IIIe Rencontres Francophones Internationales des psychiatres d'exercice privé - Sousse - Mai 2003

Jean-Jacques Laboutière
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Mutations et avenir de la pratique psychiatrique

Importante fréquentation, plus de 300 participants au total. À signaler l’importance numérique de la délégation algérienne, en rapport avec la création récente de l’Association Algérienne des Psychiatres d’Exercice Privé. La délégation belge était également assez nombreuse. Les Français constituaient le gros des troupes.

Le thème : "MUTATIONS ET AVENIR DE LA PRATIQUE PSYCHIATRIQUE". Tout à fait d’actualité quel que soit le pays mais qui prenait incontestablement un relief particulier dans le contexte des Francopsies.

Le côté passionnant du congrès - jamais explicitement énoncé dans les débats, mais partout présent en filigrane - était constitué par la différence de situation de la mutation :

  • Pour les sociétés occidentales, mutation entre modernité et post-modernité ;

  • Pour les sociétés d’Afrique du Nord, mutation entre tradition et modernité.

De cela ont finalement découlé quatre grands ordres de conférences dont les apports n’ont pas arrêté de s’entrecroiser, et parfois de se heurter :

  • Du côté des sociétés aspirant à la modernité : comment commencer à penser la post-modernité à laquelle on est brutalement confrontée, alors même qu’on n’est pas encore pleinement assuré de se situer dans la modernité et qu’on aspire à s’y enraciner, serait-ce au risque d’être parfois fascinée par elle ? Une remarquable conférence inaugurale de Ben Slama sur la question d’aider le patient à dépasser la "rupture culturelle" entre société traditionnelle et société moderne, et donc post-moderne, a entraîné dans la salle un débat étonnant pour l’observateur occidental, mais sans aucun doute très illustratif de cette problématique. Comment ne pas vouloir la modernité ? Sur ce point, il y eut la non moins passionnante, voire bouleversante, conférence de Saida Douki sur la condition féminine dans la société arabe. On y découvre que les femmes y sont encore maltraitées de manière inimaginable pour un occidental. On prend également la mesure du triomphe d’être mère pour échapper au malheur d’être femme. Une phrase étincelante qui résume beaucoup de choses : "Il faut que les mères fassent davantage de place aux pères pour que les hommes fassent davantage de place aux femmes". Comment passer à la modernité sans perdre ses racines ? Intéressante et poétique réflexion de Ferid Merini sur la question de la transmission interpersonnelle dans une société en mutation.

    Quelle position pour la psychanalyse dans une culture où tenter de penser la place et les effets de la référence religieuse est trop vite interprété comme une remise en cause de la valeur de cette culture ? Stimulante conférence de J.-P. Winter, limpide comme toujours, qui rappelle de quelle manière la psychanalyse, située sur la crête entre science et religion, est de toutes manières attaquée par les deux, de sorte que son statut reste finalement tout aussi précaire dans une société religieuse et dans une société fascinée par la science.

  • Du côté des sociétés basculant dans la post-modernité : Quelle psychiatrie dans une société post-moderne ? Passionnante, mais un peu pessimiste, conférence de J.-C. Pénochet sur le statut du sujet dans la société post-moderne, étayée de larges références à Baudrillard. Vibrante et plus optimiste conférence inaugurale d’Hervé Bokobza démontant les ressorts de la post-modernité, et concluant sur un appel très écouté, et très applaudi, à tenir bon sur la clinique. Déprimante, quoique brillante, conférence de Pierre Decourt vouant la psychiatrie à une disparition rapide si elle ne se donne pas rapidement les moyens de se doter d’un corpus scientifique pour assurer sa survie.

  • Un thème transversal essayant d’articuler les notions de mutation et de traumatisme : celui de la violence. Conférence optimiste de Boris Cyrulnik sur la violence créatrice. Conférence très clinique, de Bouchen Ferid sur la violence en Algérie subsaharienne.

  • Un dernier thème transversal sur l’avenir de la psychiatrie avec trois conférences : une conférence de Paul Lievens sur l’avenir de l’exercice des psychothérapies. Une conférence d’Arthur Aymiot pour alerter sur la place grandissante que prendra la gérontopsychiatrie. Une conférence remarquable de Slim Boulila faisant retour à Groddeck pour théoriser une notion très afpepienne de la psychiatrie comme irréductible articulation du médical et du psychothérapique. Très étonnamment, sur ce thème, pas un mot de la responsabilité du psychiatre lui-même quant à l’avenir de la psychiatrie. C’est ce que j’ai donc essayé de ramener, très modestement, dans la conclusion du congrès dont les organisateurs m’avaient fait l’honneur.

Mais aussi ambiance très politique.
Sous l’émerveillement de la rencontre, percent parfois brutalement des saillies qui font signe des meurtrissures de l’histoire. Cela peut se comprendre.
À souligner sur ce point la place un peu inattendue, mais très explicitement convoquée comme telle, de la France comme médiatrice de la rencontre, garante de la possibilité d’un dialogue entre peuples frères mais parfois ennemis.

Les prochaines rencontres auront lieu à Alger.

Merci à Paul Lacaze de tout le travail qu’il a réalisé autour de ce congrès.

Jean-Jacques LABOUTIÈRE


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