Cornegidouille, une bonne référence est une référence à un référentiel !

Martine Burdet-Dubuc
Retour au sommaire - BIPP n° 41 - Mai 2005

Comme Ubu, dans la pièce célèbre du talentueux homme de l’art Jarry, on parle là un jargon que tous comprennent je l’espère ! Plus sérieusement devons-nous maintenant, nous, médecins de l’âme, construire un système de RÉFÉRENTIELS pour traquer l’ennemi-maladie moderne qui met l’État dans l’embarras des dépenses(1).

Par exemple la dépression : maladie très moderne qu’il faut vaincre et qui ressemble à un nouveau challenge tant dans les publicités pharmaceutiques que dans l’actualité des médias spécialisés !

Justement à propos de la dépression, alertée l’an dernier par l’enquête d’un de nos confrères Avignonnais (Q.M. du 15/04/04) je notais que les médecins sont particulièrement concernés par cette maladie puisque pour la même catégorie d’âge (de 35 à 65 ans) il y avait 14 % de suicides réussis chez les médecins alors qu’il n’y en avait que 5,6 % dans la population générale. Deux facteurs facilitants étaient relatés : les pressions administratives et le rythme excessif de l’activité professionnelle.

Puisque nous sommes concernés nous devrions facilement trouver des références pour mieux comprendre et pour mieux soigner.

À l’heure de la santé publique je vous propose d’examiner d’abord le questionnaire reçu il y a quelques jours au cabinet médical à propos de l’enquête de l’assurance-maladie sur la dépression, espérant y trouver quelques points qui nous orienteront pour une meilleure… "prise en charge ambulatoire de la dépression chez l’adulte" comme l’indiquait le titre de ce questionnaire.

Citons quelques points de ce référentiel : tout d’abord la durée de la prescription des antidépresseurs (comment cette mesure si aléatoire peut-elle faire l’objet d’une référence ?) puis le type de prise en charge (TCC ou psychanalyse par exemple comme si pour un type de maladie, voire de malade, une indication anonyme pouvait se poser extérieurement à la relation soignante).

On trouve aussi d’autres questions type "assurance-automobile" :

"Avez-vous renseigné le patient sur :

- le diagnostic,

- les effets secondaires,

- le risque d’échec du traitement ?"

Pouvons-nous vraiment espérer un meilleur traitement des patients à la lumière de ces questions ?

Enfin il faut noter également qu’il n’est mentionné nulle part dans ce questionnaire le diagnostic sur l’examen clinique, il n’est proposé que des tests divers pour l’aide au diagnostic: repérage ANAES, MINI (?), HAD, Hamilton…

Cette logique administrative et juridique (des mesures "objectives" pouvant nous servir pour une procédure éventuelle ?) pour éviter d’oublier ce qui serait un danger pour nous-mêmes ?

Prévenir le patient que s’il se passe quelque chose de désagréable on n’y est pour rien, de là à s’en laver les mains !

Que faire alors dans la relation à chaque patient tout au long de la journée de consultation… éviter de s’oublier ?

Je pense qu’au contraire il faut en partie oublier ce que l’on sait pour se laisser guider par celui qui nous parle de sa souffrance comme d’un repère. (Pourrait-on considérer comme une référence le type de souffrance exposée par le patient, sans l’étiquette "dépression" qui risque de lui faire clore le bec ?) (2).

Tant qu’à faire des questionnaires, voici ce qui serait souhaitable.

1/ Le patient au centre de la relation thérapeutique :

- lui permettre (il faut s’oublier) de nous parler comme s’il se parlait à lui-même,

- et que les mots lui échappent (ses maux aussi ça va de paire),

- qu’il puisse réaliser en parlant comment il situe sa douleur pour lui-même globalement dans son histoire (comment cela guide sa dynamique vitale), pour les autres, ceux de son environnement proche ou pas,

- enfin à travers cette relation thérapeutique dans la confiance établie par l’écoute qu’il puisse construire son propre projet thérapeutique.

2/ Des critères de cette confiance peuvent être notés dans des cases à cocher s’il le faut :

- les défenses qui sont souvent plus importantes au début du traitement,

- la recherche d’une bonne image de soi-même vis-à-vis de la famille, de la société,

- les résistances à se mettre personnellement en cause : c’est toujours la faute des autres ou des circonstances,

- la capacité à mobiliser sa reconnaissance au sens littéral (naître avec), la curiosité qui cherche à exploiter les données,

- la prise en compte de la donnée modifiable pour transformer une situation,

- la recherche d’autres situations comparables (à travers l’art justement, Cornegidouille !).

Sans doute, si ces cases-là étaient à cocher il serait possible de voir que les défenses se réduisent ainsi que les résistances qui vont décroître. L’importante énergie liée aux images véhiculées par les rapports de force régénère en se libérant le rapport au monde des semblables donc la capacité à se mobiliser.

On peut craindre qu’un questionnaire anonyme ne soit pas en mesure de libérer l’énergie prise dans les comparaisons imaginaires car le rapport que j’appelle "de force" y est visible entre les lignes, les éléments faisant valoir les patients les plus coûteux ! Le questionnaire même s’il est anonyme n’en est pas moins soutenu par le thérapeute en face de son patient et celui-ci sait que la logique de l’entretien est bien de permettre de dépenser moins à l’avenir !

Pour conclure, quelques mots sur cette logique des plus et des moins, qui est ubuesque car quand des salariés sont mis au banc de la société on risque (des statistiques le montrent) d’en faire des malades et l’argent qui est économisé sur un poste supprimé peut générer plus de dépenses pour l’assurance-maladie (entre le chômeur et le salarié harcelé d’être rentable pour deux).

En pédopsychiatrie je constate que pour les enfants de ces deux personnes potentiellement malades (le chômeur et celui qui est harcelé) cela fait des petits patients qui cherchent désespérément un lieu d’accueil car la capacité à transmettre est bien endommagée chez les adultes tutélaires. La référence qui manque ici ne serait-elle pas le travail pour tous dans la société ?

Martine BURDET-DUBUC
Villiers-sur-Marne

(1) - Les dépenses de l’assurance-maladie ne sont pas en pure perte comme on pourrait le croire d’après les discours des tutelles. Une étude du CREDESS en son temps avait démontré que ces dépenses créaient elles aussi des richesses ailleurs (salaire, TVA, investissements, etc…).
(2) - Voir "L’Ordre Médical" de Jean Clavreul (ed. Le Seuil).


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