Une autre lettre que nous aurions pu adresser à nos patients (et nous le pouvons toujours...)

Christophe Delcourt
Retour au sommaire - BIPP n° 21 - Mars 1999

Le Dr. Christophe DELCOURT, psychiatre à Reims, nous a adressé début février un texte qu’il avait rédigé comme "Troisième lettre à mes patients" et consacré au secret, dont nous pensions nous inspirer jusqu’à ce que l’actualité professionnelle (la lettre des ministres) nous amène à recentrer sur ce dernier événement le projet de lettre aux patients que vous venez de recevoir. Nous pensons néanmoins utile de vous communiquer dès à présent cette élaboration très pertinente, dont vous pourrez faire votre profit.

Madame, Mademoiselle, Monsieur,

Dans mes deux précédentes lettres, j’ai tenté de vous informer des enjeux de la loi Juppé reprise par Mme Aubry. Il y a un point essentiel dont je tiens à vous parler aujourd’hui. C’est celui du secret médical.

Celui-ci pour les médecins est absolu et inaliénable, limité seulement par la déclaration obligatoire de quelques maladies aux fins de protection de la collectivité. Vous mesurez sans doute l’importance de ce secret dans la discipline dont je m’occupe. Il s’agit là des choses humaines les plus intimes qui ne sauraient souffrir la moindre divulgation.

Or, aujourd’hui, ce secret est menacé par le plan Juppé-Aubry. Vous avez reçu une carte " vitale " qui doit permettre, dans un premier temps, de transmettre par voie informatique la partie administrative des actes médicaux puis à terme, sur la carte " vitale II ", l’ensemble de votre dossier médical. C’est un système dangereux pour chacun comme pour la collectivité.

Contre l’avis des professionnels de la télécommunication, de l’informatique et des professionnels de santé, les gouvernements successifs ont imposé un système informatique clos dans lequel les données circuleraient " librement ". Ce système n’est pas viable et l’assurance de sa sécurité est mensongère. Tout code suppose son décodage et la presse est friande des " petits génies de l’informatique " qui pénètrent tous les systèmes pour y laisser leur signature sous forme de " virus " ou bien revendre les données piratées.

Dès lors, les conditions d’un marché noir de l’information médicale sont en place. Quiconque, placée dans ce système, pourra obtenir toutes les informations vous concernant : le diagnostic, le traitement, les données de toutes sortes etc… et surtout croiser les nombreux fichiers informatiques existant déjà. Jusqu’ici les données médicales étaient en lieu sûr au cabinet du médecin. Ce système permettra de les mettre massivement à disposition. C’est cette offre qui constitue la tentation frauduleuse ( c’est bien l’offre qui crée la demande).

Croyez bien que nombreux sont ceux qui y sont déjà intéressés : les compagnies d’assurance qui pour résilier les " sujets à risque " augmentent leurs cotisations brutalement de cent pour cent. Imaginez le résultat quand ces décisions seront anticipées à partir de la connaissance d’un diagnostic tant dans l’assurance-vie que pour l’assurance-maladie. Un employeur indélicat, voire une administration ou un gouvernement, disposeraient là d’un pouvoir inquiétant. Par le jeu des participations croisées entre sociétés ainsi que grâce à la revente juteuse des données informatiques, nous pourrions nous préparer à un contrôle très serré.

C’est la porte ouverte aux montages les plus saugrenus et à une façon de traiter les êtres humains " par paquets " qui pourrait rappeler les heures les plus sombres de notre histoire. C’est un enjeu du lien social pour aujourd’hui et demain.

Nous avons à et nous allons résister à ces dispositions. Mais les seuls médecins ne peuvent faire valoir ce choix quant au secret médical. Ce problème concerne chacun d’entre nous. Aussi je vous appelle à réfléchir à cette question, à en parler autour de vous, à interroger vos élus, à questionner votre caisse d’assurance-maladie, le Conseil de l’Ordre des Médecins voire les autorités de l’État. Il importe sur ces questions d’obtenir des réponses claires et certaines.

Dr Christophe DELCOURT


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