Lettre ouverte à mon syndicat... sur la question du CNPsy

Daniel Vittet
Retour au sommaire - BIPP n° 26 - Juin 2000

Chers Amis,

Cela fait longtemps que je tenais à vous écrire, pour vous faire part de ce qui m’a amené à renoncer à adhérer à votre syndicat, à notre syndicat, puisque j'y reste quand même attaché. Je ne peux pas renouveler mon adhésion et je le regrette. Suis-je le seul à être dans cette situation ? D'un côté la conviction qu'il est nécessaire que la psychiatrie, comme tout groupe professionnel s'organise, et de l’autre la perplexité face aux revendications défendues. ..

En effet ces revendications, tant pour le secret médical (auquel j'adhère bien sûr), que pour l'accès direct aux soins, ou que pour l'indépendance professionnelle, elles apparaissent toutes, toujours formulées en terme de conservation de l'existant. Je ne vois rien d'autre dans les " multiples propositions " que vous prétendez avoir faites...Et dans les circonstances actuelles, le conservatisme, c'est laisser les autres décider pour nous...Je suis convaincu que bien des questions peuvent être négociables au bénéfice de nos patients et de nous-mêmes, comme je vais en donner un exemple dans ce qui va suivre.

Et quand après avoir proposé " trois axes de travail " en parfait décalage avec les questions concrètes de la Sécurité sociales, vous en arrivez à commenter ainsi vos propres propositions: " Certes rien de ceci n'est en soi destiné à contrô1er les dépenses, mais il est certain que cela peut y contribuer "1 et bien ça, ça me fait bondir !

Parce qu'avec ça, si on ne passe pas pour des gogos, c'est qu'on doit nous tenir pour être des hypocrites.

Alors voici maintenant annoncée la " nouvelle revendication " : Non au " démantèlement " du CNPsy !

N'allons pas croire que ce mot d'ordre, sorte d'une élaboration nouvelle. Il apparaît seulement en réaction aux menaces de la constitution d'un nouveau groupe professionnel qui voudrait se réserver le terme de psychothérapie. Là aussi, à vous lire, on en reste à conserver les choses en l’état.

Si je conçois, moi aussi, que la menace est réelle et dommageable pour nos patients, c'est bien parce que rien ne semble avoir été fait jusqu'ici pour donner une existence spécifique dans notre statut, à la notion de psychothérapie...

Je vous demande de réfléchir aux remarques suivantes :

Vous savez que le gouvernement tend à réduire le travail du psychiatre à un acte purement médical, c'est-à-dire répondant strictement à l'idée d'une maladie à traiter, et non à une problématique psychologique. Ainsi, tant que vous défendrez l'idée d'un acte unique, psychiatrique, vous serez sous la pression de cette tentative réductionniste de notre travail. Vous direz alors, il faut protester et se battre...

Notre expérience devrait pourtant nous faire reconnaître que si les cris ont du pouvoir, c'est surtout de façon ponctuelle, et qu’ils ne tardent pas à être détournés ou oubliés...Ainsi en est-il, sauf à devoir infiniment répéter ces cris (comme dans certaines familles pathologiques) ou sauf s'ils laissent des traces suffisamment inscrites dans la réalité. Inscrivons-en donc.

Pour ce qui est de la vie sociale, la réalité est fixée par ce qui est énoncé dans le cadre législatif. Ainsi tant que la notion de psychothérapie n'est pas fixée quelque part dans ce cadre... (et au Conseil de l'Ordre), il faudra toujours crier... ou se considérer comme des victimes du " refoulement social " à notre égard.

Maintenir l'unicité de l'acte psychiatrique, c'est accepter la confusion des deux aspects du travail psychiatrique, tous deux nécessaires. Confusion d'autant plus menaçante que notre formation universitaire qui inclut une approche psychologique, ou tout au moins une formation en relations humaines pour les psychiatres...

Ce qui explique que nous soyons actuellement en position de faiblesse tant par rapport aux psychologues, que par rapport aux velléités d'une spécialité de psychothérapeutes surgissant ex nihilo...

Certes, il y a à perdre si nous reconnaissons l'acte psychothérapique comme un des actes que pratiquent les psychiatres: il y a à perdre l'hypocrisie qui fait croire que nous faisons tous la même chose, et qui permet que l’acte de prescription, souvent plus rapide que l’acte psychothérapique, soit rétribué au même prix...

Il y a à perdre, l'idée qu'il suffit d'être " psy ", voire " d'avoir une écoute "2, pour que la relation soit soignante pour que ce soit une psychothérapie...Il y a à perdre le narcissisme qu’on gagne au titre de psychothérapeute, sans en avoir payé le prix par une formation... (à moins que l'on ne continue à se prévaloir et souvent pour bien autre chose que la psychanalyse, de la phrase tronquée de Lacan : " le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même ". On oublie toujours que l'énoncé entier était: " le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même devant les autres ").

Vous le savez fort bien, notre niveau de formation et d'engagement dans notre travail de psychiatre est parfaitement hétérogène... Assumons-le. Je suis sûr qu'une psychiatrie honorable et utile, est une psychiatrie qui assume en son sein des différences dans les choix des références théoriques, tant dans la perspective des prescriptions, que dans celle des différentes approches psychothérapiques.

Alors vient la question: concrètement, comme cela peut-il s'organiser ? Il se trouve que j'en ai eu l'expérience à l'occasion de la reconnaissance d'une autre pratique professionnelle.

D'abord, un préalable: comme pour toute création d'un nouveau statut professionnel, durant une période à déterminer (5 ans ?), est ouverte la création de sociétés psychothérapiques ou la reconnaissance de sociétés préexistantes, selon des critères minimaux de sérieux imposés par l'État, mais en dehors de critères favorisant telle ou telle idéologie...

Dans ces conditions est ou devient psychothérapeute, tout psy qui est affilié à une de ces différentes sociétés psychothérapiques. Il accepterait de limiter son nombre d’actes par jour, selon un nombre compatible avec des séances d'une durée minimale...En contrepartie de quoi l'honoraire psychothérapique peut être plus élevé que celui de t’acte de prescription.

Par la suite, à partir d'une date raisonnable, l'accession au titre de psychothérapeute sera conditionnée à une formation dans une quelconque de ces sociétés à qui il appartiendra de gérer ces formations, toujours sous contrôle de critères minimaux de qualité.

Je crois que cette approche peut être compatible avec les attentes acceptables de la Sécurité sociale. Elle constitue une base de négociation, qui changera des positions actuelles qui réclament surtout que rien ne change. Je suis sûr que des contre-propositions sont possibles sur tous les points que le SNPP présente comme des attaques de la part de la Sécurité sociale. Par exemple une plus grande souplesse dans le remboursement des psychothérapies... Bon nombre d'entre nous est convaincu qu'une part de non remboursement serait bénéfique à nos patients... ce qui n'empêche pas de préserver un remboursement intégral pour qui c'est nécessaire.

J'espère que ces propositions peuvent, sinon totalement convaincre, au moins orienter la réflexion vers des positions plus constructives. fi n'y a de défense réelle de notre profession, sans reprise de l'initiative dans un mouvement mobilisateur pour tous.

Amicalement.

Daniel VITTET (Thonon les Bains)

1 Extrait de la " Troisième lettre à mes patients " mars 1999. Les lettres suivantes n'ont rien amélioré depuis...
2 Je pense que " avoir une écoute " est soulageant, c'est fort utile... mais ce n'est pas un acte spécifique, tout autre non soignant peut le pratiquer; ce qui est fort bien.


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