A propos de l'article de M. Pierre-Louis Bras (1)

Martine Fleury
Retour au sommaire - BIPP n° 45 - Juillet 2006

Il s’agit d’une réflexion brillante sur un sujet sensible, qui mérite bien cette prise de recul qu’opère M. Pierre-Louis Bras, dont je retiendrai quelques éléments parmi les plus pertinents :

- Le dispositif “médecin traitant” ratifie des pratiques largement répandues et n’aura qu’une influence très limitée sur les comportements. Si tant est qu’il ait une influence, les résultats de ce dispositif sont fondamentalement incertains pour ce qui concerne la qualité des soins et potentiellement coûteux pour les organismes d’assurance maladie (base et complémentaire).

- La logique de l’histoire et de son développement : le conflit au sein du corps médical

- Le gatekeeping en creux, désigne un bouc émissaire, l’assuré au comportement anarchique et désordonné

- L’affirmation du droit des malades est encore sous l’égide du vieux paternalisme où le “bon médecin” en l’occurrence le “bon généraliste” sait mieux que quiconque ce qui est “bon” pour le malade.

Je dirais, pour résumer, que cet article est un petit chef-d’œuvre dans le genre, et qu’il met le doigt sur ce qui fait mal dans la corporation des médecins d’une part et dans la vie politique française en général. La conclusion n’est pas à l’honneur de la médecine, ni des politiques, ni de la vie syndicale.

Mais j’ajouterais pour reprendre la notion de M. Bras (“le gatekeeping en creux désigne un bouc émissaire”), que son article, aussi pertinent soit-il, ne peut à lui tout seul analyser tous les paramètres en amont de ce fourre-tout disparate qu’est le système médecin traitant-parcours de soins DMP-EPP.

Une thèse n’y suffirait peut-être pas, mais l’essence même du propos de cette pseudo-réforme est de limiter les dépenses de santé. Il n’y a que la Cour des Comptes qui puisse nous renseigner très précisément sur le sujet, mais les rapports de la Cour des Comptes restent lettre-morte… hélas !

Alors, derrière tout ça, qu’y a-t-il en creux ? Qu’est-ce qui coûte si cher ?

L’hôpital, sans doute, et là on réintroduit la fameuse scission public-privé, où la qualité, on le sait, ne se mesure pas à l’aune des dépenses… Mais jamais, on ne voit une seule fois le mot qui fâche et dont je ne voudrais pas qu’il soit interprété lui aussi comme un bouc émissaire : l’industrie pharmaceutique.

Comme dans les séances avec nos patients où nous savons que le plus important c’est ce qui n’a pas été dit, l’absence de cette notion dans l’article de M. Bras ou dans les discussions conventionnelles est bien le révélateur de cette tache aveugle dans le discours médico-politique français. Le coût humain dans les soins est certes important, mais on sait l’inflation des coûts pharmaceutiques depuis cinquante ans. Sujet tabou.

Je n’ai ni les compétences d’un historien ni celles d’un analyste financier pour repérer la totalité des enjeux et l’enchaînement des causalités. Mais je parierais volontiers que dans ce combat perdu d’avance pour la revalorisation des honoraires (et en particulier pour les psychiatres !) la seule à tirer son épingle du jeu, sans avoir jamais participé officiellement aux débats, est cette industrie pharmaceutique, forte de ses titres en bourse et de ses emplois…

Martine FLEURY
Rouen

(1) Pierre Louis Bras : « Le médecin traitant : raisons et déraison d’une politique publique », in « Droit Social », janvier 2006.


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