

Réponse du Groupement d'Exercice Fonctionnel Spécialisé en Psychiatrie de Nancy à deux Référentiels d’auto-évaluation des pratiques en psychiatrie.

Dans le cadre de la nécessaire formation continue des médecins, est en train de se mettre en place sous le patronage de la Haute Autorité de Santé (HAS.) un système d’auto-évaluation des pratiques médicales, et en ce qui nous concerne, des pratiques psychiatriques, ainsi qu’en témoignent deux documents intitulés :

- Référentiels d’auto-évaluation des pratiques en psychiatrie : Dossier du patient en psychiatrie ambulatoire (dossier n°I de 26 pages)

- Référentiels d’auto-évaluation des pratiques en psychiatrie : Prise en charge par le psychiatre d’un épisode dépressif isolé de l’adulte en ambulatoire juin 2005. (dossier n° II de 19 pages)

Ces deux référentiels, fondés sur le DSM 4 et le CIM 10 (modes d’approche contestables et contestés de la maladie mentale, qu’il ne nous appartient pas de discuter ici), datés de juin 2005, ont été produits par la HAS (Haute Autorité de Santé) et peuvent être consultés sur le site Internet de l’HAS, reprenant les missions de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) et par le Groupe d’investigateurs cliniciens pour des études pivotales (?) de qualité. Ils ont été l’objet d’une journée d’auto-évaluation des pratiques le 16.12.2006 par l’URML à laquelle ont participé 6 membres du GEFSP de Nancy.

Il leur a été demandé d’appliquer ces référentiels à 20 de leurs patients, en vue de constituer un dossier informatisé, ce qui est une sorte de test. Si cette méthode est généralisée à tous les psychiatres privés consultant à leur cabinet médical, de cette forme de dossier dépendra par la suite :

1) le diagnostic de la maladie, son traitement,

2) la prise en charge sociale des soins nécessaires, y compris la rémunération du médecin, et sa responsabilité professionnelle.

Ces référentiels et les questionnaires qui y sont joints nous amènent à formuler les plus sérieuses réserves :

Réserves méthodologiques :

À la lumière de ces documents, est posée la question de la méthodologie concernant la manière dont peuvent être exercées la médecine et en particulier notre spécialité, la psychiatrie.

Rappelons succinctement que jusqu’à maintenant, la consultation médicale débutait par l’écoute du patient s’il est conscient : « Qu’est-ce qui ne va pas ? ». Le malade est d’abord un sujet qui parle. C’est le premier temps de l’observation médicale. Les dires, la pensée du malade doivent, bien sûr, être écouté de façon critique par le médecin, qui procédera ensuite à l’examen physique du malade, et qui demandera les examens complémentaires dans la visée d’établir un bilan et le diagnostic qu’il tirera de son corpus de savoir et de l’expérience qu’il a des maladies, et aboutira au traitement ambulatoire, ou, si nécessaire hospitalier. C’est sur ces différents éléments qu’était établi le nécessaire dossier médical du malade, dossier qui nécessitait, bien sûr, des garanties de confidentialité.

Dans la nouvelle conception qu’on nous propose, il n’est plus tenu compte de la relation Médecin-Malade qui a déjà une valeur thérapeutique et qui échappe totalement aux référentiels. Si elle est mise en application, on voit que l’examen médical procédera d’un certain nombre de signes suggérés par l’ordinateur qui constitueront un certain nombre d’items permettant à celui-ci d’établir automatiquement et statistiquement le diagnostic. Cela entraînera la mise en route d’un protocole qui dictera le traitement, Il n’y aura plus une rencontre entre un malade et un médecin, mais un système de communication entre ordinateurs : ceux des différents soignants, et ceux des organismes de santé qui assumeront les frais du traitement. Sous prétexte d’objectivité, cela rendra anonymes aussi bien les médecins, le personnel soignant, que le malade, et les organismes sociaux. D’une certaine manière, l’application du protocole déresponsabilisera le médecin en cas d’échec. L’application du protocole sera le garant qu’il a fait tout ce qu’il avait à faire aux yeux du malade et aux yeux des organismes sociaux, assurances comprises ! On obtiendra donc anonymat et déresponsabilisation !

Réserves concernant l’établissement du dossier du malade :

La première partie de ce qui est demandé pour établir ce dossier concerne l’identification du malade. C’est un banal travail de secrétariat, analogue à ce qui est fait par exemple avant l’entrée à l’hôpital et consiste en la confection d’un carnet d’étiquettes avec code-barres qui seront collées sur tous les papiers concernant le malade, pour éviter les erreurs d’identification.

Mais l’autre partie du dossier médical concernant la maladie elle-même sera le garant et éventuellement le contrôle de l’action du médecin qui pourra être sanctionné s’il ne respecte pas à la lettre les consignes du protocole qu’il est chargé de produire ! (Voir dossier II, p. 3 : objectifs de bonnes pratiques évaluées)

Réserves spécifiques à la psychiatrie :

La méthode anatomo-clinique est au fondement de la médecine générale et des autres spécialités médicales. La lésion est objectivée à un moment précis, comme l’est une coupe histologique, puis peut être confirmée par des examens complémentaires et finalement par l’autopsie. Elle convenait déjà très mal à la psychiatrie ! La pensée pathologique du patient ne peut pas s’examiner et être soignée de cette manière.

Cette nouvelle recherche questionnante des signes, fondée sur les découvertes informatiques, va encore plus loin dans la méconnaissance fondamentale de ce qu’est la maladie mentale, et ses conséquences sont loin d’être profitables au malade dans beaucoup de domaines. Elle peut par exemple braquer le malade, prévenu qu’il est maintenant par tout ce qui ressemble à un questionnaire. Cela le fera penser aux questionnaires administratifs plus ou moins inquisiteurs qui sont pratiqués pour toutes les démarches concernant sa vie sociale, ce qui peut lui ouvrir des horizons fallacieux sur ce que le médecin attend de lui. Il pourra être soulagé peut-être, mais aussi craindre d’abord de ne plus bénéficier des avantages compensatoires liés à sa maladie ou à sa souffrance psychique. Il risquera aussi de se sentir suspect, fiché aux yeux des autres. La demande qui lui est imposée de désigner une personne dite de confiance (voir dossier I, p. 3) risque de faire assimiler celle-ci à une surveillante, voire à une tutrice ! Il aura l’impression que sa liberté déjà restreinte est encore plus aliénée. Il se sentira réduit à l’état d’objet alors qu’il est le sujet d’une souffrance qui souvent le culpabilise, et dont nous savons que le fondement lui échappe.

Cette approche très statique du malade à un moment donné ne tient pas assez compte de ce qui fait la spécificité de tout esprit, sain ou malade, fondé sur des paroles présentes ou passées, reçues et renvoyées aux autres, qui constituent son univers mental en perpétuel remaniement. Interviennent aussi dans son fonctionnement mental de multiples facteurs dynamiques, par exemple la pression sociale exercée sur le malade, liée aux avatars de sa vie professionnelle ou familiale, à ses ambitions, à ses succès, à ses échecs, à ses deuils, à ses renoncements, à l’action positive ou négative de son entourage, ou à son isolement, à l’état de ses ressources, etc.. tout cela provenant de fantasmes véhiculés, souvent grâce aux médias omniprésents, par le milieu social dans lequel il se trouve. Ces pressions seront en plus variables selon le moment et selon le lieu.

Cet interrogatoire ou plutôt ce questionnaire médical, ne pourra suppléer au dialogue indispensable pour établir la relation de confiance et une coopération qui est indispensable pour que le traitement proposé soit accepté par le malade.

En ce qui concerne la dépression avec sa complication majeure le suicide, l’interrogatoire, souvent avec l’aide de l’ordinateur, qui veut être le plus exhaustif possible, dans le souci d’avoir un nombre d’items suffisant pour asseoir le diagnostic et le traitement, perturbera encore plus gravement la rencontre entre le psychiatre et le malade que dans d’autres affections mentales.

L’évaluation obligatoire et chiffrée du risque suicidaire (document I p. 26 et doc. II p. 15) procède de la même approche de la situation, et nous semble encore plus hautement dangereuse. Une enquête faite après un suicide permet a posteriori de retrouver, dans le comportement et les dires de celui qui a mis fin à ses jours, des signes qui auraient pu rétrospectivement passer pour annonciateurs et qui n’ont pas été suffisamment perçus.

Mais la recherche a priori et systématique de ces signes dans un souci de prévention, prend le problème à l’envers, fixe l’attention du malade sur les craintes qu’a son interlocuteur de le voir se tuer, craintes qu’il sait devoir figurer au dossier et être communiquées à la personne de confiance ou à la famille. Il se sentira considéré de manière suspicieuse, éventuellement comme un lâche mal intentionné, ce qui pourra renforcer son sentiment de perte de l’estime de lui-même et de culpabilité. Moyennant quoi il risque de dissimuler encore mieux ses intentions suicidaires et les préparatifs. Que dire de la question : (dossier n°II, page 15, C4) « Au cours du mois écoulé avez-vous établi la façon dont vous pourriez vous suicider ? », à laquelle on pourrait ajouter : « Combien de fois ? », ce qui rappellerait certaines confessions catholiques de jadis ! Cela ne peut que renforcer ses tendances suicidaires. Ou bien le malade pourra se servir de ce questionnement pour manipuler le médecin et l’entourage, et entrer dans le cercle vicieux des bénéfices secondaires. On obtiendra donc l’inverse du résultat escompté.

Les médicaments risqueront aussi d’être stockés pour un usage suicidaire. La surveillance par l’entourage ne pourra pas empêcher le suicide. Les psychiatres connaissent bien les limites et les failles d’une telle surveillance, même en milieu hospitalier ou carcéral. On peut même se poser la question de savoir si, sous prétexte de protéger son malade, il ne s’agira pas de protéger le médecin au détriment de son patient !

Les deux dossiers peuvent être considérés comme de véritables pousse-au-crime !

Nous pourrons ajouter aussi que l’application du protocole nous paraît impossible dans la mesure où il déclare que la guérison ne peut être obtenue que si le malade prend son traitement pendant 18 mois après la disparition des signes cliniques ! Jamais un malade ne consentira à prendre un tel traitement aussi longtemps alors qu’il se croit guéri, ne serait-ce qu’en raison de ses effets secondaires ! (voir dossier II p. 3 dans : objectifs de bonnes pratiques évaluées).

Il ne manque finalement qu’un questionnaire de satisfaction à faire remplir par le malade à l’issue de la consultation !

C’est pourquoi nous émettons les plus vives réserves sur le mode d’approche de la dépression et du suicide, tel qu’il est présenté par les deux dossiers et nous ne pouvons pas nous associer à de telles démarches auto-évaluatrices.


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