La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ?
Nous publions le résumé d'un article lumineux de François Gonon qui fait le point sur l'état des recherches en psychiatrie biologique et sur l'apport de celle-ci à la clinique psychiatrique(1). En effet, au temps du début du DSM, aux Etats-Unis, l'espoir est né de pouvoir faire entrer la psychiatrie dans un champ de médecine scientifique en élaborant « une neuropathologie liant causalement des dysfonctionnements neurologiques à des troubles mentaux». Trente ans plus tard, toujours aux Etats-Unis, l'espoir a fait place au doute : quels sont les indicateurs biologiques ? Quelle est la réalité des découvertes de la génétique dans la schizophrénie ou l'autisme ? Les conclusions des articles "scientifiques" des médias ne sont-elles pas souvent abusives? Où en est l'évaluation des promesses de la psychiatrie biologique? Comment donner à la neurobiologie une place qui ne soit pas réductionniste, en excluant les approches environnementales, notamment psychologique et sociologique ?
1) La psychiatrie biologique de l'espoir au doute
Le discours de la psychiatrie biologique affirme que les maladies mentales peuvent et doivent être comprises comme des maladies du cerveau. Il y a bien évidemment des cas où des symptômes d'apparence purement psychiatrique ont des causes cérébrales identifiables et traitables.
Peut-on en déduire qu'à terme tous les troubles psychiatriques pourront êtres décrits en termes neurologiques puis soignés sur les bases de ces nouvelles connaissances?
Les leaders de la psychiatrie biologique expriment actuellement dans les plus grandes revues américaines des doutes quant à sa contribution à la clinique psychiatrique. « Quand la première conférence de préparation du DSM-5 s'est tenue en 1999, les participants étaient convaincus qu'il serait bientôt possible d'étayer le diagnostic des nombreux troubles mentaux par des indicateurs biologiques tels que tests génétiques ou imagerie cérébrale. Actuellement [en 2010] les responsables reconnaissent qu'aucun indicateur biologique n'est suffisamment fiable pour contribuer au diagnostic ».
La contribution de facteurs génétiques à l'étiologie est sans doute plus forte pour l'autisme que pour tout autre trouble psychiatrique, mais n'explique qu'un petit pourcentage de cas. Pour les troubles fréquents (e.g. dépression) les études récentes montrent que les prédispositions génétiques jouent un rôle mineur par rapport aux facteurs environnementaux, en particulier les traumatismes psychiques de l'enfance. La recherche n'a pas non plus fait progresser substantiellement les traitements médicamenteux.
Selon Steven Hyman, l'ancien directeur du National Institute of Mental Health, aucune nouvelle cible pharmacologique, aucun mécanisme thérapeutique nouveau n'a été découvert depuis quarante ans. Tous les leaders de la psychiatrie biologique reconnaissent que la recherche a pour l'instant peu apporté à la pratique psychiatrique, mais continuent à prédire des progrès importants dans un futur proche. Pourtant, selon certains experts cette promesse risque fort de ne pas être tenue.
En effet, l'absence de marqueur biologique rend problématique la mise en oeuvre de modèles animaux des maladies mentales. D'autre part, puisque, sauf cas rare, les gènes impliqués dans chaque maladie mentale sont multiples et ne confèrent chacun qu'un risque faible, la psychiatrie moléculaire aura beaucoup de mal à déboucher sur de nouveaux traitements.
2) Le discours de la psychiatrie biologique et ses conséquences sociales
Face à ce maigre bilan et à ce futur problématique, le discours de la psychiatrie biologique, tel qu'il s'exprime dans les média, apparaît exagérément optimiste. Une analyse des discours scientifiques et médiatiques montre que les scientifiques contribuent largement à alimenter cette bulle spéculative.
Déjà à l'intérieur des articles scientifiques il existe souvent un écart entre les observations et les conclusions exprimées notamment dans le résumé. Ensuite, la distorsion des citations entraîne des dogmes non fondés. Enfin, les biais de publication génèrent dans les médias des conclusions erronées. Cette rhétorique spéculative influence le grand public : le pourcentage d'américains convaincu que la dépression est une maladie du cerveau d'origine génétique est passé de 54 % en 1996 à 67 % en 2006.
Contrairement à ce qui était attendu ceux qui partagent cette conception réductionniste ont une plus forte réaction de rejet vis-à-vis des malades et sont plus pessimistes quant aux possibilités de guérison.
Dans les pays riches, la prévalence des maladies mentales est plus élevée chez les plus défavorisés. D'un pays à l'autre cette prévalence augmente avec l'intensité des inégalités sociales. Selon Daniel Luchins, qui a longtemps dirigé la psychiatrie publique à Chicago, le discours réductionniste de la psychiatrie biologique ne sert qu'à évacuer les questions sociales et à invalider par avance les mesures de prévention des maladies mentales les plus fréquentes.
Selon la conception anglo-saxonne de l'égalité démocratique, les citoyens naissent égaux et ne doivent leur réussite sociale qu'à leurs mérites. Cet idéal se heurte à la réalité de l'inégalité sociale, qui est particulièrement forte aux USA et va croissant depuis 3 décennies. La fonction sociale du discours abusif de la psychiatrie biologique pourrait donc être de concilier l'idéal d'égalité des chances et la réalité de l'inégalité sociale en suggérant que l'échec des individus ne résulte que de leur handicap neurobiologique.
Nous remercions l'auteur et son éditeur d'avoir autorisé le SNPP à publier le contenu intégral de l'article dans Caractères et sur le site de l'AFPEPSNPP.
Le texte est également disponible à l'adresse ci-jointe :
http://esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=36379&folder=2