A propos des déclarations du Président Sarkozy

Robert Boulloche
Retour au sommaire - BIPP n° 50 - Décembre 2007

Les déclarations brutales du candidat Sarkozy, maintenant président, au sujet du déterminisme génétique attire l’attention sur une dérive possible de la conception de ce qu’est une personne et sur la possible mise en danger de la notion d’humanisme.

Il est certain que ce positionnement n’est pas isolé et s’inscrit, comme le souligne Joseph Mornet, dans un courant politique en plein développement.

Nous, psychiatres, sommes particulièrement désignés pour promouvoir un positionnement différent et ne devrions pas nous contenter de réactions épidermiques immédiates dans les revues spécialisées, mais porter nos arguments sur la place publique et en profondeur, car cet enjeu est véritablement crucial et qu’il prend place dans un monde globalisé.

Tout d’abord, c’est se tromper de cible que de nier l’existence de facteurs génétiques dans le développement de certains troubles psychiques, à moins de refuser tout rapport entre le psychisme et l’organe cerveau. La question est de montrer que l’existence de déterminismes, qu’ils soient génétiques ou environnementaux ou même culturels, n’infirment en rien l’approche humaniste et qu’il est toujours possible, comme le dit André XXIII, de conserver l’idée qu’on peut changer le cours de l’existence. Plusieurs arguments vont dans ce sens. Premièrement, si on soutient un déterminisme intégral, alors tout est rigoureusement déterminé y compris la parole de celui qui soutient cette position, ce qui revient à dire qu’il ne la soutient pas parce qu’elle est vraie, mais parce qu’il est déterminé pour le faire. Nous nous retrouvons ainsi devant une proposition indécidable : on ne peut pas prouver que le monde soit déterministe. Autrement dit, soutenir un déterminisme intégral ressort de la croyance et non d’une démarche objective.

Deuxièmement, mettre l’accent sur un déterminisme plutôt que sur la possibilité d’un avenir non écrit et à construire revient à prêcher la passivité et le pessimisme. Qui peut penser qu’une telle croyance n’aura pas l’effet pervers d’aggraver encore les éventuels déterminismes négatifs qu’on voudrait combattre ?

Troisièmement, il est parfaitement simpliste d’imaginer qu’un déterminisme biologique exclue une approche psychodynamique. La souffrance psychique est presque toujours la résultante de phénomènes qui se jouent à plusieurs niveaux : il est ainsi parfaitement possible de compenser une défaillance à un niveau par un apport à un autre et ceci dans les deux sens. Il est aussi possible de compenser une souffrance d’origine psychodynamique par un apport biologique.

Quatrièmement, il existe des déterminismes de tous ordres, certes génétiques mais aussi sociaux, familiaux, personnels, environnementaux, etc. Leur multiplicité met en évidence leur relativité car ils ne sont pas exclusifs les uns des autres.

Cinquièmement, il est certain, me semble-t-il, qu’aucun d’entre nous n’a choisi ses parents, ni son sexe de naissance, ni le lieu de sa naissance, ni son nom, ni même le fait d’exister et qu’une part de notre identité nous est donnée sans que nous ayons notre mot à dire. Cependant, tout est à construire à partir de cette base. L’humain se constitue dans la relation à autrui et par le fait d’être reconnu humain par les autres humains. Prenons garde qu’une vision chosifiante ne finisse par nous transformer en objets.

D’autre part, les avancées technico-scientifiques en cours vont nous conduire à reconsidérer certaines notions fondamentales qui semblaient pourtant aller de soi, et il faudra là aussi nous positionner de façon argumentée et crédible, c’est-à-dire sans rejeter en bloc ce qui nous gêne par une série d’anathèmes ou d’amalgames.

C’est le cas pour la PMA, l’IAD, les mères porteuses. Nous sommes confrontés au quotidien, dans notre pratique, aux difficultés psychiques que ces techniques peuvent faire apparaître chez le père, la mère et l’enfant et à l’interaction entre ces difficultés. Qu’en sera-t-il demain avec l’utérus « artificiel », instrument de libération ou d’aliénation ? Qu’en sera-t-il avec la possibilité technique pour les parents de choisir le sexe de l’enfant ? Et après-demain certaines caractéristiques physiques ou psychiques ? C’est le cas également pour les distinctions touchant au sexe envisagées dans les dimensions du genre, du morphotype et (encore) de la génétique, dimensions autrefois confondues. C’est encore le cas dans la capacité à détecter une sur-exposition à un risque pathologique qui se révélera plus tard. Il est effectivement possible de prévoir que certains enfants ont plus de chances que d’autres de développer des troubles psychiques du fait de déterminismes partiels qui seront bien plus souvent sociaux-économiques ou familiaux que génétiques. Énoncer ce risque implique la possibilité d’une stigmatisation en elle-même pathogène. Fermer les yeux revient à abandonner les gens à leurs difficultés. En réalité, c’est l’intention à l’origine de la démarche qui va la structurer : intervient-on dans le souci d’aider une personne ou intervient-on dans un souci sécuritaire de normalisation ou de mise à l’écart ?

À suivre…

Robert Boulloche
Boulogne


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