Calvados

Pierrette Laurent
Retour au sommaire - BIPP n° 36 - Septembre 2003

J’écris ces quelques lignes avant de partir en vacances. Elles se sont inspirées du rapide bilan que la coordination des psychiatres de Basse-Normandie et celle des spécialistes ont fait, juste après notre reconventionnement. Nous n’avons pas encore tiré tous les enseignements de ce mouvement mais il nous paraît important que ceci puisse être diffusé pour la rentrée.

J’étais très étonnée que, dans la lettre du 7 juillet, vous ne mentionniez pas le moins du monde le mouvement de déconventionnement auquel, dans le calvados, 1/3 des psychiatres a participé… (Certains de ceux qui ne se sont pas déconventionnés nous ont apporté leur soutien et l’ont signalé à la CPAM).

Un tiers après avoir été un peu plus de la moitié : certains n’ont pas résisté à la peur et au découragement devant la difficulté de ce mouvement :

- Peur créée par les pressions de la CPAM mais aussi par l’opinion générale : "que deviendraient les médecins sans la convention ? que deviendrait la médecine, que deviendraient les malades ?" questions qui nous taraudent et qui justement nous ont poussés à ce mouvement. La convention n’existe plus et le déconventionnement voulait en faire la preuve pour en exiger une, qui se dérobe encore.

- Découragement devant la difficulté du mouvement : expliquer à chaque patient le pourquoi et le comment de ce mouvement, notre recherche d’une réelle convention, nos craintes sur les atteintes possibles à la confidentialité et au secret médical avec la carte Sésame Vitale, les assurer du bien-fondé de leurs démarches à demander fermement le remboursement de leurs frais médicaux, comme les semaines précédentes 1.

Les psychiatres du Calvados qui se sont déconventionnés en juin l’ont été après un délai décidé par la CPAM (environ 8 jours, le temps pour celle-ci de nous intimider et sans doute de prendre contact avec leurs instances supérieures). Nous fonctionnions en AG de spécialistes, une fois par semaine et en AG de psychiatres (3 pendant le mois de Juin) où venaient des collègues non déconventionnés ; fonctionnement très lourd après une journée de travail compliqué par le déconventionnement ! nous avons été reconventionnés avec célérité le matin même de notre demande. D’autres départements ont pris la suite de ce mouvement.

Que nous a appris ce mouvement ?

1 - L’asservissement des médecins à la CPAM : nous le savions déjà, mais en sortir nous a fait prendre conscience du degré de cet asservissement dont je vous donne les quelques éléments qui nous ont paru les plus notables :

- TA et TO : Tarif Opposable, tarif de base du médecin conventionné sur lequel le patient est remboursé ; Tarif d’Autorité, tarif sur lequel sera remboursé un patient qui consulte un médecin non conventionné. Ces deux tarifs étaient les mêmes au moment de la création de la convention et le sont restés un certain temps. Les médecins étant pratiquement tous conventionnés le TA est tombé en désuétude et n’a plus été revalorisé (1,40 euro pour 1 CNPsy). En conséquence, si nous sortons de la prétendue convention, nos patients ne seront pour ainsi dire pas remboursés.

C’est ainsi que, insidieusement, nous sommes devenus des médecins de caisse, et dans la pire des conditions, d’une caisse unique !

- Nous avons aussi pris conscience que nous ne faisions pas certains traitements du fait qu’ils ne sont pas reconnus par la CPAM ou pas reconnus à leur coût réel : ex. pour les psychiatres, thérapies familiales, psychothérapies psychanalytiques de groupe etc., bien qu’ayant la formation pour ces traitements et bien que, pour certains, nous les pratiquions ailleurs (CMPP…), avec un remboursement SS…

- Notre propre assurance sociale : nous sommes d’emblée affiliés à la CPAM qui, au cours de ce mouvement, nous a menacés de nous supprimer nos droits du jour au lendemain (ce qui, en fait, paraît plus compliqué) ! La CPAM pourrait se comporter à la fois comme notre employeur ET notre assureur : ce qui nous laisse présager des jours heureux au cas où notre Responsabilité Civile Professionnelle serait aussi entre ses mains. Nous avons contacté la CANAM avec laquelle pourraient s’engager des négociations et une assurance sociale à plus long terme : moyen de nous dégager d’une partie de notre aliénation à la CPAM, moyen aussi qui n’est pas sans inquiéter cette dernière, car si les médecins sont de bons cotisants, ils sont aussi de faibles "consommateurs de soin" !

2 – L’accolement médecin-remboursement : si nous ne nous désintéressons pas du coût de nos pratiques, si nous sommes attachés à une bonne pratique à un moindre coût, ce n’est cependant pas à nous de veiller au remboursement de nos patients ni de surveiller la consommation médicale. Avec la carte Vitale les patients (dont nous sommes parfois) n’ont plus à penser à leur remboursement, ils l’attendent et s’il ne vient pas c’est au médecin qu’ils s’adressent : avez-vous bien télétransmis ? qu’est devenue votre télétransmission ? Le tiers-payant généralisé, comme à la pharmacie actuellement, est une véritable incitation à la consommation médicale et "on" voudrait que ce soit les médecins, seuls, qui prennent en compte le coût du traitement ! Allez expliquer à quelqu’un la nécessité économique de changer de médicament ou autre alors que celui-là ne lui coûte apparemment rien ! Nous ne sommes pas contre l’informatisation des remboursements et nous pensons que la richesse des possibilités informatiques peut permettre une télétransmission qui ne court-circuite pas le malade en dépendant entièrement du médecin ! En tant que psychiatre, nous nous demandons même quels sens (pas forcément délibéré, bien sûr) pourraient avoir ce genre de télétransmission, quelles relations médecin-CPAM/malade-CPAM/médecin malade tendraient-elles à instituer ?

3 – Professionnels de santé ? Nous sommes des médecins et n’avons sans doute pas encore pris la mesure de ce qu’on voudrait nous faire devenir en nous nommant "professionnels de santé". Nous soignons des souffrances, des maladies ; nous connaissons la pathologie, les troubles, même si nous savons que le glissement du normal au pathologique peut être subtil. La santé ne nous appartient pas, elle ne saurait être notre domaine : dès que nos patients "vont bien", ils nous échappent et c’est ce que nous souhaitons. Alors, qu’est ce qu’un professionnel de santé ?

4 – Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête :

•Devant les prédictions catastrophiques des agents de la CPAM (vous ne serez plus des assurés sociaux, vos malades ne seront plus remboursés, une liste des médecins déconventionnés a été établie à la CPAM, incitation à changer de médecin pour en consulter un qui serait conventionné – incitation vécue douloureusement par nos patients –, vous serez remboursé 1,40 euro pour les CMU – oubli que les médecins ne sont pas remboursés pour les CMU, mais PAYÉS, et qu’en France il existe un SMIG horaire ! – etc.),

• Devant l’effort de ces mêmes agents pour que nous ne nous déconventionnions pas,

• Devant la célérité avec laquelle nous avons été reconventionnés,

• Devant le fait que la CPAM a remboursé normalement et en connaissance de cause

— tous les actes qui ont été effectués dans les tout premiers jours du déconventionnement,

— certains patients (notamment les CMU qui avaient accepté de payer et pris sur eux de se faire rembourser eux-mêmes, à nous médecins d’attendre leur remboursement pour encaisser leurs chèques),

— certains actes (chirurgie et autres…) à préciser encore, avec un bilan plus affiné,

nous en avons conclu que le déconventionnement était une arme que redoutait la CPAM et qui pouvait être efficace pour accéder à une convention qui ne soit plus un marché de dupes pour nous et qui ne devienne pas à terme un danger pour nos patients (secret médical, codage des actes…).

Nous avons aussi compris, à travers leur attitude, que des responsables syndicaux étaient plus attachés à leur place dans la bureaucratie syndicale qu’à une réelle défense de la médecine et de la convention : là non plus, rien de bien nouveau.

L’attitude des patients a été variable : de ceux qui comprenaient et étaient prêts à nous soutenir, de ceux qui comprenaient mais avaient peur des ennuis, à ceux qui pensaient que les médecins gagnaient largement leur vie, voire abusivement, même s’ils n’osaient pas trop nous le dire et s’ils étaient prêts à faire une exception pour LEUR médecin, toute une gamme d’attitudes s’est montrée, mais de façon générale ils n’avaient pas vraiment conscience de la nécessité et l’urgence de défendre leurs droits d’assurés sociaux, pensant que c’était plus le rôle des médecins. En tant que professionnels de santé serions-nous aussi devenus porteurs, malgré nous, d’une image de "puissants protecteurs ou défenseurs sociaux" ? (Je pense à tous les certificats médicaux qu’on voudrait nous faire remplir pour… "servir ce que de droit".)

Pierrette LAURENT

1 - Notons la création de l’ADAS (Association de Défense des Assurés Sociaux, 4 rue Cardurand, 44600 Saint-Nazaire martine.burban@laposte.net) qui fait tout un travail d’information des assurés sociaux.


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