Référentiels et contresens
Un collègue de province nous a confié la lettre que lui a écrite un médecin de sa Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Cette lettre mérite publication in extenso tant elle est une perle, voire un sujet exemplaire de dissertation, les quatre points abordés (troubles obsessionnels compulsifs, autorisation de mise sur le marché, prescription d’hypnotiques, référentiels) donnant lieu à de véritables contresens.
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Cher Confrère,
Vous m’avez informé lors de notre conversation concernant Madame X, votre patiente, qu’elle souffrait de troubles obsessionnels compulsifs. J’espère vous avoir bien compris, les conditions dans lesquelles s’est déroulé notre entretien n’étant pas optimales.
Après m’être replongé dans son dossier, je m’aperçois qu’elle ne prend aucun traitement ayant l’AMM pour cette pathologie.
Un traitement mieux adapté à votre diagnostic ne permettrait-il pas de mieux prendre en charge sa pathologie et de lutter contre sa dépendance aux hypnotiques ?
La prescription d’association d’hypnotiques à haute dose étant fortement iatrogène, il me semble indispensable de reconsidérer le traitement de façon à ce qu’il soit conforme aux référentiels en vigueur, notamment aux indications de l’AMM.
Je suis à votre disposition pour tous renseignements complémentaires et je vous prie de croire, Cher Confrère, à l’assurance de mes meilleures salutations.
Dr Y, Médecin Conseil
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Pourtant irrités par une pointe d’arrogance (l’expérience ne fait pas tout, mais le collègue auquel était adressée cette lettre n’en était ni à son premier « TOC » ni à sa première insomnie), nous nous sommes contentés d’une position didactique.
1. La notion de trouble obsessionnel compulsif (dont l’abréviation « TOC » est devenue un signifiant populaire) est un syndrome, c’est-à-dire une association conventionnelle de symptômes et non une pathologie associée à une étiologie connue ou une hypothèse pathogénique. Croyant se faire mieux comprendre, les psychiatres utilisent souvent ce raccourci, à tort, avec leurs confrères non-psychiatres, oubliant que ceux-ci ignorent parfois que les « TOC » se retrouvent dans des tableaux pathologiques très différents, conduisant à des conduites très différentes.
2. L’autorisation de mise sur le marché (AMM) est explicitement une autorisation de commercialisation, assortie d’un certain nombre d’indications explicites : en aucune façon, elle ne pourrait être entendue comme l’obligation de prescrire un médicament dans une indication ! Nous avons peur que l’on se laisse abuser par la démarche de communication de l’industrie pharmaceutique qui, non contente de viser les médecins non psychiatres, s’attaque aujourd’hui au grand public. Or, les médicaments faisant aujourd’hui leur cible commerciale des « TOC » donnent des résultats médiocres, les pathologies sévères que nous traitons en médecine spécialisée ne permettant plus les biais des études publicitaires de l’industrie.
3. L’évaluation au cas par cas de la gravité des symptômes associés de façon arbitraire dans toute classification syndromique, doit conduire en pratique clinique - particulièrement en médecine spécialisée, puisque l’on y hérite des échecs des conduites plus conventionnelles - à une hiérarchisation permettant dans chaque cas d’essayer de s’attaquer aux symptômes les plus invalidants chez un patient donné.
La prescription d’hypnotiques donne souvent lieu à des excès, dus à la banalisation de leur usage. D’où la règle générale d’en limiter au maximum le nombre, les doses et la durée d’administration. Or, si une règle de bon sens doit toujours être utilisée en première intention, elle n’est malheureusement pas toujours efficace au point de devoir s’y entêter sans donner une autre chance au patient : le bon sens - et la déontologie - imposent une alternative à un échec thérapeutique.
4. Un référentiel est un ensemble de références, c’est-à-dire de façons de se situer, de points de repères. Il s’agit d’une aide pour le médecin, d’autant plus utile qu’il connaît mal une question : mieux il la connaît, plus il élabore lui-même son propre référentiel, composé de références cliniques et théoriques moins connues du non-spécialiste. Une référence c’est le sens même du mot, est une indication non prescriptive. Le « référentiel », d’ailleurs très critiqué, de la Haute Autorité de Santé montre qu’il n’y a guère de certitude aujourd’hui dans le traitement des « TOC ».
Cette lettre nous semble illustrer la méconnaissance répandue de la psychopharmacologie clinique, discipline complexe que l’on voudrait réduire en quatre classes de médicaments et quelques slogans publicitaires… Méconnaissance dont ce confrère, médecin de CPAM, n’est certes pas responsable mais qu’il importe de combattre.
Pierre Cristofari
Hyères