Les Etats Généraux de la Psychiatrie : et ensuite ?

Jean-Jacques Laboutière
Retour au sommaire - BIPP n° 36 - Septembre 2003

Il ne fait aucun doute pour tous ceux qui se sont rendus à Montpellier en juin dernier que les États Généraux de la Psychiatrie ont connu un succès à la mesure des espérances qu’ils avaient suscitées.

Succès tout d’abord par le nombre : 2 000 participants ! Alors que la paralysie des transports en communs liée aux mouvements de grèves de ce printemps rendait pourtant les déplacements plus que hasardeux. Parmi eux, une bonne moitié était composée de psychiatres, eux-mêmes à peu près également répartis entre psychiatres privés et publics. L’autre moitié était essentiellement composée d’infirmiers, les psychologues et les travailleurs sociaux étant nettement minoritaires.

Ce sont donc au moins 450 psychiatres privés qui se trouvaient présents à Montpellier, ce qui représente une mobilisation tout à fait considérable.

Succès aussi par le contenu. Durant trois jours, les débats ont permis de confronter les points de vue, souvent avec passion, que ce soit en atelier durant les deux premières journées ou bien au cours de cette mémorable Assemblée Plénière du samedi durant laquelle une foule enthousiaste a discuté et argumenté avec acharnement et créativité les motions qui avaient été élaborées à partir du travail des ateliers.

Quatre motions fondamentales, 22 mesures d’urgence, articulées à la revendication d’un budget spécifique pour la psychiatrie, 12 engagements des professionnels : c’est au total un énorme travail de redéfinition des fondements de la psychiatrie, de son objet et de son périmètre, qui est sorti en 72 heures des États Généraux.

L’importance de la clinique a été vigoureusement réaffirmée ; aux dérives réductionnistes ont été opposées sans ambiguïté la complexité du fonctionnement psychique et la nécessité de recourir à une diversité de modèles pour préserver la richesse de notre discipline. L’importance de la relation thérapeutique dans les stratégies de soins a été fermement rappelée, ainsi que la place de la psychanalyse pour en éclairer les ressorts. En marge des États Généraux, ce sont les psychanalystes eux-mêmes qui ont rappelé la nécessité de renouer et renforcer le dialogue avec la psychiatrie ; une douzaine d’associations de psychanalystes parmi les plus importantes se sont solennellement engagées sur ce point.

Concernant les patients, l’indifférence, sinon l’abandon, que les pouvoirs publics leur réservent a été dénoncé sans complaisance. Les représentants des usagers et des familles sont venus témoigner et soutenir les États Généraux - non sans regretter toutefois de ne pas être entièrement partie prenante de l’organisation, mais la règle du jeu avait été clairement énoncée : ces États Généraux étaient, pour une fois, l’affaire des seuls professionnels.

Succès également par les effets immédiats que les États Généraux ont eus sur les représentations professionnelles. Alors que cela s’était avéré impossible jusqu’à présent, les huit syndicats de psychiatres ont décidé de se réunir en une Confédération et l’ont officiellement annoncé au cours des États Généraux. De même, les principales organisations scientifiques et les principaux syndicats infirmiers ont décidé immédiatement après les États Généraux de se rencontrer pour travailler ensemble sur les questions relatives à la formation infirmière, ce qui n’aurait sans doute pas été possible si rapidement sans cela.

Succès encore en terme de reconnaissance internationale de la psychiatrie française. Le vice-président, et donc futur président, de l’Association Mondiale de Psychiatrie a tenu à être présent et s’est déclaré considérablement impressionné par l’audace de cette entreprise, souhaitant susciter une telle démarche dans d’autres pays.

Succès enfin sur le plan médiatique. Plusieurs articles de fond dans les principaux quotidiens nationaux, la première page et l’éditorial du Monde, des relais dans les principaux hebdomadaires, une dizaine d’heures d’émission sur France Culture, plusieurs émissions sur d’autres radios, quelques minutes dans les journaux télévisés : rarement la psychiatrie n’avait atteint une telle visibilité sur la scène surchargée de l’actualité et chacun sait l’importance des médias pour susciter l’intérêt du pouvoir politique.

Or, c’est précisément sur ce dernier point que le bât blesse…

Trois mois de recul autorisent un premier bilan et force est malheureusement de constater que le Politique semble aller son train comme si ces États Généraux n’avaient jamais eu lieu.

Ce fut d’abord le Ministre de la Santé qui, après plusieurs mois d’atermoiement, a finalement refusé de se déplacer à Montpellier, préférant recevoir une délégation du Comité d’Organisation quelques semaines plus tard. Le compte rendu détaillé de cette entrevue ministérielle peut être consulté sur le site Internet des États Généraux. Mais, en résumé, au-delà d’une attitude courtoise qui le pousse à se déclarer d’accord avec l’essentiel des conclusions des États Généraux, ses projets pour la psychiatrie se révèlent en vérité aux antipodes du programme tracé par les États Généraux.

Cela est particulièrement visible en ce qui concerne les psychiatres dont le Ministre semble convaincu qu’ils seraient mieux employés à coordonner et superviser des soins dispensés par d’autres professionnels qu’à les réaliser eux-mêmes ; s’il reconnaît sans difficulté la complexité de notre discipline ainsi que l’importance de la part de l’intersubjectivité dans les soins, notre Ministre doute manifestement que ces caractéristiques ressortissent de ce qu’il considère comme la part médicale de la psychiatrie, à laquelle il aimerait nous voir exclusivement réserver notre énergie.

Rien dans l’action publique des derniers mois ne laisse entendre que les États Généraux aient produit une inflexion décisive en matière de politique de Santé Mentale ; le désastre sanitaire de l’été caniculaire qui s’achève risque en outre fort de reléguer durablement la psychiatrie loin des préoccupations ministérielles et ce n’est certes pas la revalorisation ridicule des honoraires des psychiatres libéraux dont il est question dans le prochain règlement minimum conventionnel qui peut contre balancer cette impression.

Tout cela n’aura-t-il donc servi à rien ?

Certes non ! Au-delà des succès ponctuels que nous énumérions plus haut, une dynamique s’est mise en route qui constitue le plus important des effets des États Généraux. Tous les professionnels jusque-là isolés qui partagent de la psychiatrie une conception construite sur le primat de la clinique et ne se résignent pas à être considérés comme des producteurs de soins standardisés, ordonnés aux critères de l’evidence based medicine conjugués à des exigences de rentabilité économique, ont pu se rencontrer et réaliser qu’ils ne sont plus seuls.

Tout laisse penser qu’ils ne se quitteront plus. En de nombreux endroits, institutions et/ou bassins de population, ces professionnels se sont regroupés. Ils ont constitué des comités locaux des États Généraux qui poursuivent le travail entrepris à Montpellier. Que le Politique en tienne compte ou non, ils demeurent convaincus que les soins demeurent l’affaire des professionnels et qu’il leur appartient collectivement de les élaborer.

Déjà significatif, ce mouvement fait tache d’huile. C’est là le véritable enjeu des États Généraux. Tout doit être fait pour le maintenir et le développer. Nous avons sans doute péché par naïveté en pensant que l’Administration et le Politique ne pouvaient que tenir compte de l’importance de l’événement. C’est désormais en poursuivant partout localement la démarche initiée à Montpellier que nous ferons changer les choses et maintiendrons la qualité des pratiques.

Les États Généraux achevés, le Comité d’Organisation ayant mené sa mission à terme devait se dissoudre. Cependant, parfaitement conscient et partie prenante de cet élan et de l’engagement dans ce mouvement dont nous avons des échos de toutes parts, il générera sans doute un Comité de Liaison, instance pérenne, ou un équivalent qui pourrait venir en appui de ces groupes locaux. Cela devrait se concrétiser à la fin du mois, et il est déjà acquis qu’il faudra continuer à faire vivre le site Internet des États Généraux.

Sachons qu’une telle instance n’aura de sens que si, sur le terrain, la résistance et la réflexion s’organisent. C’est donc en essaimant partout où cela est possible que les choses pourront changer. Cela repose sur chacun d’entre nous…

Jean-Jacques LABOUTIÈRE


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