Réforme de l’internat en psychiatrie : la grande magouille…

Elie Winter
Retour au sommaire - BIPP n° 61 - Février 2012

Les batailles autour de l'internat en psychiatrie, donc de ce qu'il est convenu d'appeler la «formation initiale», cristallisent les points les plus litigieux des conflits syndicaux actuels.

Une réforme est proposée par la CNIPI (Commission Nationale de l'Internat et du Post-Internat), qui vise à réformer l'ensemble des internats et des post-internats de chaque spécialité et qui consiste essentiellement, en ce qui concerne la psychiatrie, à ajouter une année d'internat et à supprimer l'assistanat des hôpitaux.

Ça n'a l'air de rien, mais tout est dit. Et les internes sont furieux, même si ce n'est pour l'instant qu'un projet. La commission CNIPI voulait soi-disant résoudre un double-problème :

- le numerus clausus a doublé en quelques années en psychiatrie : rattrapage en catastrophe de tant d'années d'incurie gestionnaire,

- et beaucoup d'internes demandent un poste d'assistant ou de chef de clinique après leur internat (pendant 2 ans renouvelables). Pour la CNIPI, c'est le signe que la formation initiale en 4 ans d'internat est vécue commeinsuffisante. Or il n'y a pas assez de postes d'assistant pour accueillir tous les internes, et «ce serait trop cher d'en ouvrir» (c'est bien sûr tout le sens de la réforme : faire le moins cher possible).

La CNIPI propose donc l'économie : au lieu de 4 ans, il faut 5 ans (dont la dernière année aurait un statut particulier appelé aussi « Assistant » histoire de brouiller les cartes, que nous appellerons ici « interne-assistant » pour plus de clarté). Mais il faut une mauvaise foi d'administratif pour arriver à oser une pareille manipulation. Car justement, si on considère que les internes auraient presque tous fait un post-internat (assistant ou chef de clinique), avec ces 2 années supplémentaires, on passe de 6 ans avant la réforme, à 5 ans après ! Tout ça soi-disant au nom d'une demande formation supplémentaire des internes ?

Pourquoi une telle manipulation, qu'est-ce que ça cache ?

- Ajouter un an à la formation initiale permet de valider un conflit en cours depuis 11 ans : une réforme avait voulu imposer aux internes de psychiatrie de faire 1 an en "Hors-Filière" c'est-à-dire de passer 1 an d'internat de psychiatrie dans des services de médecine en mal d'internes. Sur les 4 ans, il n'en restait que 3 en psychiatrie, et donc les services y perdaient ¼ des effectifs d'internes. Difficile à accepter. Plutôt que de défendre l'intérêt commun AVEC les internes (qui n'ont jamais voulu de ce stage hors filière obligatoire), les universitaires ont depuis cherché à ajouter un an d'internat AUX DEPENS des internes. Plutôt que de se battre contre le ministère, il est plus simple d'imposer son autorité (quitte à la décrédibiliser), aux internes.

- Remplacer l'actuel assistanat en 2 ans par un nouvel « interne-assistant » sur 1 an, c'est quasiment la fin du secteur 2. Nous l'avons fait préciser au Pr Bougerol qui laissait penser que ça pourrait être le secteur 2 pour tous... « ça, ce sera aux syndicats de le négocier ! »... mais qui n'était pas prêt cependant à y mettre là une condition sine qua non à ce projet. Le SNPP rappelle que le secteur 2 a été mis en place pour ne pas avoir à augmenter les honoraires des médecins. Ce qui fut bien le cas ! Nous ne pourrions accepter de limitation au secteur 2 qu'avec un rattrapage du CNPSY à la hauteur, c'est-à-dire au moins à 3C !

- Les jeunes psychiatres y perdent aussi en mobilité : alors qu'ils pouvaient choisir leur poste d'assistant dans toute la France, voilà que cette nouvelle formule les contraindra à rester dans leur région, ou dans des services où il y aura un accord avec la région d'origine. Pour nous en rendre compte, il a suffi d'écouter l'argument de la CNIPI : « la mobilité sera facilitée »... ah bon, en quoi ?

- Sur le fond, c'est encore pire : cette réforme cache un refus de réforme sur le contenu de l'internat. Un vague projet de contrôle des services hôtes est tellement complexe qu'on ne comprend pas comment il pourrait être mis en place, et surtout par qui (les universitaires ont-ils tant de temps libre qu'ils aillent visiter et contrôler les services de secteur ? heureusement non !). Un autre projet de « carnet de suivi de stage » cherche à objectiver les acquis pratiques durant l'internat :

• « a mené une psychothérapie comportementale avec un phobique », coché !

• « a mis un patient en chambre d'isolement » coché !

• « a mis un patient en chambre d'isolement avec contention physique » ah zut, j'ai pas encore fait, le prochain je le fais ligoter pour valider mon objectif.

- Dernier point qui pose question pour l'organisation des secteurs de psychiatrie : la disparition des postes d'assistant spécialiste va poser un problème pour effectuer et signer les très nombreux certificats des hospitalisations sous contrainte (depuis la nouvelle loi du 5 juillet). Les « internes-assistants » n'auront en effet pas le droit de s'en occuper. Il n'y aura donc que les PH pour ça.

Pourtant, il suffit d'écouter les internes de l'AFFEP(1), qui travaillent depuis 1998 (création de l'association) à réunir les demandes des internes, les mettre en forme, et les proposer aux universitaires. Que demandent-ils ?

- Un internat de 4 ans, avec un stage hors filière facultatif et NON obligatoire.

- Rester à un seul stage obligatoire en CHU (car on sait la tentation des universitaires d'obliger les internes à venir dans certains services boycottés : obliger plutôt que convaincre).

- Entendre parler de psychothérapies avant d'être reconnu désormais « psychothérapeute » (depuis l'amendement Accoyer) : dans les services de psychiatrie, la surcharge de travail permet trop rarement que le compagnonnage puisse vraiment s'occuper de ça. Pourquoi aucun cours, aucun conseil de lecture ? ou si peu... Oui c'est une démarche personnelle, mais doit-elle être solitaire et isolée ? Rares sont les régions où un interne peu curieux aura l'occasion d'une découverte. Il faut une sollicitation.

- Un vrai contenu scientifique (au sens large, des sciences humaines aux neurosciences), actuellement cruellement déficient.

- L'accès à une supervision, idéalement hebdomadaire, sur l'ensemble des terrains de stage, condition indispensable et nécessaire pour l'obtention de l'agrément.

A cela, la CNIPI répond que le contenu pourra plus facilement être revu quand le contenant sera réformé. On se demande bien en quoi, et - pourquoi ce "et" ? - le SNPP avec ses alliés du CASP est bien décidé à ne pas laisser faire n'importe quoi.

Au total, cette réforme n'apporte en fait aucune amélioration de la formation initiale, ne répond en rien aux attentes des internes, et n'a comme seuls effets que la désorganisation des services et la disparition du secteur 2.

Ce qu'il fallait faire, c'est tout simplement augmenter le nombre de postes d'assistants en proportion de l'augmentation du numerus clausus.


(1) Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie


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