Editorial
Extraits du discours de politique générale prononcé lors de l'Assemblée Générale du 15 mars 2008
Rares sont les associations syndicales ou médicales qui n'ont pas chuté en nombre d'adhérents ces dernières années. L'AFPEP-SNPP a conservé son nombre de cotisants malgré la diminution du nombre de psychiatres qui se fait douloureusement sentir.
L’intensité de notre activité n’y est sans doute pas pour rien, mais surtout ce trait d’union entre l’AFPEP et le SNPP (même CA, même Bureau) est une originalité qui a favorisé la cohérence de nos actions syndicales, toujours appuyées sur nos observations cliniques et nos exigences éthiques.
Dès sa création, l’AFPEP a été un lieu d'élaboration pour conceptualiser la pratique de la psychiatrie privée qui a pu se développer en France grâce à la Sécurité Sociale qui assurait un libre accès aux soins de tous, sans contrainte d’orientation thérapeutique ni limitation de prise en charge. Cette conjonction est un phénomène unique au monde et a été la source d'indéniables progrès dans le suivi des malades et l'affûtage de nos pratiques.
Malgré certains échecs cuisants comme la perte de l’accès spécifique total, nous avons pu maintenir, non sans mal, des conditions de travail exceptionnelles :
- Indépendance professionnelle dans les choix thérapeutiques ;
- pas de tri des patients par rapport aux pathologies prises en charge par l’assurance-maladie ;
- consubstantialité de la consultation entre psychiatrie relationnelle et psychiatrie technique grâce à l’unicité de l’acte et à la circulaire Sournia de 1972 ;
- pas de limitation de prise en charge dans la durée et la fréquence.
- spécificité de notre acte concrétisée par sa rémunération particulière.
Pour être exceptionnelle, la psychiatrie privée en France n'en est que plus fragile. On entend déjà, ici ou là, des voix pour contester le bien fondé de cette exception française : « les autres s'en passent fort bien ». Eh bien, non ! Nous devons refuser ce nivellement par le bas. Notre modestie dût-elle en souffrir, l’AFPEP-SNPP s’avère un pôle de résistance majeur.
L’année 2007 nous a donné la mesure de ce qui nous attend.
- Calamiteuse LFSS qui a introduit, entre autres, les franchises médicales.
- Attaques contre notre conception humaniste de la psychiatrie et la volonté d’instrumentalisation des psychiatres avec les lois Dati.
- Ou encore la pression des forces financières des laboratoires dont on a pu mesurer la violence lors de la tentative de liquidation du congrès de Paris de la zone Europe de la WPA qui avait pour thème « La psychiatrie de la personne ».
La précipitation dans la destruction de certaines valeurs nous donne le tournis, voire la nausée. Tout semble fait pour ne pas nous donner le temps de réagir.
À la question qui lui était tout récemment posée sur les nouveaux financements à prévoir pour la Sécurité Sociale, le Chef de l’État répond qu’on va faire des économies sur les ALD, et la charge des soins dits “non indispensables” sera transférée aux assurances privées. Là, nous pouvons le croire ! Il ne faut donc pas compter sur ce gouvernement pour une augmentation des ressources à la hauteur des enjeux concernant l’augmentation de la morbidité et du coût des soins dans notre pays. Et dès lors que l’on parle de panier de soins avec cette violence décomplexée à un tel échelon politique, nous savons bien que notre pratique est en grand danger !
La gestion étatique et régionalisée va s’étendre à la médecine libérale et médico-sociale avec la mise en place des Agences Régionales de Santé en lieu et place des ARH qui ne s’occupaient que de l’hospitalisation ; à voir l’évolution de l’Hôpital, cela n’a rien pour nous rassurer. Agences d’état, les ARS seront dépendantes de décisions régaliennes et exerceront leurs fonctions régionalement sans contre-pouvoir réel au gré des interprétations de ces nouveaux barons que seront les directeurs de ces agences. Nous avons du souci à nous faire…
Nous observons de manière de plus en plus prégnante les glissements conceptuels au service des décisions politiques à visées économiques : il faudra corriger l’anomalie, le trouble, le handicap qu’il soit génétique ou autre. Il faudra les occulter ou les gérer au moindre coût. Tout cela aux dépens de la notion de souffrance, au profit de la notion de désavantage ; tout cela au profit de la gestion aux dépens du soin.
C’est peut-être dans le secteur médico-social que les dérives sont actuellement les plus prégnantes. Avec l’apparition des Maisons Du Handicap, nous assistons à l’accélération d’une évolution redoutable qui consiste à s’occuper de la prothèse aux dépens du soin. Quand je dis prothèse, je pense aux prothèses sociales, gestionnaires, protocolaires ou technologiques. Cela devient le modèle de l’intégration excluante, selon la formule d’Hervé Bokobza. C’est un peu comme si les plans inclinés et les fauteuils roulants pouvaient faire l’économie de la Kinésithérapie. Heureusement, ce secteur est très actif, mais il nécessite une approche pluridisciplinaire. Il est encore un outil formidable de soins, de recherche et de formation qu’on est en train de détruire malgré des lieux de résistance où la lutte est pour le moins complexe.
Les forces rétrogrades et déshumanisantes de la gestion ultra-libérale — qu’il ne faut pas confondre avec l’artisanat de notre activité dite libérale — se parent d’une volonté affichée de soit-disant qualité. Traduisons : il s’agit en fait d’une recherche de rentabilité économique biaisée par les intérêts spéculatifs sous-jacents. L’EPP et la prise en main autoritaire de la FMC en sont les outils avancés. Dans ce domaine, il faut encore s’attendre à tout car, après la suppression des CRFMC, il semble que nous pouvons sérieusement craindre la suppression du CNFMC, ce qui voudrait dire la disparition de la représentation syndicale dans les instances de décision et encore un peu plus de pouvoir pour l’organisme autocratique et instrumenté(1) qu’est la HAS.
Psychiatres, nous avons certes une obligation de moyen comme tout autre médecin. Mais nous n’avons pas attendu la loi de 2004 pour nous donner ces moyens. Cela est vrai pour la très grande majorité des confrères : lectures, groupes de pairs, colloques, etc. Qu’en cas de difficulté, l’on puisse nous demander la preuve que nous nous sommes donnés ces moyens ne peut être contesté. Par contre, que nous devions d’emblée montrer patte blanche en obtenant des « crédits » ou des « points » est parfaitement infantilisant, bureaucratique, coûteux, chronophage, d’une suspicion humiliante pour le plus grand nombre et illusoire pour ceux auxquels la Loi semble s’adresser. Seule la participation à un groupe de pairs est un gage d’investissement dans les moyens. Mais refusons d’être considérés comme des délinquants potentiellement dangereux a priori. Plus qu’une dérive, c’est un retournement général de civilisation.
Les travaux réguliers de l’AFPEP, séminaires et Journées Nationales restent le creuset où se formalise l’idée de la pratique psychiatrique que nous défendons dans toutes les instances. C’est à partir de la réflexion des acteurs de terrain que nous témoignons de la diversité des approches de la maladie mentale et des réponses à la souffrance des patients, ce qui reste l’essence de notre travail.
Cette base théorico-pratique est essentielle pour définir notre position à tous les niveaux où nous sommes engagés. L’engagement est précisément le thème de nos prochaines Journées Nationales et l’intensité des discussions au cours des réunions préparatoires augure des débats passionnants auxquels je vous invite à participer activement(2).
Il nous faut renforcer nos actions et accentuer encore notre présence sur le versant scientifique, aussi bien au niveau national qu’au niveau international, nous ne pouvons plus subir la mondialisation en nous réfugiant dans notre pré carré :
ALFAPSY, née en 2000 à l’initiative de l’AFPEP, réunit les associations de psychiatres d’exercice privé des pays partageant la langue française. Pourquoi son activité est-elle importante ? Au-delà de l’intérêt et la richesse des échanges qui s’y nouent dans la confrontation des pratiques et des cultures, elle est une légitimation de l’exercice privé — de libre pratique comme disent nos amis étrangers. On ne saurait sous-estimer l’influence à venir des pays d’Afrique au niveau mondial.
L’Association Mondiale de Psychiatrie, la WPA, est l’interlocuteur privilégié de l’OMS. Or, nous savons d’expérience que l’organisation des politiques nationales de la santé suit ses directives, que ce soit par le biais de la Commission Européenne ou directement nos gouvernements. Cette organisation née en France et dont le secrétaire général avait été Henri Ey, a été investie par le lobby pharmaceutique lors de ce triste congrès de Madrid en 1996 sur le thème de “one world one language” et DSM pour tout le monde ! Une reconquête de la psychiatrie psychodynamique est en route. Nous devrons continuer à faire émerger cette tendance et faire vivre la section “psychiatrie privée” au sein de cette organisation. Je vous demanderai de ne pas sous-estimer l’importance des enjeux, la violence de ce combat et l’énergie considérable nécessaire à sa poursuite.
Ce mouvement de reconquête initié par le président sortant Juan Mezzich dont nous avions efficacement soutenu l’élection en 2005 se concrétise par le nouveau concept d’IPPP(3) (ou psychiatrie de la personne ). Notre étude clinique entre parfaitement dans ce combat pour éviter que l’IPPP ne soit dénaturé par les tenants de la psychiatrie technologique et commerciale. Cette étude sera présentée à Prague lors du congrès mondial en automne prochain dans le symposium organisé par l’AFPEP. Ne sous-estimons pas non plus l’importance des élections qui y auront lieu. Ce jeu des influences, aussi dérisoire peut-il paraître vu de loin, n’est cependant pas sans graves conséquences pour l’avenir de notre métier.
Dans ce contexte, il est important que nous poursuivions la coopération entre les cinq associations françaises membres de l’Association Mondiale de Psychiatrie (AFPEP – Société de l’Information Psychiatrique – Association Française de Psychiatrie – Évolution psychiatrique – Société Médico-Psychologique), avec qui nous travaillons en synergie efficace autant à la Fédération qu’à la WPA.
Il nous faut intensifier nos actions sur le versant syndical :
Au sein du CASP bien sûr. Ce Comité d’Action Syndicale de la Psychiatrie réunit l’essentiel de la représentation syndicale de la profession. Dynamisé par les États Généraux de 2003, il est un lieu de rencontre incontournable qui a permis de mutualiser nos forces au lieu de perdre de l’énergie en querelles inutiles faites d’a priori imaginaires entre nos divers modes d’exercice. Nos décideurs et surtout la presse, savent maintenant où s’adresser pour avoir une idée globale de la profession et de ses synergies.
Mais aussi au sein d’une centrale syndicale. Nous devrons maintenant préparer la prochaine convention entre les syndicats représentatifs et les organismes d’Assurance-maladie.
Cette convention est prévue pour être fonctionnelle début 2010. Il semblerait qu’elle reste nationale — nous avons pu craindre une régionalisation des accords conventionnels avec les ARS, voir une individualisation dont les contrats d’objectif individualisés prévus dans la dernière LFSS pourraient en être les prémisses.
Cette nouvelle Convention Nationale doit être l’aboutissement de négociations qui débuteront dans les mois qui viennent. Pour cela nous devrons être représentés par une centrale syndicale qui devra tenir compte de nos aspirations et nous intégrer aux négociations sur les points nous concernant. Nous avions pris la décision de quitter la CSMF lors de notre AG de févier 2003 car elle n’avait tenu aucun compte de nos positions et avait même soutenu des positions contraires. C’est pourquoi nous avons proposé à notre AG notre adhésion à la FMF. Cette centrale a bien changé d’aspect et a été ces derniers mois à notre écoute, partageant avec nous des valeurs fondamentales comme l’indépendance professionnelle et la spécificité de notre spécialité. D’ailleurs, nous avons obtenu à travers elle une chose plus importante qu’on pourrait le penser : cette centrale a pu signer le dernier avenant de la Convention actuelle sans adhérer pour autant à celle-ci(4). Même si cet avenant ne nous concernait pas (paiement de la permanence des soins pour les généralistes), cette signature est un précédent qui signifie que les non-signataires à la convention ne seront désormais plus exclus des discussions sur les avenants à venir. C’était une de nos revendications fortes.
Nous savons maintenant de source sûre depuis notre visite à Hubert Allemand médecin chef de l’UNCAM, que la CCAM clinique à travers laquelle nous pouvions un temps espérer la revalorisation de notre spécialité est illusoire même si elle est remise en chantier, même si certains comme la CSMF veulent encore nous y faire croire : trop chère, trop compliquée à mettre en place. Cependant, le risque était grand de perdre définitivement notre spécificité qu’a toujours bradée la CSMF. Il va de soi maintenant que la légitime revalorisation de notre lettre-clef (le Cnpsy) est la seule voie possible et acceptable pour la revalorisation de notre pratique de cabinet libéral. Mais il ne suffit pas de vouloir pour obtenir. Nos demandes d’entretien réitérées à l’UNCAM sont restées lettre morte. Il va nous falloir passer à la vitesse supérieure et envisager des actions plus musclées soit directement, soit avec l’aide des centrales.
Il faudra aussi poursuivre notre effort de communication en exploitant au mieux les moyens rapides, efficaces et quasiment gratuits d’internet par le développement des informations par Emails. Nous n’oublierons pas pour autant les amoureux du papier, je pense à la revue “Psychiatries” et au BIPP. Il nous faudra sans doute mieux utiliser l’action déjà considérable de notre attachée de presse. Nous devrons certainement intensifier notre présence dans les divers colloques auxquels nous sommes de plus en plus conviés pour parler au nom de l’AFPEP-SNPP.
Vous pouvez voir que nous avons beaucoup de fers au feu, mais, si nous avons placé nos forces dans toutes ces directions, c’est pour préparer les combats à venir qui ne manqueront pas d’être ardus. Notre représentativité maintenant indéniable doit être renforcée par les adhésions et les actions locales, par l'engagement de tous, car nous ne sommes pas à l'abri de la baisse des effectifs évoqués au début de cet éditorial. Nous avons une responsabilité de fait dans l’évolution des choses : ce qui se passe en psychiatrie est paradigmatique de ce qui se passe ailleurs. Luttons pour soutenir et renforcer cette précieuse exception française qui fait entre autres tout l’intérêt de la discipline telle que nous la pratiquons.
Olivier Schmitt
(2) Voir p. 20
(3) Institutional Program on Psychiatrie for the Person.
(4) Contrairement à ce que dit la CSMF qui n’est pas à une désinformation près.