De la naissance. Du désir d'enfant, de l'enfant, du langage

Françoise Cointot
Retour au sommaire - BIPP n° 41 - Mai 2005

Il n’y a pas d’accès possible au langage sans désir de communiquer, il n’y a pas d’accès possible au langage sans accès au monde symbolique et reconnaissance de l’altérité, celle qui est inscrite en soi et celle que l’on découvre chez l’autre.

L’humanisation du petit d’homme est un long cheminement, qui commence bien avant la naissance dans le désir d’enfant porté par l’homme et la femme qui le porteront dans les méandres de leur imaginaire, de leurs fantasmes conscients ou inconscients, dans leur culture et dans leur histoire pour ne pas dire dans leur lignée familiale trans-générationnelle, avant que l’embryon ne se prépare en neuf mois à sa venue au monde.

Langage et désir, langage et communication, entre psychanalyse et intersubjectivité. La particularité de l’embryon, du bébé, puis de l’infans est bien de nous emmener dans cet entrelacs impliquant au plus simple, au plus visible, les deux partenaires de la dyade mère-enfant, au plus complexe, au plus invisible trois partenaires, le père, la mère, l’enfant, voire plus, si l’on parle d’inscription symbolique et socioculturelle.

La naissance est un voyage à travers l’observation du visible, du perceptible et le recueil de l’imperceptible, je veux parler des phénomènes inconscients qui règnent en maîtres sur nos actes et nos pensées, sur nos désirs et nos productions qu’elles soient symptomatiques, créatrices de vie, ou sublimatoires.

Le désir d’enfant prend sa source dans l’histoire œdipienne et narcissique de la mère : désir d’enfant infantile auquel la petite fille a dû renoncer et qui se réactive avec le partenaire sexuel, devenant un désir d’enfant pas toujours vécu consciemment et qui peut même être vécu de façon ambivalente et source de rejet.

La vie fantasmatique maternelle joue donc pour l’élaboration de son désir d’enfant autant que pour le bébé imaginaire avec lequel elle établit déjà un dialogue, enrichi par les divers examens complé-mentaires en particulier les échographies puis les premiers mouvements du fœtus dès le quatrième mois.

Les recherches sur la vie fœtale apportent de plus en plus de précisions sur le développement sensoriel du fœtus surtout pendant la dernière phase de la gestation : il est intéressant de constater la précocité du développement de la fonction auditive comparée aux autres fonctions sensorielles, ce qui inscrit le fœtus dans un environnement déjà marqué de façon singulière et privilégiée par la voix humaine.

Le corps du fœtus réagit également au corps de la mère (tension musculaire, accélération cardiaque), qui lui-même réagit à ses propres affects, par le biais de la voie neurovégétative. Le corps du fœtus est un lieu de résonance des affects de la mère bien avant qu’il ne soit en mesure de ressentir ces affects, de les mettre en mots, il va par conséquent inscrire dans son corps des préformes ou des traces qui le prédisposent à lier perceptions et affects.

M. Bydlowski dans "la Dette de vie" en 1997 parle d’une "transparence psychique" des mères pendant la grossesse et surtout en fin de grossesse, état qu’il définit comme un état de fragilité particulière, lié à une levée partielle du refoulement avec pour conséquence une grande perméabilité aux représentations inconscientes, proche de ce que l’on peut constater chez certains patients psychotiques. Cet état induirait "un état d’appel à l’aide latent et quasi permanent… conditionnant une aptitude particulière au transfert médical" et le fait que pour ces femmes, "la corrélation entre la situation de gestation actuelle et les remémorations infantiles va de soi, sans soulever de résistance notable". Pour cet auteur "la grossesse offre donc les conditions d’une alliance thérapeutique avec le narcissisme maternel, favorisant le dévoilement de fantasmes et de souvenirs ordinairement refoulés, qui, partagés avec un thérapeute perdront au fil des entretiens leur charge pathogène".

Le travail psychique maternel dans la périnatalité consiste à réduire l’écart entre l’inreprésenté de l’événement et sa propre vie psychique, à composer du connu non pas avec de l’identique mais avec du familier à partir de cet inconnu en elle.

Le travail psychique par le biais du transfert participe à l’investissement actuel de l’enfant mais aussi permet de donner à l’enfant futur une place dans la trame des générations, d’où l’importance préventive des psychothérapies de femmes enceintes, quand il y a souffrance exprimable ou seulement repérable.

Le travail si bien nommé d’enfantement ne s’avère pas n’être qu’un travail physique pour la mère, celle-ci a aussi un travail psychique d’enfantement à mener. C’est ce que souligne le remarquable article de J. Rochette sur le temps du post-partum immédiat paru dans "Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence" de février-mars 2005 et dont je reprends ici les grandes lignes. Freud comparait le travail psychique d’enfantement à celui du rêve et du deuil, comme nécessaire à la psyché pour métaboliser les événements. L’événement naissance est toujours un moment propre à déborder les capacités d’élaboration individuelle et groupale et à engendrer du traumatisme. André Carel, dans "Transfert et périnatalité psychique, la fonction alpha à l’épreuve de la naissance", parle même de "traumatose familiale" pour évoquer ce traumatisme à la naissance, après Freud dans "Introduction à la psychanalyse" en 1916-1917.

Dans son aspect groupal, il s’agit à la fois de métaboliser les effets de l’accouchement :

- physiques par les perturbations hormonales et le vide qu’il procure,

- psychiques par la confrontation entre le bébé imaginaire avec le bébé réel, par la survenue d’un être nouveau en faisant de la place dans la psyché, afin de lui donner une assignation dans le groupe familial, et de composer avec la réactivation de l’infantile et de l’archaïque de chacun des deux parents.

La mise au monde est une affaire de famille et de communauté, la naissance est une étape initiatique qui déborde les seules capacités d’élaboration individuelle. D’une culture à l’autre on retrouve des rituels d’un soin social de la mère et du bébé : tous ces rites culturels permettent de marquer le passage d’un état (la grossesse, la symbiose) à un autre (la séparation première, le travail psychique du post-partum), en épousant les différentes phases d’une temporalité de la naissance. Il est intéressant de reprendre la description ethno-psychiatrique de Van Gennep en 1909 des rites de passage :

- Rites de séparation : coupure rituelle du cordon, bain à la naissance, traitement du placenta. Ces rites entraînent une effraction ou une mise à l’épreuve du pare-excitation maternel, avec afflux sensoriel et excès pulsionnel dans l’accouchement et la rencontre avec le nouveau-né, ébranlement identitaire et changement de place dans les générations, potentiel traumatique.

- Rites de marge ou de réclusion : quarantaine où mère et bébé sont tenus à l’écart du socius, mère déchargée des tâches domestiques, "aux petits soins", en contact avec les seules personnes proches, souvent affaire de femmes, mère alitée. Ces rites permettent la constitution d’une unité narcissique primaire, avec maintien d’un sas psychique, d’une grossesse psychique paradoxale mais utile, mise en latence de la conflictualité, introspection, primat du sensoriel, hiérarchisation du fonctionnement psychique autorisant la mère à ne traiter qu’une petite quantité d’énergie à la fois pour s’ajuster à son bébé.

- Rites d’agrégation ou d’intégration au socius, avec pour la mère, purification, retour de couches social, cérémonie des relevailles ; pour le bébé, présentation du bébé à la communauté, baptême, sacrifice d’animaux et rites conjuratoires. C’est le temps des relevailles avec le passage d’une position régressive à la position verticale, le deuil de la grossesse, la censure de l’amante (Lacan) et la triangulation précoce pour le bébé, la conflictualité œdipienne (Mélanie Klein), la remise en route des processus secondaires, la reprise des activités de symbolisation, la capacité de rêverie maternelle ou fonction alpha maternelle (Bion), la préoccupation maternelle primaire (Winnicott).

C’est insister sur l’importance d’un travail de mise en liens, autour de la mère enceinte, pour que celle-ci ne soit pas désafférée de ses contenants culturels et familiaux, et pour garantir des espaces transitionnels autour d’elle, afin de lui permettre le meilleur accueil possible de son enfant, dépendant de ce travail psychique du post-partum.

Françoise COINTOT
Saint-Malo

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