Marseille - Journées Nationales 1999

Filiations

L’intérêt pour les filiations se retrouve à toutes les étapes du travail du psychiatre – à de multiples registres.

Le premier d’entre eux concerne évidemment les liens de parenté, ceux-ci engageant aussi bien les ordres du biologique (hérédité, génétique) que du psychique et du social, ces deux derniers pouvant d’ailleurs être distincts du premier (expérimentalement dans le cadre des adoptions par exemple ou des foyers séparés). Une telle dissociation pourra également être repérée au niveau fantasmatique ("celui que je me reconnais comme père", mais également, bien que de façon plus inattendue, cela peut également concerner la mère...). A un degré de plus, on sera confronté à de véritables "délires de filiation". Les rapports aux parents occupent une très large place dans l’approche clinique et psychothérapique – en ceci qu’une très grande part de l’organisation psychique de l’enfant va se nouer à travers eux.

Plus "métaphorisées" sont les filiations intellectuelles ou spirituelles : on sait toute l’influence que peuvent exercer éducateurs et enseignants de tous niveaux – depuis l’instituteur des premiers apprentissages, le "professeur de philo" de terminale, jusqu’au "maître" universitaire, mais aussi le maître artisan, celui de stage, mais aussi tel leader politique ou, dans l’ordre religieux, tel père spirituel. Cette fonction, qui va jouer un rôle très important dans la maturation de l’adolescent et de l’adulte jeune, repose à la fois sur la transmission de contenus mais aussi sur une modélisation à travers transfert et identification. On mentionnera, à propos des psychiatres, le cas particulier des filiations "psychanalytiques", objets d’une curiosité affûtée, qu’il s’agisse de divan ou d’école…

Enfin, on doit tenir grand compte de ce que nous appellerons les filiations culturelles, qui renvoient aux liens communautaires qui se nouent à de multiples sources : géographiques, ethniques, langagières, traditionnelles, religieuses, etc. - liens qu’il convient d’analyser avec précision à l’écart de toute dérive raciste ou excluante, tout en leur reconnaissant un rôle fondateur dans les comportements individuels et sociaux...

La référence à la filiation est fondatrice dans beaucoup de textes fondamentaux de l’humanité. C’est dire que la reconnaissance d’une filiation est avant tout un fait de parole, et se situe dans l’ordre du symbolique : elle appartient au procès d’humanitude – et comme telle concerne au premier chef le philosophe. Mais la question des filiations devrait tout autant interpeller le politique s’il veut se garder du fantasme totalitaire d’uniformisation des hommes – ou, pire encore, de leur sélection…

Pour le psychiatre en tout cas, elle fait partie des données incontournables qui constituent l’individu en sujet, lui même "enfant de son histoire". Certains progrès contemporains de la recherche, notamment mais pas seulement dans l’ordre biologique, peuvent incliner à privilégier l’abord symptomatique de la maladie sur un mode purement synchronique et justifient que soit réinterrogée la pertinence d’une mise en perspective diachronique. Néanmoins, qu’il s’agisse de compréhension de la souffrance, de la maladie, de gestion des thérapeutiques, voire de propositions en terme de prévention, l’expérience soignante, notamment celle des prises en charge au long cours, laisse à penser que l’investigation sur les filiations constituera toujours pour le psychiatre un des ressorts majeurs de son travail clinique, de sa réflexion théorique et de son efficacité thérapeutique.