A propos d'un litige en cours

Marie-Lise Lacas
Retour au sommaire - BIPP n° 26 - Juin 2000

En marge de la question des psychothérapies, la pratique de la psychanalyse au cabinet du psychiatre privé ne va pas sans susciter parfois une certaine incompréhension de certaines instances. Ainsi, un collègue de la région de Marseille s'est-il vu lourdement condamner par la Section des Affaires Sociales du Tribunal Régional de l'Ordre des Médecins pour avoir refusé: de délivrer des feuilles de soins à l'une de ses patientes. Le SNPP soutiendra ce collègue dans le recours qu'il a formé devant le Conseil National de l'Ordre mais, à cette occasion, nous publions ici les réflexions de Marie-Lise IACAS, psychiatre et psychanalyste membre du Bureau de l'AFPEP-SNPP.

Un de nos confrères, psychiatre et psychanalyste, est actuellement sous le coup d'une condamnation de trois mois d'interdiction d'exercice à la suite d'une plainte déposée par un patient en analyse. Il y a trois chefs d'accusation :

  • 1) l'exigence du paiement en espèces

  • 2) la pratique d'un tarif inférieur à la convention médicale

  • 3) la non délivrance de feuilles de maladie

Il me paraît très important de ne pas tomber dans le piège des confusions induites par cette formulation, qui met à égalité ces trois chefs d'accusation. Le texte envoyé par une association d'analystes, pour la défense de ce confrère, est de ce point de vue inadéquat par l'affirmation d'une "efficacité" thérapeutique du paiement en espèces. Il s'agit là d'une pétition de principe, sans valeur légale, et qui pourrait être bien discutable de fait.

Les modalités de paiement, par chèque, en espèces, ou autre forme (don d'objets de valeur, pourquoi pas ?) ne regardent pas le législateur : il s'agit d'un contrat privé concernant une prestation de service. La seule administration qui pourrait s'en préoccuper est l'administration fiscale, dans la mesure où le paiement en espèces -ou objets -peut ne pas être déclaré au titre des revenus professionnels et constituer une évasion fiscale, une fraude, tombant sous le coup de la loi.

Certains patients, actuellement, testent ostensiblement l'honnêteté de leur analyste dans ce domaine en posant la question de l'acceptation ou non de chèques de paiement... Il ne faut surtout pas argumenter ce point de l'accusation, et même le réfuter catégoriquement: il n'a rien à voir dans ce procès et ne concerne en rien la juridiction ordinale.

Les deux autres chefs d'accusation se ramènent à une seule controverse, qui est celle des rapports de la psychanalyse et de la médecine :

  • Ou bien la psychanalyse est une pratique médicale, réservée aux seuls titulaires d'un diplôme de médecin,

  • Ou bien la psychanalyse est une discipline indépendante, dont la pratique relève d'une formation différente de celle de la médecine, et qui peut être exercée aussi bien par des médecins que par des " laïques " -psychologues, par exemple, mais non exclusivement.

Dans le premier cas -la psychanalyse est une spécialité médicale parmi d'autres -les "laïques" sont coupables d'exercice illégal de la médecine, et doivent être poursuivis comme tels : on connaît l'histoire... c'est du déjà vu, et la jurisprudence existe !

Dans le second cas, la question à poser est celle de l’"exercice par des médecins d'une pratique autre que celles enseignées par la Faculté: tout acte pratiqué par un médecin est-il ipso facto un acte médical, relevant de la déontologie ordinale et des règles de l’Assurance maladie ? Ou, le médecin pratiquant la psychanalyse tombe-t-il dans ce qu'il est convenu d’appeler dans ces cas" charlatanisme" ? (Les homéopathes et les acupuncteurs ont connu ce genre de problème à une époque. Les médecins qui pratiquent l'ostéopathie peuvent signer des feuilles, et sont reconnus par l'Assurance Maladie, les kinésithérapeutes n'en ont pas la possibilité dans le même cas, et peuvent même être exclus du système conventionnel. Un de nos confrères, dont je ne donnerai pas le nom, a demandé sa radiation de l'Ordre des Médecins, pour exercer en tant que psychanalyste hors de toute contrainte légiférante sur sa pratique.)

Nous savons actuellement quelles querelles et luttes d'influence se produisent à tous niveaux autour de la reconnaissance d'un statut des psychothérapeutes (et des psychanalystes dans la foulée). Quelles que soient les décisions prises, ce ne sera jamais satisfaisant, et pour personne. Mais ce n'est pas le lieu d'en débattre: il vaut même mieux éviter de faire de ce cas un cas de jurisprudence dans un sens ou un autre de la reconnaissance de la psychanalyse comme acte médical ou non...

Ce qui reste, c’est qu’au regard de la législation actuelle, en tant que médecin, ce confrère est tenu de signer des feuilles de maladie pour tout acte pratiqué à son cabinet, et l’application de tarifs inférieurs au tarif conventionnel, obligatoire, est condamnable au titre d'infraction aux règles de la concurrence professionnelle. Mais en tant que psychanalyste, serait-il libre de ses choix de pratique ? La psychanalyse ne figure pas parmi les actes de la Nomenclature dont la tarification est fixée par la convention.

Comme pour les psychothérapies, les séances ne sont remboursées que par "assimilation" à la consultation, et sur la base du régime conventionnel du praticien: le remboursement n'est pas le même si celui-ci est psychiatre ou généraliste, et il faut préciser que certaines spécialités excluant les actes en série, aucun remboursement ne peut être espéré en un tel cas par un éventuel patient.

Aucune législation n'existe qui impose, ni qui interdise la délivrance de feuilles de maladie pour une psychanalyse. Et la compétence juridictionnelle de l'Ordre des Médecins en la matière est plus que contestable dans cette perspective. Sa décision de sanction anticipe l’application de lois qui n ‘existent pas, et qui sont justement mises en projet, et débattues au plus haut niveau gouvernemental. C'est une décision qui est politique avant d'être éthique.

La seule infraction qui pourrait être justiciable, à condition d'en apporter la preuve, serait le défaut de déclaration fiscale des sommes encaissées par le praticien, lors de son exercice psychanalytique. ..

Je continue mes "délires" sophistes... Tout ce qui est thérapeutique serait-il médical ? La psychanalyse n'est pas une thérapeutique, mais a des effets thérapeutiques. D'autres activités ont de mêmes effets : la danse, le chant (oh, oui !), le sport (tiens, l'équitation...), la peinture, la sculpture...etc.

Qu'en est-il si le maître de danse, le moniteur d'équitation ou le président du club, le maître de la chorale, ou le chef d'atelier de peinture ou de sculpture (...etc.), est un médecin, ou le responsable administratif d'une telle structure thérapeutique ?

Prendre une telle responsabilité n'implique évidement pas que soient signées des feuilles... encore que les prises en charge dans les centres spécialisés prévoient, autant que je sache, la tarification en fonction des activités thérapeutiques proposées (?).

Un médecin psychiatre a-t-ille droit d'ouvrir un atelier de peinture pour ses patients ? Et avec quel statut ? S'il demande des productions plastiques -peintures ou sculptures -quel droit a-t-il sur ces productions (droits d'auteurs, et le tutti quanti des reproductions...etc.) ? Je gamberge, bien sûr, mais seulement pour souligner tous les aspects éventuellement exploitables pour une stratégie de défense. Foncièrement, je pense que notre confrère a été d'une imprudence qui ne plaide pas en sa faveur, mais dans la mesure où il fait partie de notre cher SNPP il faut bien assumer... Alors je cherche tout ce qui peut permettre une prise de position qui ne nous étiquette pas comme défenseur de l'indéfendable, et comme complice de toutes les mauvaises fois. Bon, je continue :

Donc affirmation implicite de l’accusation: thérapeutique = médical : ça ne tient pas, sauf à soutenir que seul le médical, enseigné sur la base du savoir médical du moment, a le droit d’être thérapeutique, ce qui a pour corréla qu’aucune découverte ne pourra jamais prendre place dans ce savoir, ou que tout savoir ne peut être que médical... CQFD !

L'efficacité de l'homéopathie, même encore contestée, comme celle de l’acupuncture, ont eu leurs lettres de noblesse dans la reconnaissance de la Faculté... donc de l’Assurance Maladie. Que signifie une telle reconnaissance ? En ce qui concerne la psychanalyse, sa reconnaissance ne passe pas par celle de la Faculté: la compétence d'un médecin, comme celle d'un "laïque", à l'exercer ne peut être reconnue que par les instituts ou sociétés psychanalytiques. En aucun cas ce ne peut être l'affaire de la Faculté, ni de l'Ordre des Médecins.

L'affirmation de l'Ordre des médecins de Grenoble, lors d'un précédent litige, selon laquelle la psychanalyse est une spécialité médicale est proprement abusive. Malheureusement, à l'époque, (l'an dernier, je crois), pour des raisons sans doute d'opportunité, cette affirmation n’a pas suscité les protestations qu'elle aurait du provoquer.

Il faut tout de même être logique: c'est une question de fric, et si l'Assurance Maladie se prépare à reconnaître les actes des psychologues, à un tarif certainement moindre que celui des médecins, en espérant faire des économies, ce n'est pas en lui opposant des arguments d'ordre théoriques, ou éthiques, qu'on marquera des points. La force des instances décisionnaires, Gouvernement ou Assurance Maladie, est justement peut-être de nous lancer dans ces débats théoriques, de nous dresser les uns, psychiatres et médecins, contre les autres, psychologues et autres "laïques", pour poser le législateur (représentant de l'État) en tant que nouveau Salomon, celui qui va trancher...

Après tout, un décret peut mettre la psychanalyse hors légalité: cela s'est produit sous certains régimes dictatoriaux, et certaines dispositions d'allure banalement opportunistes peuvent avoir les mêmes effets.

Une telle affaire est presque significative du malaise ambiant. Il faut faire très attention aux choix de nos arguments, et exploiter les contradictions décelables de l'adversaire, plutôt que de se laisser entraîner sur des terrains où il est prévu que nous serons perdants.

Que l'on débatte entre nous de positions théoriques, et de choix en fonction de nos éthiques respectives, est une chose ; mais sur la place publique, en sachant l'impact des informations médiatiques, il importe, me semble-t-il, de rester prudents. La sanction de l'Ordre des Médecins me semble pouvoir être contestée au niveau d'une compétence juridique, mais il ne faudrait pas se retrouver dans une affaire de fraude fiscale, ce qui n’est pas impossible, même si le plaignant s'est trompé d'adresse pour sa plainte (comme chacun sait, le vrai paranoïaque ne se lance que dans des procès à perdre, pour mieux recommencer...).

Marie-Lise LACAS


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