La permanence des soins : le syndrome de Pinocchio

Hervé Granier
Retour au sommaire - BIPP n° 51 - Avril 2008

La permanence des soins dans les cliniques psychiatriques privées est, depuis longtemps, l’objet d’une erreur manifeste d’appréciation. Celle-ci repose sur le fantasme, communément partagé par les dirigeants de l’hospitalisation privé, du peu d’intérêt des médecins de garde et de l’insuffisance d’engagement des psychiatres dans leurs établissements.

Remplacer des médecins inutiles par des psychiatres à tout faire devait donc être l’axe idéologique choisi. Il suffisait alors d’invoquer une politique de la nécessité (manque de moyens, manque de médecins…) pour demander une avancée libérale du droit dans ce domaine et ainsi régulariser le fantasme précédemment cité.

C’est le sens du décret du 7 novembre 2006, hâtivement rédigé à l’initiative de l’UNCPSY avant toute réflexion préalable sur la refonte des normes de fonctionnement des établissements qui s’imposait. Attaqué par notre syndicat devant le Conseil d’État, il est à présent critiqué même par ceux qui l’ont inspiré.

Ce décret, modifiant les anciennes dispositions de l’annexe 23, pose comme principe premier l’obligation d’une présence permanente des psychiatres 24 H/24, mais, par ses dérogations, permet aux établissements de mettre en place une simple astreinte psychiatrique et d’organiser la prise en charge des pathologies somatiques, en clair, de se passer de médecins résidents en dehors des heures ouvrables et de créer le nouveau concept de clinique sans médecin. La logique de son action est, bien sûr, la démédicalisation progressive de la psychiatrie privée.

Pour les nombreux établissements qui ont eu la sagesse de garder des médecins de garde, l’UNCPSY se réfère à un récent arrêté de la Cour d’Appel de Montpellier du 5 novembre 2007 (renvoyé devant la Cour de Cassation) qui invoque, entre autre, les articles 47 et 77 de notre code de déontologie, pour faire payer la facture aux psychiatres par le biais des redevances prélevées sur leurs honoraires !

Les médecins généralistes de garde sont alors assimilés à un service rendu aux psychiatres qui sont ainsi dégagés de leurs obligations déontologiques de permanence des soins !

Mentir, et faire en sorte que ça ne se voit pas, a déjà fait le malheur de Pinocchio. Pourquoi diable insister ?

D’une part, les psychiatres privés ont une obligation déontologique de continuité des soins qu’ils ont toujours respectée.

D’autre part, les médecins de garde ne sont pas un service rendu aux psychiatres, mais un service rendu aux patients.

En effet, en psychiatrie, comme dans les autres secteurs, seuls des omnipraticiens (qu’ils soient médecins généralistes ou urgentistes) sont qualifiés pour répondre à toute situation pathologique et constituent le meilleur garant de la qualité et de la sécurité sanitaires.

Ils ne remplacent en aucune façon les psychiatres qui d’ailleurs ne sont ni qualifiés ni compétents pour pratiquer des actes de médecine générale ou de médecine d’urgence, conformément à la déontologie médicale. Nous serons d’ailleurs particulièrement attentifs à l’avis du Conseil de l’Ordre que nous avons saisi sur cette question.

Dirait-on, dans une clinique chirurgicale, que les anesthésistes sont un service rendu aux chirurgiens et qu’ils doivent être ainsi rémunérés par eux ? De même, demanderait-on à des chirurgiens d’anesthésier eux-mêmes leurs malades, sous prétexte qu’ils sont médecins ?

Il n’y a pas équivalence mais coopération des compétences.

Les médecins résidents constituent une ressource médicale indispensable à une permanence et une coordination des soins essentielles à une psychiatrie moderne.

Ces praticiens devraient être justement reconnus et financés dans le cadre de nouvelles dispositions normatives et d’une gestion des établissements à repenser suivant leur offre de soin et leur activité. Comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre, les discussions en cours sur ces sujets s’enlisent et risquent de s’éterniser. Les psychiatres n’y sont de toute façon pas conviés et de tels épisodes juridiques donnent la désagréable impression que les cliniques satisfont leurs intérêts sans assez prendre en compte le sort de leurs praticiens pourtant de plus en plus sollicités.

Les dirigeants de l’hospitalisation privée devraient se rapprocher des psychiatres et des conférences médicales de leurs établissements pour que notre secteur retrouve plus de cohésion et d’autorité face à un gouvernement pour l’instant plus soucieux de « rationaliser » les dépenses de la psychiatrie publique que d’offrir un financement décent aux cliniques psychiatriques privées.

Hervé Granier
Montpellier


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