Pédagogies de l'AFPEP-SNPP

Patrice Charbit
Retour au sommaire - BIPP n° 61 - Février 2012

L'enseignement et la formation sont des enjeux actuels majeurs non seulement parce que les jeunes collègues en formation subissent une intention de « formatage » d'une violence inouïe dont nous avons à nous préoccuper mais également, parce que si les « seniors » que nous sommes restent fidèles aux principes qui leur ont étés transmis et à l'expérience issue de leur pratique, ils sont accusés de manque de formation voire de dangerosité. Ainsi, ne pas adhérer aux concepts du DSM n'est plus un désaccord théorico-pratique mais bientôt une faute déontologique, un retard incurique, qui empêche nos patients d'accéder aux soi-disant véritables progrès effectués.

La bulle psychiatrique issue de la révolution en cours continue ses avancées. Usurpant une légitimité scientifique, à rebours de la réalité qui martèle jour après jour que les promesses neurobiologiques, génétiques et d'imageries cérébrales concernant la clinique ne sont pas au rendez-vous, « l'idéologie de la bulle » a décidé d'en finir avec la pensée humaniste en psychiatrie.

Le théâtre de cette manoeuvre en ce début d'année concerne l'autisme déclaré « grande cause nationale » par notre premier ministre. La campagne de presse organisée autour de ce thème dénonce un « déficit immense de diagnostic précoce ». Et pour quelle raison cet immense déficit ? Parce que les professionnels ne savent pas le reconnaître et croiraient encore qu'il concernerait qu'un enfant sur 1600 alors qu'il s'agirait d'un enfant sur 160. Et hop, voici le taux d'incidence de l'autisme multiplié par 10, brutalement, comme ça, par le DSM, ce qui veut désormais dire par la science.

La bipolarité, les troubles de l'attention, la schizophrénie pâtissent du même phénomène, avec diagnostic fait par ordinateur ou questionnaire dont on peut imaginer la sensibilité clinique. L'obligation de dire le diagnostic au patient est de plus en plus catégorique afin qu'il puisse accéder aux dispositions éducatives ad hoc. Cela se traduit dans la pratique par une ségrégation de plus en plus effective et l'arrivée de jeunes gens dans nos cabinets persuadés qu'ils n'ont pas d'avenir, réclamant de l'aide dans un système qui les a catalogués dès l'adolescence. Le nombre de patients étiquetés schizophrènes à la va-vite, par de soi-disant experts, et qui ne présentent aucun signe de fonctionnement psychotique va grandissant. Obliger de jeunes adultes à la perspective de traitements définitifs, à des prises en charge d'handicapés, à des troubles du comportement issus d'une totale absence d'espoir d'insertion convenable et citoyenne, à supporter le poids d'une sentence alors que le « diagnostic expert » est pour le moins incertain, est un scandale.

Il est donc demandé aux jeunes confrères en formation de s'imprégner de cette idéologie et aux seniors de s'y plier. Nous assistons à un coup de force délibéré alors que dans le pays à l'origine de ce diktat, les Etats Unis, de nombreuses voix très autorisées indiquent que c'est une fausse route sans parler des grands noms de la psychiatrie américaine qui indiquent que les études épigénétiques commencent à révéler les bases biologiques de ce que les cliniciens savent depuis toujours à savoir que « les expériences précoces conditionnent la santé mentale des adultes ».

Les articles de Loriane Brunessaux et de François Gonon publiés dans ce même numéro du BIPP sont lumineux à cet égard. Une falsification à ressorts idéologiques dont les conséquences sont désastreuses. L'équivalent des bulles financières et immobilières appliqué à la psychiatrie.

Les pédagogies de l'AFPEP - SNPP face à un tel séisme ne peuvent être qu'un paradigme. Nous avons toujours plébiscité l'inter formation et l'inter contrôle dans le cadre de pratiques de cliniciens, que cela soit à l'occasion de nos rencontres, de nos travaux ou de nos publications.

« L'étude clinique » et l'étude en cours sur « les urgences » s'inscrivent dans cette démarche de témoignages, de prise en compte des conséquences éthiques, de distanciations inventives avec sa propre théorie, celles des autres ou des diktats accrédités, à laquelle la rencontre du patient oblige.

Nous connaissons le destin des bulles. Reste à espérer qu'en attendant que cela arrive, tout le tissu psychiatrique ne soit pas détruit. Nos jeunes confrères nous donnent de nombreuses raisons d'avoir confiance en l'avenir. Ils ont non seulement conscience pour beaucoup d'entre eux de la nécessité d'une déconstruction du moule dans lequel on a tenté de les précipiter mais ils restent par ailleurs gourmands d'autres modes d'appréhension du fait clinique en particulier des prises en charge psychodynamiques.

Cette discussion ne manquera pas de prendre sa place lors de la prochaine Assemblée Générale de l'AFPEP - SNPP de mars prochain à laquelle vous êtes bien entendu conviés. Nous aurons à décider si nous voulons faciliter l'accès de nos travaux et de nos expériences aux jeunes internes ; des mesures incitatives sont facilement identifiables.

Nous concernant, nous aurons à décider de la conduite à tenir face à ces accusations intolérables de manque de formation et de mise en danger de nos patients. A distance des bulles et des ornières idéologiques, nous avons à susciter un débat fondé qui permette la mise en lumière de la nature des enjeux.


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