Actes du séminaire du CASP à l'Assemblée Nationale

Retour au sommaire - BIPP n° 52 - Juin 2008

Les réunions mensuelles de nos six syndicats de psychiatres sont toujours un précieux lieu d’échange et d’action. Ces rencontres sont enrichies par la présence de l’AFFEP (Association des internes en psychiatrie) et de l’ASPMP (association des psychiatres travaillant en milieu pénitentiaire).
Comme l’an dernier, le CASP a organisé son séminaire de printemps le 17 avril 2008. Cette fois-ci, ce fut à l’Assemblée Nationale sur le thème « Identité de la psychiatrie et déni de la maladie mentale ». Ainsi qu’il en est convenu entre nos syndicats, nous nous engageons chacun d’en publier les actes dans nos bulletins respectifs.

N.D.L.R.

COMITE D'ACTION SYNDICAL DE LA PSYCHIATRIE
Union professionnelle enregistrée sous le n° 2735 à la Préfecture de l’Oise


Séminaire du 17 avril 2008 à l’Assemblée Nationale :
« Identité de la psychiatrie et déni de la maladie mentale »

Quelle formation médicale pour soigner la maladie mentale ?
Dr Olivier Boitard
Union Syndicale de la Psychiatrie

« Je jure… de transmettre les préceptes, les leçons orales et le reste de l’enseignement »…

Depuis Hippocrate, la transmission du savoir est le devoir de chaque médecin ; avec la recherche et le soin, c’est l’une des trois missions définies par le statut de praticien hospitalier. Avec les collègues spécialisés dans l’enseignement (les professeurs d’université) il nous paraît important de faire connaître les concepts traditionnels – quitte à les critiquer – plutôt que de les éluder : le souhait par exemple, de remplacer le terme « schizophrène » par « trouble du développement émotionnel » - est-il vraiment un progrès ?

Attardons-nous sur ce diagnostic de schizophrénie. Dans des discussions avec des collègues, ces derniers admettaient le terme de schizophrénie mais pas de schizophrène. Cela pose évidemment des questions de structure mais il est assez étrange que nul médecin n’ait de difficulté à parler d’un épileptique, d’un diabétique, voire d’un alcoolique mais point d’un schizophrène. Affirmer l’existence d’une structure ne préjuge pas de l’étiologie : si cette notion est conforme à la théorie psychanalytique, la structure est compatible avec d’autres étiologies de la maladie comme par exemple la génétique.

Comment expliquer le déni de cette structure ou plutôt de l’identification partielle du patient à sa maladie lorsqu’il s’agit de schizophrénie au contraire du diabète ? La gravité de la maladie n’explique pas tout, le terme de cancéreux par exemple étant couramment admis. Il y a peut-être un rapprochement avec le terme anglais schizophrénie qui n’a pas le même sens, notamment dans le cadre des schizophrénies aiguës (donc par définition non structurelles) alors que dans la classification clinique française on parle de « bouffée délirante aiguë ». Un autre argument évoqué est le risque réel de stigmatisation des patients à laquelle les familles sont très sensibles ; ce qui pose la question de l’annonce du diagnostic de maladie mentale. Pour nous celle-ci doit se faire à un moment où la relation entre le patient et son psychiatre le permet : rarement lors de la 1re hospitalisation (ne serait-ce que parce que du recul est nécessaire) et parfois au bout de quelques années. Nous avons été surpris à plusieurs reprises par la connaissance du diagnostic lorsque la question est posée au patient. Il arrive qu’après l’annonce du diagnostic le patient accepte nettement mieux de prendre un traitement neuroleptique et antipsychotique. La maladie justifie à ses yeux le traitement et ses éventuels effets secondaires.

Il faut cependant toujours avoir à l’esprit – et le rappeler dans notre transmission – que le diagnostic en médecine et encore plus en psychiatrie – est une représentation collective de la maladie forcément évolutive et liée à l’environnement. Certains oublient aussi en psychiatrie l’influence de l’observateur sur la personne observée alors que cette influence est admise dans toutes les sciences y comprises celles-dites dures comme la physique (cf. les découvertes de la mécanique quantique).

C’est avec circonspection que devra être enseigné en psychiatrie – et même en médecine – le concept anglo-saxon de « médecine fondée sur les preuves » en raison de la relativité des preuves. Après la description du diabète dès l’antiquité (excès de boissons avec urines abondantes), les médecins découvriront ensuite que l’urine contenait du sucre : pour compenser cette perte de sucre, on conseillait au patient de manger beaucoup de sucre : erreur fatale mais logique et fondée sur des preuves.

Pour éviter que le déni de la maladie mentale soit la base de la formation initiale des futurs médecins, il est important que l’enseignement soit dispensé au plus près des populations touchées par les psychoses et les névroses, dans les centres hospitaliers universitaires, dans les secteurs de psychiatrie sans oublier la psychiatre privée. La variété des populations et des formes cliniques de la maladie mentale nous paraît plus importante que la variété des techniques de soins qui changent vite et peuvent être apprises lors de la formation continue. L’ensemble du dispositif de soins psychiatriques doit être accessible aux futurs psychiatres mais aussi aux médecin généralistes pour qui notre discipline constitue une part importante de leur activité.

Un des points essentiels à transmettre – mais sans doute un des plus difficiles – est l’importance et la richesse des entretiens. La lourdeur des protocoles que l’on veut nous imposer (notamment la standardisation des dossiers) est une gêne pour la spontanéité des entretiens et l’outil informatique est un tiers parfois encombrant. Un de nos collègues psychiatre nous a rapporté qu’il a vu un jour un patient venu le consulter après un détour par un collègue avec lequel, confie-t-il, « cela s’était mal passé ». Explications : « le psychiatre m’a posé un tas de questions qui s’inscrivaient sur son ordinateur. Puis les réponses ont été « moulinées » et il m’a déclaré : « je ne peux rien pour vous, vous n’avez pas de dépression ».

Si les nouvelles générations continuent à être formées au traitement de la maladie mentale – et pas seulement à la promotion de la santé mentale – on n’entendra sans doute plus de ministre de la santé nous dire, agacé : arrêtez de me parler des schizophrènes.

Nous terminerons comme nous l’avons commencé avec Hippocrate qui dans un aphorisme enseignait ainsi quelle devait être la conduite du médecin : « qui n’est pas point poussé de travers, ni par l’espérance, ni par la crainte, ni par l’entêtement, ni par la présomption, ni par la distraction, ni par l’amour de la nouveauté. »

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La cause de la psychiatrie.
Dr Georges Jovelet
Membre du bureau National du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux

Pourquoi ce débat sur la psychiatrie d’aujourd’hui, quels en sont les enjeux ?

La psychiatrie n’est pas une discipline médicale parmi d’autres, elle est au point de jonction de plusieurs champs, celui des sciences humaines, des neurosciences, du judiciaire et du social. L’évolution des concepts et des pratiques, l’écart entre maladie mentale, souffrance psychique, handicap psychique est à mettre en perspective avec la réalité sociale, ses mutations et la nature des demandes qui nous sont adressées. Les interventions de la psychiatrie impliquent une orientation éthique : questionnement sur la norme, sur la légitimité de ses actions, sur la responsabilité d’un sujet vis-à-vis de son acte, positionnement à l’égard du pouvoir politique. Nous observons une tentative d’instrumentalisation de la psychiatrie à des fins de contrôle et de défense social sous la pression de l’idéologie sécuritaire et de la pression de l’opinion à laquelle nous résistons.

L’identité de la psychiatrie repose à la fois sur la description clinique et la classification des maladies mentales d’après la clinique, des théories sur l’origine de la signification de ces maladies et enfin sur leur traitement. Le déni de la Maladie Mentale que nous constatons aujourd’hui conjugue des motifs d’horizons divers qui émanent du patient, de sa famille, des psychiatres eux-mêmes et du pouvoir politique. Dans le glissement de la maladie Mentale vers la Santé Mentale l’accent est mis sur les violences, surtout chez les jeunes, l’alcoolisme, la toxicomanie, la dépression, la psychiatrie du sujet âgé, le suicide, le stress au travail, qui s’adressent à des populations réinsérables ou pour lesquelles on peut plus facilement développer des programmes de prévention des risques. La dimension prévention est le volet majeur de la « Santé Mentale » alors que la psychiatrie comme son nom l’indique s’inscrit préférentiellement dans la cure et le soin, même si la politique de secteur a comme mission d’assurer le triptyque prévention (les anciens dispensaires étaient d’Hygiène Mentale) soins, et postcure. Derrière le concept de Santé Mentale opèrent l’hygiénisme et l’ordre public.

Cause de la psychiatrie ou cause du psychiatre ?

Cette proposition nous parait plus juste pour parler de ce qui cause, en effet le désir soignant, le désir du soignant dans cette posture de l’être psychiatre mais aussi parler de sa cause au sens de son investissement.

Etre psychiatre de service public traduit un engagement dans les missions de ce service, au service de tous, sans discrimination d’ordre géographique, démographique et économique (J. Ayme). La pratique institutionnelle, en équipe amène à la fois a des contraintes et des satisfactions. Cet exercice implique un certain militantisme et l’amour du métier ou plutôt de l’art pour distinguer la place d’ingénieur qui est devenu le médecin moderne, du psychiatre, de ses entretiens appuyés sur la singularité de la rencontre et du transfert.

Dans le nouveau vocable de Santé mentale s’observe une réduction de tout un pan de la clinique à la faveur de l’omni-présence du trouble et un ravalement de la théorie réduite au pragmatisme, une déconstruction des pratiques (de la référence à la psychothérapie institutionnelle, celle d’une équipe pluriprofessionnelle à une approche médicalisée et gestionnaire du soin).

La déspécification de notre discipline est en marche, guidée par des impératifs économiques, technocratiques et idéologiques qui dénaturent les missions de service public, l’organisation des soins et les principes et valeurs désaliénistes, humanistes au nom de l’efficience et de la rentabilisation de nos actions.

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Le handicap au risque du déni de la souffrance psychique ?
Dr Roger SALBREUX1
Syndicat des Médecins Psychiatres des Organismes Publics, Semi-publics et Privés

La psychiatrie est une discipline relativement jeune, dont les principaux apports avant l’ère actuelle des médicaments bien entendu, se situent au xixe siècle pour la différenciation des pathologies, en particulier par la psychiatrie allemande, et au début du xxe siècle pour les apports conceptuels et thérapeutiques de la psychanalyse. Après le dernier conflit mondial, en raison des souffrances de tous ordres éprouvées pendant la guerre et aussi des progrès rapides de la médecine (les antibiotiques surtout), l’on a admis que le "progrès social" devait assumer toutes les personnes, notamment un grand nombre d’enfants handicapés, que les traitements médicaux avaient permis de maintenir en vie. Dès lors, l’exercice psychiatrique a évolué et s’est organisé en service public, pratique libérale et, pour les patients chroniques, prise en charge par le secteur médico-social associatif, originellement un des deux pôles, avec l’hôpital public, de la psychothérapie institutionnelle, et qui est actuellement en passe de devenir le "secteur du handicap", géré par la DGAS2, la CNSA3 et les MDPH4.

Par définition, dans les maladies mentales les plus graves, altérant la conscience de la réalité, il existe pour les sujets atteints, un déni plus ou moins marqué de la maladie. Nous sommes alors dans le domaine des psychoses. Pour d’autres, moins gravement atteints, il existe une conscience douloureuse de la maladie, une souffrance psychique, mais sans perte du sentiment de la réalité. Cependant, la crainte d’être stigmatisé par des réactions et/ou un comportement anormaux, demeure très vif chez tous les sujets et il est d’une grande banalité d’évoquer la difficulté en psychiatrie de consulter un praticien pour les troubles dont on souffre, alors même que la maladie mentale se situe parmi les pathologies les plus fréquentes : rappelons à ce propos les termes du rapport de l’OMS sur la Santé mentale dans le monde (2001) : "une personne sur quatre a présenté, souffre actuellement ou extériorisera dans l’avenir un trouble mental ou du comportement".

Depuis longtemps déjà, les rapports de la psychiatrie et du secteur du handicap ont été ambivalents. (R. Salbreux, 2007 a, 2008). D’une part, beaucoup de malades mentaux (déficients intellectuels et malades psychiques stabilisés) ont été, depuis les années 50, orientés vers le secteur médico-social associatif, où ils étaient censés trouver une qualité de vie plus adaptée à la chronicité de leur état, tout en conservant le bénéfice des soins nécessaires. Il est indispensable de bien noter le fait qu’en psychiatrie infanto-juvénile, cette proportion demeure très élevée et concerne également les étapes initiales de diagnostic (CAMSP5, CMPP6) et les phases aiguës de certaines pathologies, de l’adolescence en particulier (ITEP7), de sorte que le secteur en question traite et accompagne aujourd’hui la majorité de la population d’enfants et d’adolescents qui relèvent de la psychiatrie.

D’autre part, l’évolution depuis une bonne trentaine d’années de la législation et de la réglementation de ce secteur, tend à remplacer de plus en plus l’approche médicale, psychiatrique et psychothérapique, notamment institutionnelle, par le traitement social de l’inadaptation des personnes accueillies. Cette substitution s’est opérée de façon très progressive, depuis la loi du 30 juin 1975 et jusqu’à celle du 11 février 2005, laquelle représente d’une certaine manière son aboutissement. Celle-ci comporte des avancées remarquables en termes d’accessibilité à tout pour tous, répondant par là aux difficultés provenant de l’inadaptation de l’environnement et, sur un tout autre plan, en termes de compensation, censée remédier dans la mesure du possible aux incapacités de la personne. Mais elle ne parle pratiquement plus de soins, pourtant garantis constitutionnellement à l’ensemble des citoyens (article 11 du préambule de la Constitution de 1946).

Elle semble ainsi réduire la situation des personnes atteintes d’une pathologie psychiatrique, désormais dénommées les "handicapés psychiques" à l’existence de simples problèmes d’incapacité et d’accessibilité et dénier la réalité même d’une pathologie qui certes peut être séquellaire, mais qui est parfois, et même souvent, évolutive, ce qui est principalement le cas en psychiatrie. Ainsi, les soins, pourtant compris dans la compensation, sont passés sous silence au profit d’une notion relativement nouvelle d’accompagnement, effectivement bien plus intéressante que la traditionnelle "prise en charge", qui pendant des décennies a voulu représenter de façon assez maladroite la formule originelle "l’éducation et les soins"8. Mais cet accompagnement, riche en effet d’un respect plus marqué et d’une plus grande participation de la personne accompagnée, ne comporte hélas plus aucune dimension curative.

Tout se passe comme s’il y avait un abandon de fait du modèle curatif et des espoirs de changements importants qu’il implique, en faveur d'un modèle normatif, pour lequel seules les capacités présumées de l'individu seraient mobilisables. Or, le modèle normatif (ou ré-adaptatif) exclut en l'occurrence le travail au cas par cas. Le premier est basé sur l’idée de "déviance" qu’il faudrait ramener à la "normale" et sur le formatage éducatif de citoyens qu’il faudrait rendre en tous points identiques, rejoignant en cela le concept de "Santé mentale" qui s’intéresse au bonheur de grandes masses de population, dont il est possible d’appréhender les déviations par l’étude épidémiologique des enchaînements de symptômes, et dont la "réduction" permettra peut-être un retour à la conformité comportementale.

Pour les plus jeunes et devant l’échec de la politique d’intégration scolaire organisée, dans le cadre de l’ancienne loi du 30 juin 19759, par les circulaires d’intégration scolaire de janvier 1982 et de janvier 198310 et par la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, la nouvelle loi, celle du 11 février 200511, bannit "l’éducation spéciale", malgré les éminents services qu’elle a pu rendre, donne une large préférence à la "scolarisation" en milieu ordinaire et préconise pour cela une inscription scolaire pour tous les enfants, valides ou handicapés, dans leur école de proximité, une école censée devenir désormais plus inclusive, ce qui répond au souci majeur de changer le regard des futures générations sur "l’autre différent" qu’elles auront ainsi pu côtoyer à l’école depuis leur plus tendre enfance.

Cette politique volontariste se heurte hélas à l’absence de tout moyen prévu dans la nouvelle loi pour en conduire l’application et aussi à des résistances de tous ordres. Celles-ci résultent de la décentralisation, instaurée par la loi, du dispositif d’évaluation et de décision indispensable pour orienter les patients. Cette création du "guichet unique", la MDPH, rattachée au Conseil général, a entraîné une opposition de fait entre les Conseils généraux et la CNSA12, censée à la fois répartir la manne financière dévolue à la politique du handicap et veiller à l’équité de traitement entre les différentes régions.

Ces résistances proviennent également de l’impréparation notoire de l’Éducation nationale à cette tâche nouvelle et à la pesanteur même de cette vénérable institution. La faiblesse des moyens mis à la disposition de cette "scolarisation" (pas de formation des professeurs des écoles, classes maternelles et élémentaires surchargées, auxiliaires de vie scolaire, autrement dit AVS, également non formés et au statut précaire13) est sans doute encore remédiable. Mais elle entraîne chez la plupart des enseignants une panique bien compréhensible, surtout lorsqu’ils ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie. De plus, cette inscription "obligatoire" à l’école _ordinaire_ suggère chez un grand nombre de parents l’illusion d’une scolarité normale pour leurs enfants, ce qui doit être compris à l’aune des mécanismes de défense les plus habituels de tout un chacun devant la souffrance occasionnée par une faille dans la filiation.

Dès lors inscrire, sans précaution spéciale et sans accompagnement professionnel, un enfant handicapé à l’école et le voir ensuite renvoyé pour orientation vers la MDPH dans des conditions parfois assez expéditives, revient pour les parents, soit à une prise de conscience brutale de la réalité, une sorte de deuxième annonce du handicap très mal effectuée et assumée, soit à un entretien artificiel du déni de la pathologie par la famille, ce qui peut aider les parents à vivre, mais certainement pas l’enfant à s’épanouir et à progresser. C’est ce qu’un ami aveugle, lui-même enseignant, désignait il y a quelques jours à peine par une image parlante - l’intégration pot de fleurs - !

Le regroupement de toutes les décisions à la MDPH entraîne des effets pervers à tel point que l’on peut se demander s’il ne serait pas utile de rétablir les CCPE14. En effet, sous l’emprise de la loi du 30 juin 1975, il suffisait de réunir cette instance interne à l’Éducation nationale, pour apporter, par exemple, le soutien d’une orthophoniste à un enfant dyslexique. Maintenant, il faut l’adresser à la MDPH, avec la stigmatisation que cela comporte et que les parents refusent15.

Depuis quelques mois, de nombreuses observations remontent du terrain, faisant état d’enfants qui, à l’école ordinaire, ne supportent pas la mise en concurrence avec des élèves plus doués qu’eux-mêmes et se mettent en échec ou encore qui souffrent de la violence de ces derniers à leur égard. Chacune de ces deux situations confine à la maltraitance. De plus, des enseignants commencent à rapporter nombre d’impasses pédagogiques engendrées par la présence d’enfants perturbés, aux troubles du comportement parfois difficilement supportables, rendant impossible la gestion de leur "groupe classe"16.

Ainsi, la souffrance des enfants handicapés ou malades et en particulier leur échec scolaire ne sont pas mieux pris en compte que celle des autres enfants, valides, dès lors que l’enseignant(e) n’a plus le temps de s’occuper d’eux ! Peut-être peut-on rappeler que ces problèmes n’ont guère varié depuis plus d’un siècle : en effet, lorsque D. M. Bourneville demandait au Ministre de l’Éducation de l’époque à bénéficier du détachement de quelques instituteurs pour guider les apprentissages de ses enfants - arriérés - de Bicêtre, il s’était vu répondre « Quand accepterez-vous dans votre service ces enfants turbulents et indésirables qui perturbent nos classes ! » (J. Gateaux-Ménnecier, 1989).

Ce constat ne condamne absolument pas l’inclusion d’enfants handicapés et/ou présentant des troubles du comportement dans une classe ordinaire, mais met en cause le caractère dérisoire des moyens mis en face des nouveaux besoins éducatifs que la nouvelle législation a fait apparaître17 et le degré d’impréparation des professeurs des écoles. Cela devrait amener l’administration à se départir de toute idéologie, dont on sait le caractère nocif en la matière, à constater l’extrême difficulté d’un travail d’équipe organisé, approfondi et suivi, entre les enseignants et les structures de soins antérieurement incluses dans le dispositif médico-social en charge de cette population. Ce dernier devrait maintenant constituer un précieux pôle de ressources, travaillant en étroite collaboration avec l’Éducation nationale18 et finalement inciter cette dernière à réformer profondément ses propres outils de formation, afin de tenir compte de la situation nouvelle, créée par la loi du 11 février 2005, sans sacrifier pour autant, ni les élèves malades ou handicapés, ni ses propres enseignants.

Au niveau des institutions, cette forme particulière de déni de la maladie mentale, jointe à une démédicalisation rampante et presque achevée du secteur médico-social, pose un sérieux problème d’identité aux quelques psychiatres qui croient encore à leur place dans ces structures, où ils ne sont plus remplacés en cas de départ à la retraite, de démission ou de licenciement (ces deux derniers cas étant de plus en plus fréquents). De plus, certains gestionnaires d’établissements ou services leur font désormais bien comprendre qu‘ils sont de simples prestataires de services, surtout utiles pour justifier la prise en charge du prix de journée par l’assurance-maladie et condamnés par leur faible présence horaire dans l’institution à ne plus faire vraiment partie de l’équipe. Certes, le clivage entre "l’éducatif" et le "médical", ne date pas d’hier et fait parie d’une dynamique institutionnelle bien connue, mais, lorsque le psychiatre est chassé de l’établissement et la clinique avec lui, c'est le plus souvent en contradiction avec le souhait des équipes elles-mêmes qui connaissent l'intérêt de sa présence et même la réclament.

Prenons en effet pour exemple les services (CAMSP, CMPP), ou les établissements médico-sociaux (IME, ITEP, etc.) pour enfants : dans ce type d’institutions, les professionnels savent bien que la pédopsychiatrie est garante de l'attention constante qu'une équipe peut porter à la construction psychique de l'enfant et venir ainsi étayer l'amélioration de son efficience dans les apprentissages, en dépit d'une problématique neurologique ou biologique, aux effets plus ou moins bien décrits. La pertinence de ce travail clinique, de compréhension des difficultés du sujet et d’accompagnement dans le dépassement de ses limites supposées, se vérifie tous les jours, au cas par cas.

À l’opposé du modèle normatif évoqué plus haut, le modèle clinique se veut à l’écoute de la souffrance du sujet, pour trouver avec lui les moyens médicamenteux, psychologiques ou sociaux de s’épanouir, réussir et mieux vivre. L’approche médicale, l’accompagnement, la remédiation, l’éducation, ne sont que des moyens pour atteindre ce but ultime qui est strictement individuel. La tendance actuelle de ne considérer que l’aspect extérieur et - gênant pour autrui - de la problématique, à savoir le comportement, jointe au dictat de l’efficacité à tout prix sur la seule partie visible et donc "évaluable" du résultat, risque de conduire à un désastre annoncé : la dévaluation de l’humain.

La norme qui tend à s’établir à la faveur des deux dernières lois concernant le handicap (celles du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005) est bien celle des performances scolaires, comme en témoigne la discussion actuelle sur l'exclusion probable des établissements, dits désormais "d'éducation" (IME, ITEP, etc.), du périmètre des futures ARS19. Or, s'agissant d'enfants qui, de ce point de vue, connaissent les plus grandes difficultés, cette perspective est particulièrement discriminatoire.

Chacun peut réaliser aisément que l’on se trouve là aux antipodes de la psychothérapie institutionnelle, qui a fait jadis la gloire de ce secteur, ce qui induit corrélativement la crainte de difficultés croissantes pour la "bientraitance" des équipes et donc, pour celle des patients, dont celles-là gardent cependant l’entière responsabilité. Ce travail collectif avait en effet pour objectif de rendre l’institution thérapeutique, non seulement en assurant la convergence des efforts, forcément divers d’une équipe pluridisciplinaire, grâce à l’échange des points de vue de professions et de pratiques fort différentes, mais aussi en inscrivant ces divers apports dans une direction unique, celle du choix d’un fonctionnement institutionnel commun et naturellement, celle de l’épanouissement de l’enfant, bref, dans une perspective transdisciplinaire et curative.

Reléguer systématiquement les patients dans des structures "ordinaires" dans un louable souci d’intégration, c’est aussi les diluer dans la société jusqu’à ce qu’ils ne s’en distinguent plus. Cela revient à réduire la maladie mentale par le déni de son existence, ce qui concrètement signifie, laisser à leurs parents qui n’en peuvent plus, des enfants, des adolescents ou des adultes très malades et/ou lourdement handicapés, voire encore, condamner ces derniers à la rue ou à la prison. Cela ne nous semble pas représenter une démarche scientifiquement et politiquement constructive. Obliger de plus le secteur médico-social à s’autodétruire au nom d’une idéologie et d’une amélioration de sa - rentabilité -, cela nous parait se situer tout à fait à l’inverse d’une démarche éthiquement acceptable.

Sur le plan éthique en effet, il existe à nos yeux une nécessité essentielle de considérer l’enfant, l’adolescent et l’adulte handicapés, comme des exemples, parmi d’autres, des variations de la normale (R. Salbreux, 2007 b), voire comme des illustrations, des cas de figure, des situations extrêmes (G. Saulus, 2007) auxquelles notre humanité nous confronte. Que cette exigence découle des quelques remarques ci-dessus exposées ou qu’elle en soit la source, cela nous amène obligatoirement à une réflexion sur le statut des différences constatées. Même si l’écart observé ici est, en raison même de la pathologie, d’une nature particulièrement insupportable, on peut se demander si l’expression variable, les facettes diverses, de cette même vulnérabilité humaine, ne se ramènent pas en tant que telles, à une remarque à la fois paradoxalement gênante et d’une banale trivialité : le caractère "normal" de l’anomalie ou de la malformation. Autrement dit, ne faut-il pas considérer avec H. J. Stiker (1982-2005) qu’il est urgent d’inscrire « dans nos modèles culturels la prise en considération de ces différences, comme une loi du réel ».

Conclusion

Nous pensons donc que si l’on veut vraiment changer le regard porté sur les personnes malades et/ou handicapées, respecter leur souffrance, leur donner leur juste place dans l’ordinaire de la vie (Ch. Gardou, 2005), créer une alternative crédible à l’hôpital, tout en conservant la qualité des soins, il faut cesser de nier la maladie et la mort, ce qui n’est que l’expression de la - peur de l’autre différent.

Par ailleurs, la relation soignants/soignés a beaucoup évolué, les personnes concernées aspirent désormais à davantage de partenariat et de responsabilité dans la gestion de leur vie et de leur santé, elles réclament plus de respect et de dignité. Il devient donc impératif, à la fois de restaurer la place de cette solution médico-sociale, certes franco-française, mais qui a fait ses preuves en alliant, qualité des soins, qualité de vie et dimension humaine. Il faut en outre l’aménager, pour tenir compte de l’évolution des mentalités et de la demande et répondre ainsi au besoin "d’accompagnement" maintenant reconnu. Enfin et surtout, lui donner la place de "pôle de ressource" qui lui revient dans l’école de tous ou dans les autres milieux de vie offerts aux personnes selon leur degré d’autonomie.


Notes

1 - Président du Syndicat des Psychiatres Salariés CFE/CGC. Vice-Président du Syndicat de Psychiatres Français, Trésorier du CASP (Comité d’Action Syndical de la Psychiatrie). Secrétaire général du Conseil National Handicap.

2 - Direction Générale de l’Action Sociale.

3 - Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie.

4 - Maison Départementale des Personnes Handicapées.

5 - Centre d’Action Médico-Sociale Précoce.

6 - Centre Médico-Psycho-Pédagogique.

7 - Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (ex IR).

8 - C’est bien là la formule utilisée dans le décret du 9 mars 1956 et dans l’arrêté du 7 juillet 1957, mais elle avait l’inconvénient d’être difficilement applicable aux adultes.

9 - Loi d’orientation en faveur des personnes handicapées.

10 - Circulaires Nicole Questiaux

11 - Loi sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

12 - Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie.

13 - L’augmentation récente du nombre de ces personnels ne compense pas leur totale absence de formation et le fait que, travaillant à temps partiel, ces auxiliaires gagnent moins que le SMIC et ne peuvent guère être motivés par des perspectives de carrière, puisqu’ils perdront leur emploi au bout de trois ans.

14 - Commission de Circonscription de l'enseignement Préélémentaire et Élémentaire.

15 - Il est piquant de noter que cette stigmatisation résulte d’une directive européenne sur la non discrimination !

16 - Les enseignants d’une école de Vénissieux se sont même mis en grève en raison d’un incident de ce type. Voir à ce sujet : _Un enfant fait craquer une école_, Libération du 10 avril 2008.

17 - Ce que les auteurs anglais ont appelé depuis longtemps déjà "special needs".

18 - Voir à ce sujet trois articles du numéro 27 de la revue « Contraste » consacré à la culture du secteur Médico-social.

19 - Agences Régionales de Santé, dont la compétence s’étendra à toute l’offre de soins, y compris dans le secteur médico-social, et prendra effet le 1er janvier 2009.


Bibliographie

- Constitution de la République française (1958), Préambule de la constitution 1946, Article 11, www.assemblee-nationale ; fr

- OMS (2001), Rapport sur la Santé mentale dans le monde. Nouvelle conception, nouveaux espoirs, OMS, 1211, Genève 27, Suisse.

- GARDOU Ch. .- Fragments sur le handicap et la vulnérabilité. Pour une révolution de la pensée et de l’action .- Ramonville Saint-Agne : Érès, 2005.

- GATEAUX-MENNECIER J. .- Bourneville et l’enfance aliénée. L'humanisation de l'enfant déficient mental .- Paris : Le Centurion, 1989.

- SALBREUX R. .- Handicap et psychiatrie.- In : Journal de Psychiatrie, 2007.

- SALBREUX R. (2007 b), La normalité de l’anormal : handicap, normes et normalité. In : A. Ciccone, S. Korff-Sausse, S. Missonnier, R. Scelles, Cliniques du sujet handicapé. Actualité des pratiques et des recherches.- Ramonville Saint-Agne : Érès, 2007

- SALBREUX R. (2008), Handicap et psychiatrie infantile : opposition ou complémentarité ? Congrès de l’Association Française de Psychiatrie, Handicap, scolarisation, intégration, égalité des chances. De la roche tarpéienne à la loi de 2005. Les Maisons Départementales des Personnes Handicapées, etc. Paris, 8 décembre 2007, Psychiatrie Française, (à paraître).

- SAULUS, G. .- Votre enfant est un légume ! Des conditions éthiques nécessaires à toute pratique clinique en situation de handicap extrême.- In : A. Ciccone, S. Korff-Sausse, S. Missonnier, R. Scelles, Cliniques du sujet handicapé. Actualité des pratiques et des recherches .- Ramonville Saint-Agne : Érès, 2007.

- STIKER H. J. .- Corps infirmes et sociétés. (1982) .- Paris : Dunod, 2005, 3ème édit.

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Psychiatrie de cabinet de ville et maladie mentale
Dr Olivier Schmitt
Syndicat National des Psychiatres Privés

À part nos patients, et nous-mêmes, qui sait ce qui se passe dans le secret de nos cabinets ? Et ce que l'on ne connaît pas, on a tendance à l'occulter, à en dénier l'existence ou fantasmer dessus. Or, nous recevons en privé des malades en grande souffrance qui ne sont pas les mêmes, ou en tout cas pas aux mêmes moments de leur histoire que ceux qui sont suivis par les services pluridisciplinaires (hôpitaux, CMP, cliniques. CMPP etc.). Ce sont bien souvent des malades qui, par leur histoire, leur fragilité voire la gravité de leur pathologie, ne sont pas prêts, ou pas à même de pouvoir supporter la prise en charge du soin par des intervenants multiples ni de se confronter à la pathologie des autres.

Accuser les psychiatres de cabinet libéral de ne soigner indûment que des souffrances existentielles “normales” est un véritable déni de la maladie mentale et de ses processus. Dire que la consultation d’un psychiatre de ville n’est justifiée que lorsqu’il y a nécessité de prescription médicamenteuse ou besoin d’un avis d’expert est, sans aucun doute, le fait de ceux qui n’ont pas l’expérience de cette pratique.

Pourquoi une souffrance psychique signant une faille dans la structuration de la personnalité, parfois sans grande conséquence immédiate sur la vie professionnelle et familiale mais comportant un risque important de décompensation, ne serait-elle pas considérée comme une maladie ? Ce statut est donné sans discussion au diabète asymptomatique ! Pourquoi ne faudrait-il soigner que lorsqu’il est trop tard alors même que, bien avant, la demande de l’intéressé se manifeste ?

Dans ces cas, une hospitalisation n’a pas lieu d’être. Ces personnes n’ont pas toujours besoin de recevoir un traitement chimiothérapique, intervention possible à évaluer à chaque consultation. C’est l’approche psychothérapique spécialisée qui permet d’éviter bien souvent ces décompensations dramatiques et, même si cette faille n’est pas toujours réparable, au moins peut-on permettre à ces patients de réaménager à terme des systèmes de défense plus efficaces et moins coûteux psychiquement pour eux et pour leur entourage. Négliger ce coût psychique se paye tôt ou tard par de grandes souffrances sociales et par des coûts économiques désastreux.

Encore faut-il que ceux qui les soignent aient une formation et une expérience approfondies en médecine et en psychopathologie et qu’ils soient en nombre suffisant pour prendre en charge ces malades que les personnes moins averties ou obsédées par la santé mentale en termes de statistiques ne voient pas et ont tendance à en dénier l’existence.

Il faut bien comprendre que l’étude de la quantité n’informe pas sur la nature d’un objet. L’intensité d’un symptôme ou d’un syndrome peut toujours s’évaluer, en admettant toutefois que cette mesure est le plus souvent subjective, mais cela ne nous renseigne pas ou si peu sur son origine, sur les processus psychiques sous-jacents. Or, ce sont justement ces processus qui vont nous renseigner sur la stratégie thérapeutique à mettre en place. Nous recevons des états dépressifs légers dans le cas de processus psychopathologiques graves comme nous recevons des états dépressifs impressionnants d’intensité dans le cadre de processus psychopathologiques bénins, secondaires à des événements de vie par exemple.

Il n’y a pas de solution de continuité sur l’échelle d’évaluation d’un symptôme. Décider d’un seuil de morbidité a quelque chose de complètement artificiel, ce ne peut être que le fait d’une décision politique, elle peut trouver des justifications humanistes mais pas rationnelles. Seule l’origine du symptôme, éclairée par l’ensemble du tableau clinique et l’histoire du sujet, permet d’évoquer rationnellement un processus pathologique, en l’occurrence une maladie mentale.

Nous comprenons mieux ainsi l’intérêt des industries pharmaceutiques à ne parler qu’en termes de symptôme ou de syndromes. Ils ont fait leur affaire du DSM avec profit. Une fois détaché de la maladie mentale, le symptôme peut potentiellement concerner la population tout entière.

Nous aurions tort de penser que la pathologie mentale se limite aux psychoses comme le suggère l’expression “maladie mentale”. Parmi les processus pathologiques les psychiatres privés reçoivent sans doute plus de névroses et d’états limites que leurs confrères du service public. L’accès aux soins de ces personnes exige des conditions de travail particulières auxquelles répond le cabinet de ville.

Les décisions intempestives sur l’opératoire spécifique de ce type de pratique, viennent sans doute de la méconnaissance de leur nécessité. Il s’agit de conditions indispensables à notre action thérapeutique, préventive et complémentaire des services hospitaliers.

Je veux parler de la liberté de choix et d’accès au psychiatre qui doit pouvoir se faire à l’insu des autres intervenants. Sans cette liberté, nombre de nos patients ne viendraient pas nous voir, ou trop tard. Par exemple, le parcours de soins vécu comme obligatoire est une entrave à cette liberté.

Je veux parler de l’unicité forfaitaire de notre acte et de son paiement qui évite toute suspicion de tri des pathologies suivies et laisse la place à l’inventivité indispensable à notre efficacité en évitant ainsi l’apparition de protocoles figés dans une nomenclature éclatée. Nous nous battons, par exemple, pour que dans la future classification commune des actes médicaux (CCAM clinique) un seul acte soit conservé en psychiatrie libérale. Ce n’est pas gagné étant donné la volonté de transparence de l’assurance-maladie. On peut comprendre cette volonté, mais elle ne doit pas s’exercer de manière aveugle et respecter le ressort même de notre efficience.

Je veux parler de la confidentialité non partagée indispensable à la liberté de parole des patients. La bataille sur le droit au masquage sur le DMP était une bonne illustration de la difficulté de faire entendre notre point de vue aux confrères des spécialités MCO comme aux généralistes. Là encore, nous voyons l’importance de la spécificité indispensable de la psychiatrie.

La novlangue administrative et néolibérale à laquelle participe l’obsession protocolaire de la HAS nous inquiète dans tous les sens du terme. Certains confrères, psychiatres ou non, peuvent être tentés, pour des raisons corporatistes techniques ou carrément idéologiques, de collaborer à ce discours pseudo-rationnel dominant, aliéné aux impératifs économiques à courte vue.

Dans ce contexte, nos tutelles voudraient bien nous limiter à une fonction d’expert, sans doute pour compenser la diminution de nos effectifs. Or, il nous paraît indispensable que la fonction d’expert, que nous ne réfutons pas par ailleurs, soit assumée par des praticiens aguerris à la confrontation permanente à la psychopathologie générale et à ses traitements.

Si les dangers qui pèsent sur la pratique libérale sont, à l'inverse de nos collègues du public, peu connus voire ignorés, la conclusion est la même et nous sommes là, ensembles pour faire savoir l’essence et les impératifs fonctionnels de nos pratiques.

Nous avons bien des inquiétudes en commun avec les professionnels hospitaliers en ce qui concerne la psychiatrie en général. Les atteintes à la fonctionnalité de la psychiatrie publique nous touchent tout autant et par ricochets - ne serait-ce que le manque de personnel et de lit - et nous nous inquiétons comme eux des dérives théorico-pratiques de la discipline.

L’imposture scientifique des recherches actuellement financées directement ou indirectement par les laboratoires nous révolte. Leur puissance financière de médiatisation alimente leur impérialisme. Nous travaillons au sein de nos associations scientifiques à réhabiliter la recherche clinique et psychodynamique, tant au niveau national qu’international. Nous avons encore beaucoup à faire. Lors de notre rencontre avec les internes, au cours d’un débat sur France Culture en août dernier, nos jeunes confrères nous suppliaient, nous les seniors, de ne pas baisser les bras et prendre le temps de leur apprendre l’inventivité dans la pratique et la subversivité inhérente à notre métier. Nous sommes prêts à y répondre.

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L’éthique de la formation
Matthieu Bellahsen
Association pour la Formation Française et Européenne en Psychiatrie

La question posée par ce colloque « identité de la psychiatrie et déni de la maladie mentale » offre un tremplin inespéré, pour discuter de notre formation de jeunes psychiatres, qui est en cours de réforme.

L’identité de la psychiatrie est sans cesse remodelée par ce qui en est transmis aux plus jeunes, mais aussi par les évolutions de la demande politique et sociale. Nous souhaitons revenir sur ce qui nous concerne en premier lieu : la question de la formation.

Notre démarche est pragmatique, nous souhaitons que nous soit transmis et enseigné, le cœur même de nos pratiques : la rencontre avec le sujet en souffrance.

La question du déni de la maladie mentale traverse notre questionnement. Ce colloque aurait pu également poser la question du déni de la psychiatrie et de l’identité de la maladie mentale.

A l’heure où tout devient psychiatrisable, une réflexion épistémologique est à reprendre sur la distinction entre normal et pathologique, et également entre neurologie et psychiatrie, psychiatrie et santé mentale.

Comment penser la psychiatrie à l’intérieur du champ de la santé mentale ?

Il semble important de ne pas assimiler ces deux termes à deux synonymes. Nous sommes d’ailleurs des futurs psychiatres et non des médecins de santé mentale.

La psychiatrie ne peut et ne doit répondre à toutes les demandes sociétales, au risque de perdre son identité.

Si cette conception toujours croissante de santé mentale n’est pas circonscrite dans un champ précis, et qu’elle se voit englober l’ensemble des problèmes et des demandes sociales, alors en effet, le déni de la maladie mentale connaîtra encore des jours heureux.

Dans ce contexte, comment transmettre la psychiatrie ?

La psychiatrie est pour nous, l’exercice mettant en tension les sciences humaines, les sciences biomédicales, le contexte social.

Cette alliance a permis au sortir de la seconde guerre mondiale, d’une part d’énormes progrès thérapeutiques, avec le premier neuroleptique en 1952 ; et d’autre part la fin des asiles de type concentrationnaires, avec le mouvement de psychothérapie institutionnelle, de désaliénisme et la création du secteur.

Rappelons que ce travail d’avant-garde a permis de transformer l’hôpital psychiatrique, notamment par le développement des prises en charge extrahospitalières et par la réintégration du malade mental dans la cité. Un nouveau rapport a pu voir le jour entre les patients, leurs familles, la psychiatrie et la société.

De cette problématique large, à la jointure du médical, du psychique et du social, une question éthique vient se poser à nous en tant que futurs professionnels.

Nous essayerons de déterminer quels sont les points essentiels qui doivent constituer le socle de notre formation de futurs psychiatres.

Cette formation est l’articulation entre des théories et des pratiques, qui s’appuient sur un trépied, comprenant : enseignement théorique, formation pratique et formation personnelle.

Nous pouvons schématiser ceci : la théorie s’enseigne dans nos séminaires, colloques, journées de travail, organisés tant par les universités, les hôpitaux, que par notre association et d’autres.

La pratique, quant à elle, est l’apanage de nos lieux de stages, elle comprend la formation aux psychothérapies.

L’enseignement universitaire nous apprend le savoir médical et technique de la psychiatrie : les dernières avancées neurobiologiques et génétiques ainsi que les modèles actualisés des savoirs (cognitif, comportementalisme, psychanalyse, systémique…).

Les neurosciences, la recherche fondamentale nous sont enseignées ainsi que la connaissance des thérapeutiques médicamenteuses.

D’ailleurs, notons que le manque de formation de qualité pour la prescription de psychotropes est à ce jour, préoccupant. La majorité des internes sont « guidés » par l'industrie pharmaceutique, ce qui constitue un conflit d'intérêt évident fortement préjudiciable pour la qualité des soins.

La garantie d'une formation indépendante de l'industrie pharmaceutique est indispensable pour assurer une prescription rationnelle dans l’intérêt du patient et cela, au meilleur coût pour la collectivité. Les conflits d'intérêts, s'ils existent, doivent être mentionnés, de façon claire et transparente, dans les enseignements.

Les savoirs étant en perpétuelle évolution, l’enseignement initial doit permettre au jeune psychiatre d’acquérir des bases, méthodologiques et critiques, qu’il mettra ensuite en œuvre au cours de sa carrière et de sa formation continue.

Actuellement, nous ne sommes que peu sensibilisés aux sciences humaines. A l’image de sa discipline, le psychiatre ne saurait se cantonner à l’acquisition de connaissances scientifiques, sans se couper de ceux, patients et citoyens, qui sont amenés en permanence à avoir affaire à nous.

L’enseignement théorique permet d’avoir une base commune pour se repérer dans le vaste champ de la psychiatrie et d’appréhender l’individu dans sa complexité d’être vivant, en souffrance.

Cet enseignement théorique va toujours de pair avec la transmission des pratiques.

La transmission des pratiques

Dans notre spécialité, l’existence d’une relation singulière entre le patient et son psychiatre, constitue un outil fondamental du soin. (Nous n’avons pas d’examens radiologiques ou de bilans sanguins pour aider à la prise en charge).

La transmission des pratiques s’opère sur les lieux de nos stages, par le compagnonnage de nos aînés. La transmission y est horizontale et s’effectue dans le contact avec les patients.

C’est à ce niveau que s’élabore le travail de la relation thérapeutique entre un patient, les soignants et l’institution.

La psychiatrie est aussi complexe que l’humain dont on prend soin, la diversité des pratiques nous permet d’y faire face.

Le maintien de cette diversité dans le choix de nos stages (hôpital de secteur, service universitaires, centre médico-psychologiques, hôpitaux de jour etc…) constitue le garant d’une bonne formation.

Nous pensons d’ailleurs que le lieu privilégié de cette formation doit être le service public dont les praticiens ont vocation à participer à cette mission d’enseignement et de soins.

L’unanimité des internes reconnaît que la psychothérapie (quelque soit sa forme) occupe une bonne partie de nos pratiques. De ce fait, il y a urgence à mieux l’intégrer dans notre formation.

Ceci, actuellement, est loin d’être le cas.

Dans ce travail quotidien, à chaque nouvelle rencontre avec un patient, se joue pour nous, la remise en question nécessaire de tous nos savoirs.

La formation personnelle

« Il ne faut pas oublier que la source de notre expérience ne réside pas uniquement dans la raison, mais aussi dans les sentiments. » Binswanger

La formation personnelle est essentielle au développement de notre sensibilité de soignant.

Cette formation est multiple : travail de contrôle, supervisions, psychothérapies et psychanalyses personnelles, groupes de travail… Ces espaces nous permettent d’élaborer nos attitudes et contre attitudes envers nos patients.

Ces phénomènes conscients ou insu sont fondamentaux pour le soin psychiatrique.

Les temps personnels permettent également le travail de lecture important qu’impose notre spécialité. Ce sont autant d’éléments qui enrichissent notre connaissance de l’Homme, de sa psyché, de sa souffrance.

Nous aimerions, en illustration de notre propos, citer une phrase de Minkowski, psychiatre français du xxe siècle :

« Observer en spectateur impassible, comme on le fait quand on regarde une coupe au microscope, énumérer et classer les symptômes pour aboutir à un diagnostic soi-disant « scientifique » par raison pure, ne nous suffira point. Nous ferons aussi entrer en jeu notre personnalité vivante et mesurerons, en confrontant avec elle, le caractère particulier de la façon d’être de nos malades. Du résultat de cette épreuve, nous ferons un élément important de notre jugement psychiatrique sur lui. »

En conclusion

Nous sommes traversés par la grande Histoire et les petites histoires des psychiatres, des soignants et des patients qui nous ont précédés, en somme, tout ceux qui se sont posés et se posent en permanence la question de la folie et de la maladie mentale.

Nous avons intitulé notre propos « éthique de la formation », éthique est à prendre au sens de l’invariant, de la ligne fondamentale, qui permet de soutenir la rencontre avec le patient et de pouvoir le soigner.

L’éthique de notre formation passe par la transmission d’une clinique psychiatrique humaine, concrète et vivante articulée autour de la relation thérapeutique toujours unique et singulière. Nous ne saurons admettre la perte de la diversité des pratiques, des enseignements (tant neuroscientifiques que psychothérapiques) au profit d’une protocolisation et d’un assèchement de notre discipline.

Nous tenons à remercier le CASP pour l’invitation à cette tribune et souhaitons dire à nos ministères de tutelle ainsi qu’à nos enseignants, notre souhait de participer activement, en concertation avec eux, aux futures réformes.

Pour finir, une citation du philosophe Jean Naudin qui résume en peu de mots notre problématique.

« Enseigner la psychiatrie n’est pas tant former à une technique qu’à la philosophie qui la sous tend.

Il est important d’envisager un enseignement de la psychothérapie, mais il est également fort dangereux de présenter cet enseignement comme l’apprentissage d’une technique.

La technique se fait volontiers l’instrument de la domination. Cela est vrai de la psychothérapie comme de la prescription.

L’enseignement pratique consiste en la transmission d’une éthique bien plus qu’un mode d’emploi. »


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