Rupture !
L’Assemblée Générale du S.N.P.P. des 1er et 2 février derniers a décidé le retrait immédiat de notre syndicat de la C.S.M.F. Décision historique, lourde de conséquences, mais certainement pas irresponsable comme nous en accuse depuis Michel Chassang, le Président de la C.S.M.F. D’ailleurs, quel autre choix la C.S.M.F. elle-même nous laissait-elle après la signature de l’accord du 10 janvier dernier entre les Caisses et l’ensemble des centrales syndicales de médecins, hormis la FMF ?
Reprenons l’affaire au début. Alors que les psychiatres conservent depuis 20 ans les revenus médicaux les plus bas, voici deux ans que l’U.ME.SPE. et la C.S.M.F. nous promettent une revalorisation significative de notre CNPsy à la faveur de la mise en place d’une nouvelle nomenclature des actes de consultations. Fondamentalement attaché à l’unité du corps médical, le S.N.P.P. s’est investi dans ce travail qui n’allait pourtant pas de soi puisque l’esprit de cette nomenclature supposait de renoncer au principe de l’acte unique pour lui substituer différents types de consultations de complexité variable. Mais, non sans mal, nous sommes parvenus à convaincre les autres spécialités des particularités de notre pratique ainsi que des impératifs scientifiques pour lesquelles nous devions conserver un acte unique et, finalement, l’U.ME.SPE a admis le bien fondé de nos demandes. Elle a accepté le principe de l’acte unique du psychiatre et a reconnu que, à défaut de retrouver d’emblée son niveau historique de 3 C, la consultation du psychiatre ne pouvait pas valoir moins de 50 €.
Forts de ce travail commun au sein de l’U.ME.SPE., nous abordions donc les négociations conventionnelles du second semestre 2002 de manière assez optimiste. Non seulement l’U.ME.SPE. nous assurait de son soutien, mais encore le Ministre de la Santé avait lui même souligné, à l’occasion de plusieurs interventions publiques, la nécessité de revaloriser de manière urgente les honoraires des psychiatres. Pour une fois, tout laissait donc espérer que les psychiatres ne seraient pas oubliés.
Le choc n’en fut que plus brutal : le sort réservé aux psychiatres dans le texte de l’accord du 10 janvier excédait en effet nos pires anticipations. On nous accorde 16 millions d’augmentation pour 2003, 10 millions pour 2004, soit au total 26 millions d’augmentation sur deux ans d’honoraires remboursés, ce qui correspond à 35 millions d’honoraires remboursables. Quand l’on sait qu’il se facture chaque année environ 17,8 millions de CNPsy, le calcul est vite fait : environ deux euros d’augmentation par acte. En outre, le texte de l’accord est énigmatique : il laisse entendre que cette enveloppe ne serait pas affectée à la revalorisation du CNPsy, mais consacrée à l’on ne sait trop quoi à définir.
Quand la réalité est aussi éloignée des promesses, il ne s’agit plus de déception mais de trahison : nous vous l’avons d’ailleurs immédiatement écrit.
Cependant nous avons cherché à obtenir des explications. Ainsi, dès le matin du 13 janvier, une délégation du Bureau du S.N.P.P. s’est rendue au siège de la C.S.M.F. Après avoir beaucoup attendu avant d’être enfin reçus par le Secrétaire Général, nous avons eu confirmation de deux choses : d’une part la C.S.M.F. considérait cette enveloppe comme déjà considérable, au motif que nous aurions pu ne rien avoir du tout, et, d’autre part, cette enveloppe n’était effectivement pas destinée à une revalorisation du CNPsy mais devait servir à financer un autre type de consultation qu’il nous appartenait de proposer. Nous étions donc doublement trahis : d’abord sur la revalorisation, ensuite sur le principe de l’acte unique.
Au cours de cette première visite à la C.S.M.F., nous avons fermement rappelé notre revendication minimale : le CNPsy à 40 ¤ dès la signature de la convention, à 50 € en octobre prochain. Nous avons également exigé que la C.S.M.F. prenne immédiatement position pour dénoncer l’insuffisance de l’enveloppe, mais elle ne l’a fait que beaucoup plus tard, alors que nous l’avions déjà quittée.
Une seconde réunion s’est tenue le 23 janvier avec Michel Chassang, Président de la C.S.M.F., et Jean-François Rey, Président de l’U.ME.SPE. Nous avions invité le S.P.F. à nous accompagner. Cette réunion ne servit qu’à prendre la mesure du malentendu entre la C.S.M.F. et les psychiatres : même déni de l’insuffisance de l’enveloppe, même demande de ne consacrer l’enveloppe qu’au remboursement de certaines consultations. La seule avancée concrète fut la proposition de participer directement à une réunion spécifiquement consacrée aux consultations des psychiatres et des neurologues dans le cadre des négociations conventionnelles.
Cette réunion eut lieu le 29 janvier. C’est notre nouveau Secrétaire Général, Yves Froger, qui y représentait le S.N.P.P., aux côtés du représentant du S.P.F. En dépit de la fermeté de nos positions, cette réunion se conclut sur le constat que les psychiatres n’auraient rien. Rien, c’est-à-dire pas un centime de revalorisation du CNPsy avant la mise en place de la nouvelle Classification Commune des Actes Médicaux en 2005. La Caisse proposait que les 26 millions accordés aux psychiatres soient consacrés à la revalorisation à 40 € de la seule première consultation et, s’il restait de l’argent, à la possibilité de facturer une consultation pour les parents accompagnant l’enfant en pédopsychiatrie. Et tout ceci, quoi qu’elle en dise, sans que la C.S.M.F. ne proteste.
Dès lors, la rupture semblait inévitable. En effet, au nom de quoi continuerions-nous à travailler dans une structure qui, non seulement ne relaye pas nos revendications financières, mais encore prétend nous imposer un découpage de notre acte de consultation en totale contradiction avec nos conceptions ?
Certes, l’architecture conventionnelle actuelle, issue de la loi du 3 juillet 1971, impose que les Caisses négocient la Convention avec des organisations polycatégorielles. En dépit de l’exception historique que Claude Evin avait imposée en 1989 (au moyen de l’article 49.3) en faveur de MG-France, un syndicat monocatégoriel comme le S.N.P.P. ne peut donc pas prendre part directement aux négociations conventionnelles. Certains redouteront donc que, en nous coupant de la C.S.M.F., nous perdions notre représentativité.
Raisonnement à courte vue. Quel pouvoir, en effet, perdrions-nous qui ne soit déjà perdu quand notre centrale syndicale elle-même utilise son influence pour nous contraindre d’entrer dans ses propres conceptions – uniquement ordonnées aux contraintes des spécialités M.C.O. – plutôt que d’essayer de comprendre notre point de vue de psychiatres et de le défendre. Soyons lucides : tant que la C.S.M.F. sera sur cette ligne, cette rupture est en fait une libération.
Par ailleurs, les négociations conventionnelles n’ont lieu que tous les quatre ans. La question de revenir au sein de la C.S.M.F. - qui ne pourrait s’envisager qu’au cas où elle nous donnerait de solides garantie de désormais mieux tenir compte de nos positions – de même que l’éventualité de nous engager dans une autre centrale qui nous donnerait ces mêmes garanties, ne presse donc absolument pas. Nous avons tout le temps d’y réfléchir.
Quant à notre représentativité, elle n’est en rien entamée par cette rupture. Elle se fonde avant tout sur le nombre de nos adhérents, sur le travail collectif de leurs représentants élus au sein de notre Conseil d'Administration, et, avant toutes choses, sur le fait de tenir compte des mandats qui nous sont donnés. En matière conventionnelle, ces mandats sont clairs : revalorisation du CNPsy à 50 € au moins et maintien de l’acte unique. C’est en acceptant le diktat de la C.S.M.F., c’est-à-dire en cédant sur ces deux points, que notre représentativité aurait été perdue.
Tout au long de ces dernières semaines nous avons beaucoup écrit afin de faire connaître notre position aussi clairement que possible : nous avons publié des communiqués de presse, adressé des lettres au Président de la C.S.M.F. et au Président de la C.N.A.M.-T.S. Nous les reproduisons dans ce numéro pour ceux d’entre vous qui ne les auraient pas déjà lues sur notre site Internet.
Nous vous avons également demandé d’écrire et nous sommes heureux de constater que le fax que nous vous avons demandé de signer et d’adresser au Président de la C.N.A.M.-T.S., ainsi qu’au Ministre de la Santé, a atteint son but.
En effet, après avoir un temps ignoré l’afflux de vos fax, le Ministre a finit par écrire au S.N.P.P. Vous trouverez plus loin son courrier ainsi que la réponse que nous lui avons faite par retour. Le Président de la C.N.A.M.-T.S., quant à lui, n’a pas répondu officiellement mais nous considérons qu’il a indirectement accusé réception lors de la séance de négociations du 20 février dernier, en reconnaissant que les problèmes des psychiatres avaient été largement sous estimés et en proposant la mise en place d’un groupe de travail spécifique sur cette question.
Près de mille fax sont parvenus au siège du S.N.P.P. Au regard des enjeux, nous ne cacherons pas que nous en espérions trois ou quatre mille. Mais ce millier a néanmoins suffi à atteindre le but que nous visions : faire prendre conscience à nos tutelles de la nécessité de ne pas en rester à l’accord du 10 janvier en ce qui concerne les psychiatres. Merci donc à ceux d’entre vous qui, dans ce moment historique, ont pris le temps d’envoyer ces fax.
Nous avons également pris contact avec tous les syndicats de spécialistes pour leur exposer notre position ainsi qu’avec tous les syndicats départementaux de la C.S.M.F. pour leur demander de refuser une convention qui ne revaloriserait pas les consultations des psychiatres à leur juste prix.
Enfin, durant cette période, nous sommes évidemment restés en lien étroit avec nos collègues du S.P.F. Ces derniers divergent de nous - peut-être très temporairement - quant à leur position envers la C.S.M.F. Mais, pour autant, il n’est pas question de mettre en péril un front uni des syndicats de psychiatres, plus que jamais nécessaire dans cette période de crise. Dans cet esprit, nous avons également demandé au C.A.S.P. de prendre une position de soutien de nos revendications lors de sa prochaine réunion programmée durant la deuxième quinzaine de mars. Les contacts que nous avons déjà pris nous laissent penser que les collègues de service public affirmeront sans hésiter leur soutien à nos revendications.
Est-il encore permis d’espérer plus que l’aumône accordée aux psychiatres par l’accord du 10 janvier. Au moment où nous rédigeons ces lignes, et grâce à votre mobilisation, tout reste largement ouvert.
Tout d’abord, nous attendons la mise en place du groupe de travail consacré aux psychiatres dans le cadre des négociations conventionnelles. La presse s’est fait l’écho de l’hypothèse d’une convention spécifique aux psychiatres. Nous ne sommes pas a priori favorables à cette option. En effet, si un volet spécifique de la convention paraît désormais indispensable pour nous protéger de l’amalgame avec les spécialités M.C.O. qui remet en cause l’acte unique, une convention spécifique aurait l’inconvénient rédhibitoire de nous isoler complètement du corps médical et donc de nous fragiliser. Notre position dans ce groupe sera donc extrêmement claire et simple. Nous la rappelons ici.
Nous soutenons avant tout le relèvement du tarif opposable, seul garant d’une rémunération décente du psychiatre et de l’accès aux soins des patients. Aucun aménagement du type "espace de liberté tarifaire" ne peut prendre le pas sur cette première exigence : nous n’y sommes évidemment pas hostiles, mais il est évident que les caractéristiques socio-économiques des patients qui s’adressent à nous ne permettraient pas une revalorisation significative de nos actes par ce seul mécanisme, qui aurait de surcroît l’inconvénient inacceptable d’écarter de nos cabinets les patients les plus sévèrement atteints, presque toujours socialement très fragilisés.
Nous soutenons tout aussi fermement le principe de l’acte unique de consultation du psychiatre car, s’il existe certes une pratique psychothérapique hors de la psychiatrie, il n’existe certainement pas de pratique psychiatrique de cabinet qui ne soit psychothérapique. Admettre la distinction dans la nomenclature entre une consultation de type médical d’une part et une consultation psychothérapique d’autre part, ce serait soutenir que la psychiatrie n’est que la coïncidence – peut-être fortuite dans un temps social donné - d’une pratique médicale et d’une pratique psychothérapique.
L’A.F.P.E.P.-S.N.P.P. a toujours soutenu au contraire que la psychiatrie est l’articulation permanente, synergique et féconde, de ces deux dimensions. C’est dans cet esprit que le S.N.P.P. a obtenu dès sa création en 1974 la circulaire Sournia, fondatrice de l’acte unique, qui règle encore nos pratiques. C’est cette conception de la psychiatrie que le S.N.P.P. défend encore aujourd’hui : un psychiatre n’est pas qu’un médecin psychopathologue doublé d’un psychothérapeute qui alterne entre ces deux positions selon les patients ; c’est un médecin spécialiste en psychopathologie et un psychothérapeute qui, non seulement tient de cette double formation la capacité d’appréhender globalement la clinique dans différents registres quel que soit le patient mais, surtout, est de ce fait le seul à présenter une légitimité incontestable pour inventer les soins dont chaque patient a besoin. Renoncer à l’acte unique ce serait renoncer à ce nouage fondamental, ce serait finalement admettre contre toute évidence qu’un CNPsy pourrait être remplacé soit par un CS de spécialiste médical, soit par un K, lettre clé des actes techniques, de psychothérapeute.
Nos revendications s’énoncent donc on ne peut plus clairement ainsi : nous exigeons le maintien d’un acte unique de consultation du psychiatre, d’un montant revalorisé à 50 € avant la fin de l’année 2003, avec la seule concession d’un palier intermédiaire à 40 € dès la signature de la convention.
Par ailleurs, au moment où ce numéro du BIPP vous parviendra, nous ne serons plus qu’à quelques jours de la signature de la convention. Se signera-t-elle si les psychiatres n’obtiennent pas satisfaction ? Nous avons observé avec intérêt que plusieurs syndicats départementaux de la C.S.M.F. ont fait part de leur intention de ne pas signer la convention si elle devait en rester à l’accord du 10 janvier, notamment en ce qui concerne les honoraires des psychiatres. De même, l’U.N.O.F., le syndicat des généralistes de la C.S.M.F. que nous avons soutenu tout au long de l’année 2002 dans son propre combat pour le C à 20 €, s’est déclaré en faveur d’une revalorisation plus importante de nos honoraires. Sans que nous puissions évidemment avoir de certitude sur ce point, nous observons donc quelques signes peut-être annonciateurs d’un front du refus au sein même de la C.S.M.F. qui reprend, entre autres, nos revendications.
Enfin, l’impact des coordinations sur les négociations conventionnelles n’est pas à négliger. Très rapidement après la publication de l’accord du 10 janvier, une coordination nationale des psychiatres s’est constituée à l’initiative d’un groupe de psychiatres de la région d’Avignon et s’est largement diffusée depuis dans de nombreuses régions, notamment le Finistère, la Vienne et le Val-de-Marne. Il est probable que ces coordinations resteront très actives au cas où la convention serait signée sans revalorisation suffisante de notre acte, ce qui ne peut laisser nos tutelles indifférentes.
Il est donc encore permis d’espérer que le sort qui nous sera fait ne se limitera pas à l’insulte aux psychiatres que la C.S.M.F. a permise dans l’accord du 10 janvier.
Toutefois, et quand bien même la signature de la convention nous donnerait satisfaction, cette première étape pourrait fort bien n’être que le début d’une année de toutes manières très agitée.
En effet, le bruit court déjà avec de plus en plus d’insistance que J.-F. Mattei va présenter un ambitieux plan de réforme de la psychiatrie en juin prochain, vraisemblablement lors de son intervention dans le cadre des États Généraux de la Psychiatrie. Quelle place ce projet laissera-t-il aux psychiatres privés ? Devrons-nous alors combattre non pas pour nos honoraires, mais pour faire respecter notre indépendance professionnelle et ne pas être obligés d’aller renforcer le service public comme plusieurs rapports officiels le suggèrent obstinément depuis quelques années pour pallier l’effondrement démographique de la profession ?
Et, si ce plan de réforme s’avère moins menaçant que ce que nous promettent tous les rapports qui alimentent régulièrement le ministère, n’oublions pas non plus la réforme de la Sécurité sociale annoncée pour l’automne. "Panier de soins", "assurances privées", restrictions de toutes natures de la prise en charge socialisée de l’assurance maladie risquent fort d’être les piliers de la nouvelle architecture de la Sécurité sociale, et cela - est-il besoin de le rappeler ? – avec le soutien déjà acquis de la C.S.M.F.
Quel sort sera fait à nos patients dans ce nouveau dispositif ? Au nom du panier de soins, la Sécurité sociale ne prendra-t-elle plus en charge que les patients exclus du monde du travail et inassurables par les assurances privées ? Les assurances privées, mutuelles ou à but lucratif, seront-elles de leur côté disposées à recourir à la compétence des psychiatres pour contribuer à la santé mentale de leurs assurés ? Ne préféreront-elles pas salarier des équipes de psychologues sans doute moins coûteuses, et peut-être aussi plus dociles ? Il est évidemment trop tôt pour anticiper la moindre réponse à toutes ces questions mais la vigilance reste plus que jamais d’actualité.
Il se peut fort, en tous les cas que, à l’occasion de cette réforme annoncée de la Sécurité sociale, nous ayons de nouvelles raisons de nous féliciter d’avoir pris nos distances par rapport à la C.S.M.F. afin de préserver notre liberté de penser et l’ajustement de nos actions face aux différents problèmes qui s’annoncent tout au long de cette année.
Jean-Jacques LABOUTIÈRE