Déclaration du 19 octobre 1997

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1) La psychiatrie fait irréductiblement partie de la Médecine, dont elle partage l'éthique proprement dite, hippocratique, et l'inscription dans le champ social.

2) Cependant, les caractéristiques de la psychiatrie, qui a pour vocation de prendre en charge la souffrance psychique, ne peuvent se ramener à celles de la médecine somatique dans son évolution actuelle, qu'il s'agisse bien évidemment de son champ clinique, mais surtout de ses instruments, connaissances, recherches ou techniques d'évaluation.

Depuis l'instauration de la méthode anatomo-clinique, la médecine reste fondamentalement attachée à la quête de causalités linéaires, aussi complexes soient-elles, alors que la psychiatrie fait également référence à la polysémie, la multifactorialité, la circularité des processus de souffrance. Ici prévaut l'observation et la définition d'objets de soin, là une relation entre personnes. L'une et l'autre de ces démarches ont leurs justifications, épistémologiques et opératoires. Elles peuvent être complémentaires, elles ne sont pas interchangeables, encore moins substituables.

3) Dans ces conditions, on ne peut, dans la recherche de solutions évolutives pour le système médico-social, maintenir la confusion entretenue obstinément entre psychiatrie et médecine somatique.

4) Une nouvelle réforme des études médicales est en voie d'être engagée, réduisant l'équivalent du 3ème cycle à trois filières : chirurgie, médecine générale et spécialités médicales et biologiques (au sein desquelles se situerait la psychiatrie). Or la prise en compte des aptitudes personnelles comme les exigences de formation et de pratique justifient à elle seules l'autonomisation d'une branche spécifique pour la psychiatrie.

Il n'est pas jusqu'aux choix démographiques qui ne puissent supporter une démarche uniforme de réduction des spécialités, alors que la santé mentale fait partie des priorités de santé publique et que l'on constate répétitivement l'insuffisance numérique de ses acteurs (c£ le récent rapport du Conseil Economique et Social).

5) La formation médicale continue, désormais obligatoire et donc contrôlée, ne peut s'appuyer entièrement et exclusivement sur les méthodes et critères de validation retenus en médecine somatique. Les objectifs de formation, parce qu'ils visent fondamentalement à l'amélioration des compétences, ne sont pas strictement identiques : ils ne peuvent se réduire en psychiatrie à une simple acquisition de connaissances ou de savoir faire, mais impliquent parallèlement un travail spécifique et approfondi sur la relation soignante.

6) Les modalités de saisie des activités ne peuvent pas non plus être superposables. Le soin en psychiatrie ne se ramène pas à la prise en charge d'" objets " pathologiques étroitement définissables, autorisant quantification précise, standardisation des méthodologies, prédictivité statistique des évolutions, maîtrise des files actives. il n'est pas question pour autant de récuser tout contrôle et toute évaluation, mais selon des méthodes spécifiques, non réductrices, non intrusives, à élaborer.

7) l'Organisation des soins psychiatriques en pratique ambulatoire devra toujours laisser une place prépondérante au colloque singulier, support de modalités thérapeutiques spécifiques et seul susceptible de garantir la plus stricte confidentialité non seulement comme exigence éthique mais en tant que facteur opératoire déterminant.

Il en est de même de la liberté d'accès direct à ces soins, autorisant une démarche pleinement assumée, indépendante des contraintes et circuits institutionnels.

8) Tout autant qu'en ce qui concerne la démographie, il n'apparaît pas concevable de soumettre le volume des soins psychiatriques de ville aux quotas d'évolution appliqués de façon systématique à l'ensemble de la médecine libérale alors que l'on reconnât par ailleurs l'existence d'importants besoins non satisfaits en santé mentale. La disparité même des volumes d'activité selon les régions traduit un certain nombre de carences en bonne partie liées aux insuffisances et inégalités démographiques. Verrouiller le système de soins sur des indicateurs reflétant seulement l'état des lieux, en l'absence de toute prospective, irait à l'encontre de toute prétention à améliorer la santé publique dans le secteur considéré.

9) Proposer des suppléances en renvoyant la responsabilité des soins à des non spécialistes, généralement privés de toute formation adéquate, ne ferait que renforcer la tendance maintes fois dénoncée à une consommation excessive de psychotropes, dont la prescription, en France, est déjà effectuée à 80% par des non psychiatres.

Tout autant le renvoi, suggéré, de tout ou partie des psychothérapies vers des opérateurs non médecins aboutirait non seulement au risque de méconnaissance de la composante organique des problèmes psychiatriques comme de certains risques évolutifs exigeant une capacité décisionnaire de type médical, mais reviendrait également à priver une grande partie de la population de l'accès à ce type de soins.

10) Toutes ces raisons , et bien d'autres, amènent les psychiatres de l'A.F.P.E.P. - S.N.P.P, réunis en Assemblée Générale/, à exiger que les problèmes de la psychiatrie de ville soient abordés de façon spécifique dans le cadre des mesures concernant la médecine libérale, qu'il s'agisse de démographie, de formation, de contrôle, de dispositions conventionnelles, d'épidémiologie ou d'évaluation prospective des dépenses de santé.

C'est désormais la condition indispensable pour qu'apparaisse une cohérence entre le discours politique sur la santé mentale et la réalité des pratiques mises à son service.

Association Française des Psychiatres d'Exercice Privé

Syndicat National des Psychiatres Privés


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