Permanence ou impermanence des soins

Hervé Granier
Retour au sommaire - BIPP n° 40 - Janvier 2005

Depuis plus d'un an, l'UNCPSY sous l'égide de la Générale de santé élabore un projet de déréglementation de la permanence des soins dans les cliniques psychiatriques, c'est-à-dire la permanence d'une présence médicale 24 heures sur 24 imposée aux établissements par la célèbre annexe XXIII du décret de 1956. Quand les psychiatres ne l'assurent pas eux-mêmes, elle est en général confiée à des médecins généralistes salariés en liaison avec un psychiatre d'astreinte à domicile, selon des modalités propres à chaque établissement. Contrairement aux cliniques MCO, le principe retenu par la loi est donc celui d'une garde non spécialisée qui garantit une sécurité sanitaire et une qualité des soins, en tenant compte, à la fois, de la spécificité des prises en charge en psychiatrie et de l'insuffisance de compétences des psychiatres en matière d'urgences et de médecine somatique, de par leur formation et leur orientation clinique.

Ce projet de "modernisation de la permanence des soins" dicté par le souci pragmatique d'alléger les charges financières et organisationnelles qui pèsent sur les cliniques, propose de supprimer les médecins résidents et de "sous-traiter" la médecine somatique et ses urgences à des intervenants extérieurs à l'établissement, selon différents réseaux. On y retrouve les mots magiques, chers aux experts de santé publique : mutualisation des moyens... optimisation des ressources.... développement des réseaux de soins dépassant la structure même des établissements... etc. pour inciter le secteur privé à gérer la pénurie de moyens. Choisir de rompre la compacité de l'ensemble institutionnel au profit de réseaux flottants, par essence impersonnels et impermanents ne serait pas sans conséquences sur la qualité de l'hospitalisation psychiatrique privée, sur les responsabilités des psychiatres déjà fortement sollicités et les conditions de travail des personnels soignants, invités à se former à des gestes d'urgence , certes nécessaires, mais bien éloignés de leur vocation première.

Démédicaliser les cliniques et en balkaniser les soins n'est peut-être pas la meilleure solution de modernisation et l'insistance de l'UNCPSY sur cette question appelle de notre part une double réflexion sur l'utilité et le financement de la présence des généralistes participant à cette permanence des soins.

Place des médecins généralistes en clinique psychiatrique

Leur rôle ne peut évidemment pas se réduire au traitement des urgences somatiques artificiellement séparées, dans ce projet, des urgences psychiatriques. Dans les institutions qui ont une capacité et une activité importante, leur présence dépasse bien souvent les traditionnelles gardes de nuit et de week-end .Ils assurent la continuité des soins mais aussi la continuité des liens avec les équipes soignantes indispensables à la cohésion et la coordination des soins.

Leur présence et leur connaissance de l'institution rassurent les malades et les soignants ainsi soutenus dans leur engagement relationnel. Ils interviennent en position tierce pour désamorcer des conflits et résoudre des problèmes de souffrance psychique ou organique dont l'intrication est bien souvent de règle dans les pathologies psychiatriques, au quotidien comme dans l'urgence. Pour le dire autrement, si le Sujet est divisé, les patients ne sont pas , pour autant... divisibles.

Enfin, ils prennent en charge les affections somatiques intercurrentes ou secondaires aux pathologies mentales qui réclament une véritable attention et s'impliquent dans les programmes d'éducation sanitaire (alcool, drogues, nutrition, consommation médicamenteuse) qui vont revêtir de plus en plus d'importance.

Entourée de quelques précautions, cette collaboration collégiale de psychiatres et de généralistes sensibilisés à "la chose psy" permet de mieux répondre à des patients particulièrement "demandeurs de soins" et de privilégier l'écoute et la prise en charge psychothérapeutique de leur souffrance en les préservant, paradoxalement, des pouvoirs iatrogènes d'une médicalisation excessive ou d'un recours massif aux traitements psychotropes.

Cette approche multidisciplinaire et institutionnelle est au fondement des soins spécialisés en psychiatrie.

Le financement de la permanence des soins

Il s'agit d'un sujet difficile, source de conflits récurrents et de contentieux entre les CME et les directions administratives. L'imprécision et l'ambiguïté des textes réglementaires de référence avaient déjà forcé la commission permanente de la NGPA à statuer sur cette question et à rendre ses conclusion en avril 99.

"L'article 20 des dispositions générales n'impose pas aux psychiatres qui perçoivent des honoraires de surveillance constante, la charge de la permanence des soins telle qu'elle est définie à l'annexe XXIII du décret de 56 ( article 20 )" . Elle a par ailleurs réparti clairement le champ des compétences entre"une surveillance psychiatrique assurée par les psychiatres de façon constante (joignables si nécessaire) que l'on peut qualifier de continuité des soins et une surveillance médicale réalisée par un médecin non spécialisé présent sur place de façon permanente que l'on peut qualifier de permanence des soins".

En effet, une surveillance constante n'est pas synonyme d'une présence permanente ce qui serait d'ailleurs contraire à l'indépendance des praticiens protégée par le code de déontologie. Cette argumentation sémantique qui échappe parfois aux représentants des Caisses, est retenue par les différentes juridictions.

L'organisation et le financement de la permanence des soins incombent donc aux établissements. Elle ne peut être transférée aux psychiatres pour les raisons déjà évoquées et relève des négociations tarifaires menées par les fédérations hospitalières. Si l'annexe XXIII demande une présence médicale 24 heures sur 24, aucun texte ne prévoit les médecins de garde salariés ni ne précise leur fonctionnement ce qui facilite le désengagement des tutelles. Quant à l'astreinte à domicile à laquelle sont déjà soumis les psychiatres, malgré l'arrêté de classement des établissements de 1977, elle garde un statut plus déontologique (la continuité des soins) que réglementaire puisque la nomenclature n'a pas été modifiée pour autant. Rappelons, par ailleurs, qu'une démarche de qualité tend actuellement vers une présence continue des psychiatres dans la journée.

Cette regrettable absence de clarté du législateur donne lieu à des appréciations divergentes d'une région à l'autre, ou d'une clinique à l'autre. Les directeurs ont parfois du mal à accepter de financer seuls un système qui participe au confort de travail des psychiatres et la classique "main invisible" du libéralisme et de la responsabilité partagée conduit fréquemment les psychiatres à participer aux efforts de ce financement par l'intermédiaire de leurs réversions d'honoraires.

La refonte de ces textes s'impose donc rapidement et la négociation d'une nouvelle CCAM clinique devra y contribuer car seule une politique commune et claire plutôt que des arrangements particuliers mettra un terme à cette confusion.

En conclusion, la permanence des soins pèse de façon inégale sur l'équilibre financier des établissement. Elle est quasi inabordable pour les structures de très faible capacité pour lesquelles des aménagements pourraient être proposés. Pour les autres établissements, la présence permanente de médecins qui est encore une des forces de l'hospitalisation psychiatrique privée, demeure un enjeu de qualité que les psychiatres et les directeurs d'établissement ne doivent pas sacrifier. Il serait en effet bien difficile de faire admettre aux patients et plus largement à la société civile que des cliniques sans médecin offrent une qualité et une sécurité sanitaire comparables.

Ce n'est donc pas faire offense à nos confrères de l'UNCPSY et de la Générale de santé, soucieux d'un véritable partenariat avec les psychiatres travaillant dans leurs établissements, que de refuser ce démantèlement et de les inviter à poursuivre nos discussions déjà engagées sur ce sujet. Le risque est grand, en effet, de précipiter les cliniques sur la pente de la démédicalisation, déjà descendue par d'autres secteurs hospitaliers où il est difficile à présent, pour des patients, de rencontrer des médecins.

Cette présence médicale fantomatique devrait hanter notre réflexion et nos prochaines négociations.

Hervé GRANIER
Montpellier


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