Clinique de la perversion-psychose : les crimes sexuels impulsifs

Jacques Louys
Retour au sommaire - BIPP n° 45 - Juillet 2006

Introduction

La clinique est devenue un enjeu idéologique formidable. Elle doit pouvoir correspondre aux intérêts des promoteurs de psychotropes et de psychothérapies protocolisées afin de justifier leurs prétentions.
Les classifications internationales entérinent leur prise de pouvoir qui est à l’envers d’une réelle démarche scientifique. Mais c’est aussi une chance pour nous, car pour arriver à leurs fins, la réduction du champ psychique qu’elles opèrent est telle que l’objet même de ce champ est démoli. C’est une faute majeure en épistémologie : toute réduction de la réalité est justifiable pour étude mais à condition de ne pas démolir l’objet même de l’étude. De ne pas respecter cela, ces classifications “pragmatiques” n’ont ainsi de pragmatique que le nom. Elles ne discernent pas notamment ce qu’est un symptôme d’un mode de défense contre l’irruption désastreuse du symptôme car elles sont incapables de donner la moindre définition de ce qu’elles appellent le “mental”. Plus généralement, elles se contentent de tautologies pour définir les termes employés pour décrire les troubles qu’elles repèrent (tels qu’humeur, impulsion, conduite…) et se contentent d’un mythique consensus à ce sujet. Ce problème de réduction excessive est un bec sur lequel continueront de buter tous les œcuménistes de bonne volonté voulant réunir neurosciences nourries de plasticité cérébrale à la psychanalyse.
Nous allons donner un exemple clinique d’un problème de terrain dont elles sont incapables de rendre compte intelligemment, celui des crimes sexuels impulsifs.

Les crimes sexuels impulsifs

Des crimes sexuels terribles sont annoncés dans les moyens d’information. On ne peut pas dire qu’une accoutumance se passe. L’effroi surgit chaque fois, surtout quand des enfants s’y trouvent impliqués. Des systèmes d’alerte sont mis en place pour les disparitions d’enfant ou d’adolescent qu’on ne qualifie plus systématiquement de “fugues”. Les crimes incestueux ne sont plus banalisés et occultés systématiquement. Mais pour les adultes, une certaine fatalité se dégage toujours sous le terme de crimes passionnels. La sexualité entraîne des passions folles et c’est quasiment admis. La justice a tendance à plutôt considérer cela comme amenant à l’auteur des circonstances atténuantes. Cela fait croire à la moindre gravité des crimes sexuels.
Comment cela se fait-il ? Quelle clinique nous permet de les comprendre et d’en rendre compte ? Il s’agit de sortir des banalisations et des clichés de presse pour comprendre ce qui se passe réellement. Il nous faut en réalité inventer une nouvelle clinique et pour cela partir à la fois de la violence perverse et de celle de la psychopathie.
C’est l’alliance de l’algolagnie perverse et de la psychopathie qui va nous donner les clés cliniques du tableau de “perversion-psychose” et des crimes horribles qui en ressortent dans la relation sexuée.

Définition de l’algolagnie active et de l’algolagnie passive

Nous reprendrons dans ce texte les termes d’algolagnie active et passive - “Schmerzwollust”- d’Albert von Schrenck-Notzing (1892) car ils sont plus précis que les termes habituels de sadisme et de masochisme inventés par Richard Freiherr von Krafft-Ebing en 1886 comme aspects de la perversion sexuelle.
Le terme d’algolagnie est composé du grec algos, douleur, et de lagneia, le commerce intime.
Dans l’algolagnie dite “active”, une personne éprouve de la satisfaction sexuelle en infligeant une souffrance physique ou morale à quelqu’un d’autre. Insistons sur la “souffrance morale” car ce ne sont pas forcément la douleur physique qui est en jeu. Ici le terme “morale” est équivalent d’émotionnel élaboré, par exemple l’émotion de peur intense avec laquelle on va jouer.
Dans l’algolagnie dite “passive”, la satisfaction vient d’une humiliation ou d’une souffrance physique reçue par l’autre. Là aussi l’humiliation renvoie à l’utilisation d’un émotionnel élaboré.
Souvent quelqu’un est algolagnique actif dans un contexte et passif dans un autre.

Définition de la psychopathie

Nous définissons la psychopathie par l’écroulement soudain chez une personne de ses capacités affectives et par l’impulsivité agressive qui en découle (voir l’article récent du BIPP traitant le sujet).
Survient pour quelqu’un un manque soudain d’action :

  • - ne pouvant être poursuivie par épuisement,

  • - ou bloquée lors de contrariétés diverses,

  • - ou achevée par réussite.

Du fait de l’équilibre homéostasique rompu entre action structurée et réaction émotive, cela entraîne un surcroît concomitant d’émotivité qui n’est pas supporté par les personnes qui ont de faibles capacités émotives. Le pôle psychique de l’affect s’effondre alors par surtension. Le psychisme rebascule vers l’action mais les capacités d’action structurées ne peuvent réapparaissent que par des symptômes de brusque impulsivité agressive :

  • - hallucinations intérieures injurieuses

  • - interprétations hâtives, persécutrices ou érotomaniaques

  • - automutilations en tous genres,

  • - impulsions de dominations agressives (y compris sexuelles) non contrôlables car l’affect inhibiteur est effondré.

Contradiction apparente de l’algolagnie et de la psychopathie

Il y a une contradiction logique à première vue entre, d’une part, le plaisir “algolagnique” qui transpose dans les relations sexuées adultes des éléments de la dyade mère-enfant associant la peine et le plaisir (dans la dyade, on se “donne du mal”, les deux collés ensemble, pour fonctionner et être content), et d’autre part avec la notion de psychopathie.

1 ) L’algolagnie fait partie des pratiques perverses où le scénario de la douleur est mis en place pour essayer de pallier au manque de jouissance qu’entraîne le défaut relatif de fonctionnement de la sphère émotionnelle des participants. Le pervers est un “malin” qui ose agir mais qui ressent affectivement peu. Il y a un manque d’équilibre dans la perversion qui ne permet au pervers que d’accéder à une jouissance restreinte. La jouissance psychique nécessite en effet pour s’établir un équilibre relatif entre pôles fonctionnels logiques opposés, ici entre le pôle de l’action structurée et celui de l’affect. En essayant de pallier à son déséquilibre en augmentant l’intensité de l’émotion par la douleur physique ou morale, l’algolagnique essaie d’augmenter par contrecoup celle de sa jouissance. C’est un psychothérapeute cognitivo-comportementaliste de pointe ! Comme cela ne marche tout de même que relativement peu, il est quand même la plupart du temps obligé de se masturber pour finir sa partie… Mais il n’est pas psychotique à ce moment, pour autant, en effet.

2 ) La psychopathie est en pleine accroissement sur notre planète car les difficultés d’adaptation grandissantes aux bouleversements sociaux et économiques sont telles que le pôle de l’action structurée s’effondre chez beaucoup de personnes et d’enfants par épuisement. Une hyperémotivité réactionnelle s’ensuit, entraînant des états hyper-affectifs, aigus puis de plus en plus chroniques. Cela amplifie une fragilité génétique ou épigénétique particulière. Si le pôle affectif ne tient pas, s’il est trop peu solide pour encaisser pendant un moment suffisant la surtension émotive (par exemple par une dépression), il s’effondre à son tour aussitôt ou de manière à peine différée ; un passage à l’acte auto ou hétéro-agressif vient signer à ce moment la réapparition d’une action folle impulsive à la moindre contrariété et obstacle d’action. Il y a donc disparition de l’affect à ce moment d’impulsivité et de la possibilité de partager l’affect avec l’autre ; et surgissent alors les symptômes de domination folle. La psychopathie est un des aspects de la psychose affective, sous la forme du tableau clinique de la personnalité “borderline”.

Dépassement de la contradiction

Nous voyons donc pourquoi cela semble antagoniste :

  • - l’un, le pervers, cherche à augmenter son ressenti affectif notamment par la sexualité ;

  • - l’autre, le psychopathe, ne tient absolument pas la charge de l’affect.

Or il se trouve bien des personnes qui présentent les deux, qui ont des symptômes “pervers-fous”.

Comment expliquer cela ? C’est que le pervers peut se tromper sur ses capacités à supporter un excès d’affect sans effondrer son pôle affectif ; il croît qu’il peut maîtriser indéfiniment la situation mais il dépasse dans les faits, à un moment donné, ce qu’il peut supporter. Sa faille émotive se révèle alors. Il augmente si bien l’intensité de son affect qu’il dépasse les capacités fonctionnelles de ce pôle de son psychique et le voilà “pervers-fou”, tuant son dominant ou son dominé, par exemple.
La jalousie qui fait enfler la charge émotive est souvent en cause sous diverses formes. Dans les cercles sadomasochistes, c’est souvent une jalousie soudaine entre participants à propos du chef et de ses présumés favoris qui crée un surcroît de tension affective et provoque le passage à l’acte mortel d’un adepte sur un autre. Dans les relations homosexuelles, la jalousie est souvent directement entre partenaires, l’un ayant plus de “succès” en général que l’autre dans les relations sexuées. Dans les crimes envers les enfants, la jalousie est plutôt envers les parents des enfants et leur supposé désir de possession d’enfant.

A un moment donné, le refoulé affectif de la jalousie ne tient plus, par épuisement ou sous l’effet d’une situation de vie inattendue qui va servir à fournir la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
L’impulsion agressive qui en ressort est particulièrement dramatique : on y tue l’innocent dominé sexuellement, on le viole, on le terrorise, on le martyrise et le torture de toutes les façons possibles en le blessant cruellement et en le mutilant (y compris soi-même dans l’algolagnie passive). Ce que ne fera jamais un pervers non psychotique qui ne tiendra pas à abîmer les éléments constitutifs de son scénario douloureux.

Toutes les émotions peuvent être en cause, y compris l’émotion consécutive de la réussite trop facile chez un pervers qui bascule vers le meurtre gratuit voire le meurtre en série dans ses manœuvres pour faire souffrir l’autre, par exemple en lui faisant peur.

Mais il ne faut pas oublier l’algolagnie passive, celle qui fait se mettre une personne en soumission sexuelle de l’autre pour souffrir et qui pourra impulsivement, lors d’une décompensation psychopathique, se mettre en situation de danger face au risque d’acte meurtrier de l’autre. Il existe des ogres pervers qui voient leur victime se précipiter impulsivement vers eux pour se faire périr. Le cannibale de Rottenbourg qui voulait goûter fétichistement à la chair humaine, nous en a fait une démonstration inouïe en 2001, ayant réussi à susciter par petites annonces chez plusieurs personnes une impulsivité calamiteuse à se faire manger et ayant dû trier pour choisir sa victime. Histoire rendue encore plus scandaleuse par les difficultés de la justice pour arriver à condamner le criminel à la hauteur de son crime vu que la victime était “consentante” ! La défense du pervers est ainsi souvent de dire que la victime l’a provoqué en étant volontaire.

Conclusion

Le tableau clinique de l’algolagnie-psychopathie et sa compréhension fonctionnelle rend compte de beaucoup de crimes impulsifs (meurtres, viols, dons de soi inconsidérés à des personnes dangereuses…) dans la relation sexuée. Il explique le risque majeur de récidive, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Il est indissociable d’une compréhension homéostasique des fonctions psychiques humaines. Il ne peut être compris que dans un déroulement temporel et non statique.

C’est un des aspects d’une entité clinique plus vaste qui est celle de la perversion-psychose en général et qui peut mettre en jeu tous les autres types de relation humaine.

Jacques LOUYS
Haguenau


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