Lettre aux directeurs des Caisses d'Assurance Maladie

Antoine Besse
Retour au sommaire - BIPP n° 35 - Mars 2003

Les directeurs des Caisses d’Assurance Maladie des Deux Sèvres viennent une nouvelle fois de s’illustrer en écrivant aux psychiatres pratiquant des D.E. afin de leur rappeler leurs obligations conventionnelles.

Cette lettre est édifiante pour 3 raisons :

- la première, elle méconnaît, ou plutôt ignore le sort réservé aux psychiatres par les signataires du projet de texte conventionnel actuellement en cours d’élaboration,

- la seconde, les Caisses se défilent de leurs propres obligations conventionnelles, qui sont de garantir aux assurés l’accès à des soins de qualité et de permettre aux praticiens de les dispenser,

- la troisième : elles semblent ignorer la réponse qu’elles avaient faite il y a presque un an à un de nos confrères.

Dans ces conditions une réponse s’imposait comme pour les autres départements concernés, nous vous la communiquons. Si d’autres directeurs zélés s’aventurent sur ce même chemin belliqueux à l’égard des psychiatres, pensez à nous informer pour que nous réagissions de la même façon.

 

Monsieur Le Directeur,

Les psychiatres de votre département nous ont transmis la lettre que vous venez de leur adresser afin de les inviter à réduire le nombre de consultations faisant l’objet d’un DE. Vous fondez cette demande sur l’obligation de respect du Règlement Conventionnel Minimal qui stipule que le DE ne peut être facturé qu’en cas de circonstances exceptionnelles de temps et de lieu dues à une exigence particulière du malade.

Or les circonstances ne cessent d’être exceptionnelles.

Tout d’abord, l’accord du 10 janvier prévoit que le CNPsy, l’acte de consultation des psychiatres, ne sera plus jamais augmenté puisqu’il ne l’est pas aux termes de cet accord et qu’il sera remplacé en 2005 par un autre acte dans le cadre de la mise en place de la Classification Commune des Actes Médicaux. Nous n’avons évidemment aucune garantie pour l’instant sur la valeur qui sera donnée à ce nouvel acte.

Le CNPsy représentant la quasi - totalité des actes des psychiatres, nous sommes donc bien d’accord avec vous pour reconnaître que l’accord du 10 janvier donne effectivement aux psychiatres une visibilité parfaitement limpide sur l’avenir économique de leur activité : alors qu’ils ont depuis 20 ans les plus bas revenus médicaux, ils seront les seuls spécialistes dont les honoraires ne seront pas réévalués à l’occasion de la prochaine convention et l’écart de leur revenu avec la moyenne des revenus médicaux va encore s’élargir.

Certes, sur les 721 millions consacrés dès 2003 à la revalorisation des actes, 16 millions, soit environ 2 %, sont réservés pour les psychiatres qui constituent 12 % de l’effectif des spécialistes. Mais, comme vous le savez, l’accord du 10 janvier prévoit que cette enveloppe ne peut pas être affectée à la revalorisation du CNPsy. Elle doit impérativement être consacrée à la rémunération d’un nouvel acte, à inventer, que nous n’avons pas demandé et qui ne correspond à aucune nécessité de notre pratique. C’est dire que nous ne pourrons pas bénéficier de cette enveloppe, et il en va de même des 10 millions budgétisés pour l’année 2004.

Contrairement à ce que vous écrivez, et en dépit de l’accord du 10 janvier, les négociations actuellement en cours sont donc encore fort loin d'aboutir, pour de multiples raisons parmi lesquelles le refus des Caisses d’entendre les revendications des psychiatres tient cependant une place importante.

Cette position des Caisses traduit à l’évidence un profond mépris à l'égard de la santé mentale des assurés sociaux. C’est pourquoi les psychiatres ont tout fait, et continueront de tout faire, pour empêcher la signature d’une convention sur les bases de l’accord du 10 janvier. Ils commencent à être entendus, notamment par les généralistes et certaines spécialités, et rien n’assure donc actuellement que les négociations parviendront à la signature d’une convention.

Par ailleurs, ce n’est certes pas aux psychiatres qu’il faut reprocher de négliger l’accès aux soins des assurés sociaux. Alors que la moyenne des spécialités est conventionnée en secteur I à 56 %, les psychiatres le sont à 76 % et aucune spécialité ne l’est davantage. La formation du psychiatre est pourtant l’une des plus longues, au regard du cursus universitaire initial, et sans doute la plus coûteuse, du fait de l’indispensable formation complémentaire à la psychothérapie que chaque psychiatre doit financer en complément de sa formation universitaire.

Ce taux de conventionnement en secteur I montre donc assez clairement à quel point la spécialité est attachée à sa mission sociale. Les psychiatres n’ont sur ce point de leçons à recevoir de personne, surtout à l’époque où - précisément à la notable exception des psychiatres - pratiquement tous les spécialistes récemment diplômés s’installent en secteur II.

Enfin, les obligations conventionnelles valent tout autant pour les Caisses que pour les médecins. C’est à juste titre que vous rappelez que les Caisses ont suspendu la minoration de la prise en charge des cotisations sociales des praticiens de secteur I, mais c’est peut-être un peu vite oublier que la Convention impose aux Caisses comme principale obligation de garantir aux assurés sociaux l’accès à des soins de qualité.

Or, si les dispositions de l’accord du 10 janvier étaient appliquées, elles produiraient mécaniquement une sévère dégradation des soins en psychiatrie libérale. En effet, la consultation du psychiatre est un acte long (durée moyenne supérieure à 30 minutes dans toutes les études). Cela permet de rester relativement peu prescripteurs et de privilégier d'autres approches, non seulement plus efficaces mais financièrement moins coûteuses. Ce sont toutes ces particularités qui garantissent la qualité des soins et font de la consultation psychiatrique le paradigme de la consultation médicale, pourtant prônée par les Caisses par ailleurs.

Dès lors, comment comprendre que ce soit aussi l'acte le moins rémunéré, au regard du temps passé auprès du patient, autrement que comme une volonté délibérée de casser un outil de soins pourtant unanimement reconnu pour sa qualité. En ignorant toutes ces particularités les Caisses semblent vouloir inciter les psychiatres à abandonner leur spécificité et s'orienter vers une pratique caractérisée par des actes plus courts et des prescriptions plus importantes. Nous refusons cette dérive qui constitue une dégradation de la qualité des soins.

Dans ces conditions, notre détermination d’offrir aux assurés des soins de qualité – et qui devrait pourtant être la vôtre – devient une situation particulière d’exigence partagée, à juste titre par nos patients, telle qu'elle justifie pleinement l'application du D.E., indispensable à la survie économique de nos cabinets après huit ans de blocage des honoraires et une constante augmentation des charges, et ceci tant que la qualité de notre travail ne sera pas prise en compte. Pour quiconque ne s’en tient pas à la surface des choses, il est évident que ce sont bien les Caisses qui ne remplissent pas leurs obligations conventionnelles dans la situation actuelle en condamnant les psychiatres à renoncer à la qualité des soins pour survivre.

Une argumentation semblable vous avait d’ailleurs été développée par un confrère de Niort, il y a presque un an déjà, vous signalant sa pratique de dépassement tarifaire pour les patients demandant des consultations de plus 30 minutes à laquelle votre directeur adjoint avait répondu montrant tout votre intérêt pour sa position sans jamais condamner sont attitude. Vous comprendrez notre surprise devant votre courrier d’aujourd’hui alors que la situation ne fait que s’aggraver.

Nous avons bien sûr à plusieurs reprises interpellé M. Spaëth, sans réponse de sa part pour l’instant. Nous vous adressons ci-joint le double du courrier que nous lui avons adressé : nous ne doutons pas qu’il vous permettra de mieux comprendre la situation des psychiatres.

Nous vous prions de croire, Monsieur Le Directeur, à l'assurance de nos sentiments distingués.

Dr Antoine BESSE
Président S.N.P.P.

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