Logique non-a et psychisme

Jacques Louys
Retour au sommaire - BIPP n° 41 - Mai 2005

Les partisans du conditionnement sont des partisans de la logique aristotélicienne. Pour eux, il y a des renforcements positifs et négatifs, il n’y a pas de conditionnement tiers. Il n'y a pas de conditionnement qui soit à la fois positif et négatif ou de conditionnement qui ne soit ni l’un ni l’autre. Nous entrerions alors pour eux dans le champ des distorsions cognitives, c’est-à-dire des erreurs de jugement. Or, il ne s’agit pas seulement de relativiser l’interprétation des événements dans le sens de ne pas être trop catégorique sur le classement en vrai ou faux ou en bon ou mauvais événement de vie. Il ne s’agit pas de nuancer, il s’agit de pôles logiques différents, d’une logique tétravalente, à quatre pôles, d’un tétralemme (qu’on peut formuler simplement : oui/non/oui et non/ni oui ni non) et non d’un dilemme (oui/non). En logique, on démontre que les pôles les plus opposés dialectiquement sont ceux du oui et du ni oui ni non d’une part, et ceux du non et du oui et non d’autre part.

Les partisans du conditionnement pratiquent une abstraction sélective paradoxale en ne considérant que les pôles logiques d’affirmation concrète (oui versus non) au détriment des autres possibles (oui et non et ni oui ni non). Ils s’enferment dans le dilemme, réduction outrée du champ psychique par rapport à son objet. Pour eux, un traitement va guérir ou pas, avec des nuances : il va guérir à 50 % si vous avez la moitié moins d’obsessions qu’avant. D’où l’importance des statistiques qui montrent où en est le patient sur la ligne entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre la réalité et l’erreur. Pousser le curseur du bon côté, du côté du bon conditionnement, de la bonne habitude à prendre pour remplacer la mauvaise, va être le but de la manœuvre des psychothérapies conditionnantes. La première bonne habitude à prendre est celle, bien sûr, de se dire guéri, tout au moins amélioré par la prise en charge, ce qui améliore considérablement les statistiques !

Le problème de cette réduction logique est que cela empêche une réelle prédictibilité clinique d’advenir et donc à une réelle scientificité de percer. Car il manque un pan entier du psychisme, qui est celui qui permet à un choix et à un libre arbitre d’émerger, ce que les psychanalystes essaient d’exprimer en parlant de désir. Mais faute d’articuler convenablement de même ces problèmes logiques, ces derniers prennent le risque de se faire identifier et de s’identifier à ce qui n’est pas logique, au sens de la logique aristotélicienne et d’être rejetés dans la psychose et l’irrationnel. Le pli pris, pour la majorité d’entre eux, de dire la psychanalyse non scientifique pour échapper au scientisme ambiant est une erreur fondamentale. Ils donnent à leurs adversaires les bâtons pour se faire rosser et déconsidérer.

Quant aux partisans du conditionnement individuel ou social, ils s’identifient sans le faire exprès à la problématique de la névrose-perversion qui est, justement, de pratiquer cette réduction logique aristotélicienne à outrance.

En clinique, nous allons retrouver cette problématique de la façon suivante :

- dans la névrose-perversion, il y a surinvestissement des pôles logiques aristotéliciens ; la névrose incarne le pôle logique du faux absolu (par le jugement falsifiant outré) tandis que la perversion incarne le pôle logique du vrai absolu (par l’action d’appropriation outrée),

- dans la psychose, il y a le surinvestissement des pôles logiques non aristotéliciens ; la psychose affective incarne le pôle logique du ni vrai ni faux absolu (par l’émotion inhibante outrée) tandis que la psychose dissociative incarne le pôle logique du vrai et faux absolu (par l’action d'élimination outrée).

Chaque surinvestissement d’un pôle logique s’expose au retour calamiteux du refoulé dans le pôle logique opposé, sous forme d'un symptôme. Dans la névrose-perversion, ce seront des symptômes psychotiques - non aristotéliciens - qui affoleront la personne. Dans la psychose, ce seront des symptômes névrosés-pervers - aristotéliciens - qui viendront gâcher la vie de la personne. Névrose-perversions et psychoses apparaîtront donc comme des radicalisations contre l’émergence possible d’un symptôme, comme des modes de défense.

Une prédictibilité clinique peut s’établir à partir de là avec des émergences privilégiées de symptômes pénibles chez des personnes présentant des modes de défense de tel ou tel type. À l’inverse, on peut prédire dans le cas de l’émergence de tel ou tel symptôme comment va se résoudre la situation si la personne arrive à lutter assez contre cette émergence pour retrouver ses défenses d’avant.

De plus, le fait de comprendre quel pôle logique émerge dans le symptôme permet de prescrire ce pôle logique afin d’arriver à le faire émerger correctement. Plus que de prescrire le symptôme, ce qui peut sembler un peu paradoxal rationnellement, il s’agit de prescrire le pôle logique correspondant à travers les registres psychiques concernés par le symptôme.

Je prie donc la communauté des psys et déjà celle des psychiatres privés de bien vouloir s’intéresser à ces problèmes de logique et de logique tétravalente afin de construire une réelle démarche scientifique en psychiatrie. La clinique est un endroit privilégié pour identifier cette problématique et je ne peux que me féliciter des volontés de renouvellement de la clinique qui se manifestent ici ou là.

Jacques LOUYS
Haguenau


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