Le député, le lobbying et la santé mentale

Françoise Labes
Retour au sommaire - BIPP n° 61 - Février 2012

Le travail du « comité de pilotage » du Plan Psychiatrie Santé Mentale 2011-2015 était organisé en quatre réunions thématiques et mobilisait tous les acteurs du sanitaire, du médico-social, de la réinsertion, et les associations de patients et familles de patients. Rappelons que les actions seront déclinées par les ARS en fonction des acteurs et ressources locales.

Dans le cadre de la session de quatre heures consacrée à la Formation et la Recherche, la représentante d'une association de familles de patients schizophrènes a préconisé que la formation des psychiatres soit recentrée sur ce qui ferait le coeur du métier : le diagnostic obligatoirement délivré au patient, et le traitement médicamenteux. Elle a déploré qu'il soit, selon elle, impossible d'obtenir un rendez-vous auprès de professionnels qui ne se préoccuperaient que de psychothérapie et supposé un déficit de formation à l'organicité.

Cette insistance n'a pas semblé émouvoir outre mesure la majorité des représentants de psychiatres présents. Pour nous ce fut l'occasion de rappeler ce qui fait le fondement même de l'acte du psychiatre, la dimension relationnelle sans laquelle aucun diagnostic ni traitement ne peut s'élaborer ; d'affirmer que cet acte n'est pas réductible à un acte médical, qu'il intègre la question du transfert, de l'engagement relationnel ; et d'insister sur la réalité de la pratique libérale loin de la « bobologie » qu'évoquait le député Lefranc dans un autre contexte. Nous avons précisé que nous avions à coeur de ne pas enfermer le patient dans un diagnostic sans pour autant nous cantonner dans une position psychanalytique supposée dogmatique et signalé que la difficulté d'accès au psychiatre s'inscrit dans la question démographique et dans celle de l'accès au soin.

Ce fut également l'occasion d'affirmer notre soutien aux internes demandeurs de voir la question de l'acte forcément psychothérapeutique intégrée dans leur formation.

Au cours de cette même réunion il fut insisté par différents acteurs soignants ou gestionnaires sur la pénurie de professionnels du soin ; une des solutions maintes fois invoquée étant la création de métiers intermédiaires : pairs-aidants, médiateurs. L'éducation thérapeutique fut bien sûr vantée. Tout cela est à rapprocher de la récente actualité et du dépôt de projet de loi visant à interdire la psychanalyse dans les lieux accueillant des autistes au profit du tout médical et éducatif.

La réunion évoquée était traversée par cette tendance. Tout en évitant les tautologies qui empêchent de penser, dogmatisme contre dogmatisme, idéologie contre idéologie, il faut être conscient que nous avons à faire au glissement insidieux de la conception humaniste et psycho-dynamique de la psychiatrie jugée « trop réactive »(1) vers une acception partagée entre la naturalisation de la maladie mentale supposée produit d'un cerveau dysfonctionnel, et l'hygiénisme de la santé mentale dite positive où chacun sera convoqué à être entrepreneur de son propre équilibre et « équipé dès son plus jeune âge »(1) de préceptes éducatifs lui permettant d'atteindre cet objectif.

Devons-nous craindre que l'évolution actuelle vide peu à peu la discipline, qu'on ne nous demande plus d'être des êtres pensants en capacité relationnelle mais des experts diagnostiquant, prescrivant et orientant vers ces nouveaux corps de métiers comme celui des psychothérapeutes estampillés par les préfets ?

Le soin psychique ne doit pas être le « supplément d'âme » de la psychiatrie, mais sa finalité essentielle. Pour continuer à prendre soin de nos patients, prenons soin du métier.

(1) voir le Rapport : « La santé mentale l'affaire de tous » remis au gouvernement en novembre 2009 par le Comité d'Analyse Stratégique


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