Correspondance

Retour au sommaire - BIPP n° 21 - Mars 1999

Collectif Santé Midi-Pyrénées

Turbulences et incompréhensions dans le champ de la Médecine. Rendre compte ou rendre des comptes : la nécessité d’un large débat de société (extraits).

Si le Gouvernement, avec les Caisses d’Assurance Maladie, ne conçoit la gestion des dépenses de santé que sur l’unique aspect comptable, cette vue nous semble réductrice et peu représentative des graves questions qui soulèvent l’orientation du système de soins et le mode de régulation des dépenses de santé. Néanmoins cet aspect financier est un élément qu’il faut sans aucun doute prendre en compte.

Dans le contexte social actuel, où le travail perd sa valeur d’organisateur social, nous sommes amenés dans nos cabinets à rencontrer une frange sans cesse grandissante de la population vivant à coté du monde du travail (chômeurs, Rmistes, désocialisés…), il nous apparaît plutôt mal venu, voire indécent, de nous placer en victimes des mesures gouvernementales pour aborder avec nos patients la question d’un soin de qualité pour tous. Le rôle du médecin ne consiste-t-il pas en premier lieu à entendre la plainte des patients pour ensuite en prendre soin de la manière la plus adaptée ? […] Il ne s’agit pas pour nous d’inverser les rôles, nous excluons donc le fait d’énoncer notre plainte et de nous poser en victimes auprès de nos patients.

Depuis ces derniers mois, on assiste de toutes parts à un amalgame dangereux qui consiste à mettre sur le même plan d’analyse les dépenses de santé et les revenus des médecins. Le Ministère de la Solidarité a contribué à ce contresens en tournant en dérision la grogne des spécialistes au sujet de la “sanction financière” (clause de sauvegarde). Par cet effet d’annonce, il a laissé entendre que le niveau de revenus des spécialistes était suffisant pour négliger leurs revendications, écartant ainsi un débat plus grave de politique de santé. […] Cet amalgame fâcheux entre coût des soins et honoraires court-circuite une réflexion touchant à la déontologie des soins.

L’originalité du système de soins français, qui n’est ni complètement libéral ni complètement fonctionnarisé, a évité jusqu’à maintenant une médecine à deux vitesses comme cela se produit dans d’autre pays d’Europe. Sa fragilité tient en ce compromis risqué qui prend en compte à la fois des exigences du collectif et de l’individu. Il serait dommage qu’une exigence comptable fasse basculer l’équilibre du coté d’un pragmatisme systématisé soucieux d’une efficacité immédiate à moindre coût où la responsabilité de chacun, et donc sa liberté, risque de se trouver atteinte.

Si le libre choix du médecin et le mode de paiement à l’acte, individuel et direct s’apparentent bien au système libéral, la rémunération des actes et des dépenses de santé reste à charge indirecte de la collectivité représentée par les Caisses d’Assurance Maladie, les Mutuelles de santé et plus récemment les Conseils généraux. C’est sur ce point critique, paradoxal même, que le système de santé français trouve toute son originalité, sa souplesse, sa fragilité aussi…

Les politiques de santé menées depuis ces dix dernières années et l’évolution socio-économique ne nous permettent plus de nous bercer dans l’illusion d’exercer de manière strictement libérale et de nier notre étroite dépendance à la collectivité. En d’autres termes, nous réalisons que nous ne sommes pas des libéraux mais bien des contractuels d’État exerçant en individuels. C’est à ce titre que nos instances de tutelle et de gestion nous rappellent avec insistance, voire menace, que notre travail devient trop coûteux pour la collectivité sociale.

En tant que membres actifs et bénéficiaires de la collectivité sociale, il nous semble important de prendre en considération l’actualité et la réalité de la question comptable. Or, qu’elle intéresse le domaine public ou " pseudo-libéral ", la délivrance de soins auprès de la population ne peut être autrement que coûteuse pour la société, d’autant plus que les moyens techniques et thérapeutiques, toujours plus coûteux, progressent rapidement.

Si le médecin clinicien juge du bien fondé d’un examen complémentaire ou d’une attitude thérapeutique, c’est en se référant à une ligne de cohérence médicale ; scientifique et humaine. Du fait de la répartition collective du coût des soins, il nous paraît légitime que le praticien ait à rendre compte, non directement du coût, mais bien de la cohérence même de sa pratique. En précisant que ce " contrôle" ne peut pas s’exercer sur une évaluation globale des pratiques, ni sur un mode purement comptable, ni par le biais des profils comparés qui excluent la singularité du patient et la réalité de la relation thérapeutique individuelle. C’est donc sur ce point de la cohérence et de la singularité d’une orientation thérapeutique donnée qu’il nous paraît fondamental de situer l’évaluation de notre travail de clinicien. Il est hors de notre compétence professionnelle de rendre des comptes sur nos pratiques car elles s’inscrivent dans un contexte macroéconomique qui nous dépasse et dont nous ne sommes pas les seuls acteurs. En revanche il est de notre compétence de rendre compte (individuellement et collectivement) de la cohérence de notre exercice, et c’est aux organismes de tutelle qu’il appartient alors d’en évaluer le coût.

Se limiter à un point de vue strictement médical corporatiste risque de réduire les réponses au seul aménagement conventionnel entre syndicats de médecins, organismes payeurs et ministères de tutelle. Si l’exigence d’une économie comptable nécessité un plan de réforme, elle n’autorise pas une société démocratique et libérale à faire l’économie d’une réflexion sur le sens d’une réforme qui touche à l’intimité profonde de l’individu et à l’équilibre toujours précaire de la collectivité. Il est urgent que s’ouvre en France un réel et large débat sur la Santé. Toujours plus coûteuse certes, la Santé n’en reste pas moins l’affaire de chacun et de tous.

 


Dr Suzanne DELORME, psychanalyste (Isère)

Ne soyons pas dupes !
(extraits)

Toute personne qui a pris la peine de se poser la question, sait que la longévité augmentant et que les progrès de la médecine étant de plus en plus onéreux, le coût de la santé suit me courbe exponentielle qu'aucun État ne pourra assurer comme telle. (Peut-être faudrait-il faire prendre conscience à l' " opinion politique " que la médecine, "sauvant " de plus en plus de personnes, " fabrique " de fait de plus en plus de malades et d'handicapés). Nos politiques savent cela. Pourquoi n'ont-ils pas ouvert le débat ? Pourquoi n'énoncent-ils pas, la question de fond ? Parce que la seule réponse est une prise en charge privée d'une partie des dépenses ; ce qui signifie la fameuse " médecine à 2 vitesses " qu'aucun politique ne peut proposer sans perdre les élections suivantes.

Alors cessons d'être naïfs : toutes les mesures poussent les médecins à se déconventionner : évidemment. Les politiques ne veulent pas détruire " la médecine " mais seulement l'idée " du meilleur soin remboursé par la Sécurité sociale, pour tous " : Et en laissant bien sûr le rôle du " méchant " aux médecins, se gardant celui du " gentil " qui sauve la Sécurité sociale, aide les plus pauvres etc.

Ne soyons pas dupes [d’un discours pervers]. Ils doivent faire évoluer la société à son insu, car la société n'est pas encore capable d'entendre que le temps de l'enfance - assistance est terminé. Comment dire à ses enfants qu'on leur coupe les vivres ? Insoutenable. Alors, on leur raconte un conte (la vie est belle…) : nous voulons votre bien, nous luttons pour votre bien et nous allons montrer aux médecins où est votre bien. S'ils résistent, c'est qu'ils préfèrent leur confort à votre bien. Votez pour nous qui vous défendons !

Le but de ces manœuvres est bien sur qu'un bon nombre de médecins se déconventionnent (les méchants, avides, sans soucis des " pauvres ", sans conscience morale, sans éthique - quel galvaudage ! - sans humanité, etc.) afin d'alléger les dépenses de Sécurité sociale, d'installer une assurance privée, une médecine qui tourne sans l'aide de l'État […].

Allons-nous nous faire manipuler ? Ou jouer au plus pervers ? Ou décoder le discours pour le rendre inopérant ? Ou ignorer ?

La seule arme du politique et du pervers, c'est la peur et non la loi ! (d'ailleurs le Conseil institutionnel vient de démontrer que ce discours n'est pas dans la loi…). Il suffirait que tous les médecins se déconventionnent pour que le débat de fond s'ouvre. Pourquoi non ? Parce que nous avons peur; peur de l'avenir ; peur de perdre nos patients ; peur que les autres ne le fassent pas… Et c'est la seule arme de nos politiques : notre peur. Nous avons bien sur plein d'alibis : notre éthique, le souci du bien des autres, notre sens de la responsabilité, notre serment, notre porte-monnaie, etc… Et une seule raison : la peur. Nous marchons dans le jeu pervers et nos cris et protestations n'ont dans ce jeu là aucune valeur. Dans ce jeu, ou on marche ou on ne marche pas.

Comme l'enseigne le judo, pour mettre l'adversaire au tapis, il faut utiliser son énergie, accompagner son mouvement, le pousser jusqu'au bout. Ils manœuvrent pour que, pensant lutter contre eux, nous nous déconventionnions. Alors déconventionnons nous tous. Accompagnons la manœuvre. Une fois l'adversaire au tapis, nous serons en mesure de parler. D'égal à égal. Condition sinequanon de toute parole. Et là, enfin nous pourrons défendre nos idées. Mais à ce moment là seulement. Sans duperie et avec la loi.


Notre réponse :

[…] Il y a certainement une réalité/vérité à faire éclater, englués que nous sommes dans le discours politique qui nous piège.

Le conventionnement fut dans les années 60 une concession majeure du corps médical qui, en renonçant à la liberté tarifaire, entendait par là autoriser le plus large accès aux soins pour tous. Cet acte d’engagement social nous est reproché aujourd’hui comme un privilège (la solvabilité des patients) justifiant de notre part toutes les soumissions, en nous faisant endosser la responsabilité politique des évolutions restrictives du système. Bientôt, nous devrons mériter le conventionnement, mériter le tiers payant (les généralistes super-référents - ou les spécialistes " lourds "). La mise en condition de l’opinion publique est impressionnante (on en a l’expression dans la presse et le reflet dans de nombreuses sessions des États Généraux). Notre sensibilité sociale fait le reste.

Comme vous le dites, si nous nous déconventionnions tous, il serait alors nécessaire de redistribuer les cartes, chaque partenaire assumant ses responsabilités, pour bâtir un nouveau contrat médico-social mieux équilibré.

Mais l’art de nos " adversaires " est de diviser le corps professionnel lui-même, ce corps professionnel qui n’est pas capable, de surcroît, d’arbitrer en son propre sein pour réduire les déséquilibres qui y règnent… Il est vain d’escompter une grande manœuvre unitaire - sans doute ne souffrons-nous pas assez…

L’arme de l’information nous reste, par contre, si nous savons l’utiliser, inlassablement, avec simplicité et sans tricheries. La révolte aussi, comme en cette fin d’année, si nous savons la faire comprendre. On peut penser qu’au moins en partie à cause de ces deux démarches le pouvoir a, temporairement, reculé. Il ne faut surtout pas relâcher notre effort […].


Et la réplique :

Bien sûr que l’unanimité est une utopie. Le seul cas possible (et vous le dites, nous ne souffrons peut-être pas assez) c’est la violence unanime Contre … malheureusement le plus souvent non pas pour une juste cause mais contre un bouc émissaire. Bien sûr qu’en politique tout cela est connu. Mais plus encore, ce que je tenais à dire c’est que plutôt que d’émettre des plaintes (aussi justes soient-elles) d’enfant sage, lorsque les " parents " sont pervers, il est nécessaire de " détordre " leurs messages, de n’en être pas dupes. […]

 


Dr Jean-François KATZ (Bretagne)

[…] C’est la dérive des politiques que j’aimerais accuser :

- en période de plein emploi, la médecine est rentable et son coût, permettant le retour rapide d’un employé à son poste de travail, très acceptable ;

- en période de chômage (13 % de la population), la médecine n’est pas productive, et qu’ils le disent franchement aux français (c’est cela la démocratie) :

* un retraité mort vaut mieux qu’un retraité vivant (moins cher) ;

* un chômeur mort vaux mieux qu’un chômeur vivant (moins cher) ;

* un travailleur mort vaut mieux qu’un travailleur vivant (il y a un autre travailleur de même niveau de technicité, voire de formation plus récente et plus d’actualité, qui attend dehors, aux abois, et qui donc sera moins cher).

 


Union Syndicale de la Psychiatrie

Communiqué du 13.12.98.

L’Union Syndicale de la Psychiatrie s’insurge contre les mesures arbitraires de maîtrise comptable des dépenses de santé décidées par les pouvoirs publics.

Ces mesures vont particulièrement pénaliser les psychiatres libéraux dont la pratique est essentiellement fondée sur la clinique, et dont l’activité, principalement consultatoire, n’implique pas le recours à des techniques para-cliniques coûteuses […].

Ces mesures vont entraîner un rationnement masqué de l’offre de soins et favoriser par effet pervers, le développement d’une médecine et d’une psychiatrie à deux vitesses. Elles apparaissent en contradiction avec la croissance des besoins exprimés par la population dans le domaine de la santé mentale : le recours aux soins psychiatrique est de plus en plus important, du fait d’une part de la précarisation de couches de plus en plus larges de la population, et d’autre part des limites actuelles du secteur psychiatrique qui ne peut plus faire face aux demandes en raison de la réduction de ses moyens (restrictions budgétaires, postes de praticiens hospitaliers inoccupés, infirmiers non remplacés...)

Les pouvoirs publics nous adressent aujourd’hui une injonction paradoxale consistant à la fois à rechercher une nécessaire articulation public-privé en étendant sans cesse le champ de nos pratiques, tout en contrôlant et en encadrant de façon drastique l’évolution du taux des dépenses de santé des spécialistes.

Dans ce contexte, l’U.S.P. dénonce les propos tenus par le Directeur de la Santé envisageant sereinement le «tarissement naturel» de la profession à l’horizon 2025 et laissant augurer certains transferts de compétences hors du champ médico-psychiatrique. Cette préoccupation se voit corrélée par la prochaine révision de la nomenclature qui risque d’entraîner une possible déqualification de certains actes fondamentaux de notre pratique (psychothérapies notamment) […].


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