Soyons enfin sérieux !

Chantal Jacquié
Retour au sommaire - BIPP n° 40 - Janvier 2005

Nous ne pouvons pas continuer à assister les bras croisés à ce curieux mélange dont on peut mettre en doute la bonne foi, entre d’une part l’indignation vertueuse des politiques et gestionnaires qui prétendent ne pas comprendre pourquoi les Français consomment autant d’antidépresseurs, et la conviction peut-être moins vertueuse que tout irait mieux s’il y avait moins de psychiatres , ce qui est d’ailleurs en train de se réaliser… avec la bénédiction des soi disant financeurs.

Bref, effectivement les Français semblent consommer beaucoup d’antidépresseurs.

Ces antidépresseurs représentent à eux seuls en terme de coût, l’ensemble des actes des psychiatres libéraux… Il faut cependant noter que justement ils sont prescrits en grande majorité (plus de 80 %) par des médecins généralistes qui sont actuellement en première ligne vis-à-vis des problèmes de santé mentale.

Les généralistes sont en effet la cible idéale pour les labos soucieux d’écouler profitablement une telle manne.

Loin de nous d’ailleurs l’idée de les mettre en cause.

Ils font ce qu’on leur a conseillé de faire, dans un contexte où il faut un délai important pour avoir un rendez-vous chez un psychiatre, où l’on sort assez souvent un peu prématurément de l’hôpital psychiatrique, et où il est convenu que les médicaments doivent parer à tout.

On leur explique aussi que les antidépresseurs seraient efficaces sur pratiquement tout en psychiatrie (tocs, troubles alimentaires, phobies, anxiété généralisée, etc.), et même préventifs !!!! N’est-ce pas merveilleux ?

En tout cas c’est ce que pensent les actionnaires de certains labos que je ne citerai pas.

En effet même des week-end de formation par ailleurs très intéressants, ne peuvent remplacer une formation clinique approfondie en psychiatrie, qui donne en particulier une approche de ce qu’il peut y avoir derrière un symptôme apparemment dépressif…

Il faut lorsqu’on prescrit un antidépresseur, d’abord être sûr qu’il s’agit bien d’une dépression au sens médical du terme (et non pas au sens économique par exemple), être certain que l’on n’a pas affaire à un patient qui présenterait sous-jacente une pathologie psychotique qui "flamberait". Prescrire un antidépresseur, le choisir, le doser n’est pas un acte anodin, et nécessite souvent de surcroît un suivi rapproché. Ce ne peut d’ailleurs pas être l’unique réponse thérapeutique dans le cas d’une dépression avérée.

Si nous insistons sur le fait que l’état dépressif est un symptôme psychiatrique précis, renvoyant le plus souvent soit à une mélancolie soit à une pathologie névrotique décompensée, c’est que ceci a été quelque peu perdu de vue et le mot devenu fourre-tout.

Bref, la dépression en tant que maladie n’est pas le malaise dans la civilisation !

Le malaise social n’est pas une maladie. Les antidépresseurs n’ont pas à être le nouvel " opium du peuple " même si cela est tentant d’entendre certaines plaintes comme cela.

Enfin les psychiatres revendiquent cette particularité de vouloir soigner des sujets et non pas des maladies. Il fut un temps où l’on reconnaissait cette dimension de leur art.

Aujourd’hui on voudrait la gommer et l’aligner sur des protocoles purement chimiothérapiques sur le mode bijectif : symptôme, médicament.

Tout sujet ayant eu une fois dans sa vie besoin d’une aide dans ce domaine sait que cela est totalement virtuel, dangereux et insatisfaisant.

C’est pourquoi les psychiatres, dont la pratique est aujourd’hui menacée, rappellent qu’il sont les détenteurs d’une clinique spécifique, et qu’il sont à ce titre les seuls à pouvoir prendre en toute connaissance de cause la responsabilité de prescrire les antidépresseurs (comme les antipsychotiques d’ailleurs) en première intention. Nous demandons donc solennellement que ceci soit instamment pris en compte dans le cadre actuel de la "maîtrise médicalisée" des dépenses de santé.

Chantal JACQUIÉ
Saint-Brieuc


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