Extraits des échanges de courriels entre les membres du SNPP

Retour au sommaire - BIPP n° 61 - Février 2012

Nous avions envie de vous faire partager nos discussions - au sein du Bureau élargi - sous forme d'échanges e-mail sur la stratégie à adopter en réaction à l'annonce du député Daniel Fasquelle à propos d'un projet de loi visant à interdire la pratique de la psychanalyse dans le soin aux autistes.

Il me semble que nous avons le devoir de réagir. Un député ne peut pas tout savoir, ou alors, il s'informe ; il peut se tromper de source, écouter celui qui crie le plus fort, le plus excellent en lobbying. Mais un député vote des lois, et parfois en propose, à des députés qui au mieux se sont informés... parfois aux mêmes sources, les plus regorgeantes. C'est ainsi que des lois, au mieux inapplicables ou à cent lieues de la réalité de terrain, mais parfois scélérates, peuvent être promulguées.

M. Daniel Fasquelle vit sur une autre planète. La psychanalyse n'est pas appliquée en tant que thérapeutique auprès des personnalités présentant des signes d'autisme, au mieux elle est une anthropologie qui éclaire un peu les soignants qui ont à s'occuper de ces patients. En outre, j'aimerais bien savoir quelle proportion de soignant, à l'hôpital comme dans le médico-social, s'inspirent réellement de la psychanalyse. Il n'y en a guère, j'en suis convaincu. L'incurie ne vient pas de l'utilisation de cette approche humaniste, mais des conditions matérielles totalement insuffisantes et des formations désastreuses et dégradées de la majorité de ces soignants qui, au demeurant, font ce qu'ils peuvent.

Ce tohu-bohu autour de l'autisme et de la psychanalyse laisse entendre qu'il y aurait UN autisme auquel il faudrait appliquer UNE méthode unique qui serait seule à avoir fait ses preuves. Or, nous le savons bien que les tableaux cliniques qui évoquent ce qualificatif d'autistique sont très divers, ne serait-ce que la différence fondamentale en autisme primaire et secondaire que l'observation toute simple de la biographie nous a appris à faire.

Enfin, on ne peut que s'inquiéter de cette montée de l'intégrisme fustigeant une pensée qui ne lui convient pas au point de vouloir interdire toute pratique qui s'en inspire. Ce nouveau totalitarisme est des plus préoccupant. Pour en revenir aux députés, je ne doute pas qu'ils soient dans leur majorité sensibles au danger de cette tentative de dérive vers l'intolérance et le langage unique, qui est une injure à nos institutions républicaines. Voilà ce que j'avais envie de dire en recevant cette nouvelle.

Amitiés,

Olivier Schmitt

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Bonjour à tous,

Vous me pardonnerez de ne pas partager votre avis quant à la réponse opportune aux propos de ce député. Il me semble en effet que ces propos relèvent purement et simplement du grotesque et de la provocation : grotesque comme l'idée d'interdire une façon de pensée, provocation car tout imbécile en mal d'audience politicomédiatique a dans sa besace quelques sujets dont il sait que tout un chacun va se saisir et faire du bruit avec.

Rien à voir avec un authentique débat d'idées ni avec une défense d'intérêts professionnels, à mon avis. Qu'on aie quelque chose à produire sur le sujet de l'autisme, puisqu'il en a été ridiculement fait le sujet de l'année, soit, mais je trouve que ce serait donner bien de l'importance à ce populiste grossier que de lui donner réponse directement, comme à tout autre d'ailleurs.

Il me semble qu'il nous faut résister à la tentation de réagir au coup par coup, car c'est un piège, à mon sens, qui nous inciterait à niveler le débat par le bas, ce que je trouve personnellement insupportable. Plutôt que de réagir immédiatement, pourquoi ne pas prendre le temps de construire une position de l'AFPEP en tant que contribution à cette histoire d'année de l'autisme ?

Il me semble que tant la psychanalyse que le mouvement syndical ont tout à gagner à refuser de descendre dans le ruisseau des populistes de tout poil, aussi députés soient-ils !

Bien à vous.

Jean-Jacques Bonamour du Tartre

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Cher Jean-Jacques,

Non seulement je te pardonne bien volontiers de ne pas partager mon avis, mais je t'en remercie car ce que tu dis est intéressant à plusieurs titres. D'abord, les groupes tendent inconsciemment à éviter les clivages pour se renforcer et il faut un certain courage pour prendre le contre-pied d'un consensus apparent.

Ensuite, sur le fond, tu as raison de te méfier des réactions immédiates, le nez dans le guidon, qui sont du pain béni pour les manipulateurs de tout poil qui agissent par provocation.

Enfin, ta position au regard de la mienne révèle qu'il peut persister des oppositions non dites au sein des "actifs" d'une association telle que la nôtre. Pour faire court, je vais essayer d'évoquer les positions extrêmes que personne ne soutient vraiment :

- D'une part ceux qui veulent en découdre avec les forces contraires, ceux qu'on pourrait qualifier de radicaux, qui, par leurs actions intempestives peuvent mettre en danger les valeurs qu'ils croient servir (tels les premiers résistants qui provoquaient des représailles redoutables dans leurs effets tant immédiats que secondaires).

- D'autre part ceux qui se replient dans leur château d'ivoire avec leurs beaux discours qu'eux seuls comprennent et qui finissent par décourager toute forme de résistance active.

Comme toi, je ne me place ni dans un extrême, ni dans l'autre. Nous plaçons notre curseur en fonction de notre caractère, notre histoire et nos valeurs. Mais ce qui pose problème, c'est que nous avons tendance à caricaturer la position de l'autre et à la ressentir comme une traîtrise ou tout au moins comme plus dangereuse qu'elle ne l'est.

Pour l'heure, ne pas signifier, en tant qu'organisation représentative, l'indignation que nos mandants éprouvent dans leur majorité me semble préjudiciable pour la confiance qu'ils peuvent nous faire. Et ce n'est pas par un seul discours tardif et modéré, aussi intelligent et pertinent soit-il (indispensable à mes yeux) que nos confrères se sentiront soutenus. Il y a à mon sens deux niveaux parfaitement complémentaires, sans doute représentés par le SNPP d'un côté, l'AFPEP de l'autre ; un niveau de soutien immédiat d'un côté, et un niveau de réflexion approfondie de l'autre, l'un devant renforcer l'autre.

Voilà, excusez-moi d'avoir été un peu long.

Amitiés.

Olivier Schmitt

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Mon cher Olivier, je te remercie de ta réponse,

Mon propos visait surtout à attirer notre vigilance sur le fait que tous ceux qui ont un pouvoir médiatique nous jettent délibérément des os à ronger pour caricaturer les choses et les tordre à nos dépens, je crois, de ma conviction de paranoïaque à peine repenti !

Je crois qu'on ne gagnerait rien à accepter un duel médiatique "pour ou contre la psychanalyse dans l'autisme", surtout avec des politiques, dont ils me semblent que jamais autant que depuis l'ère Sarkozy, ils ne jouissent de nous balader entre des énoncés aberrants.

Cette production intarissable de ce qu'on ne peut appeler que des bêtises et des provocations, a, je crois, une fonction radicalement aliénante, c'est pourquoi il me parait important de s'en dégager en ne répondant pas trop du tac au tac.

En proposant l'interdiction de la psychanalyse dans l'autisme, on évite de dire qu'on n'a pas un sou à mettre dans le développement des outils de soin et d'accompagnement destinés à ces enfants et ces adultes-là. C'est pourquoi j'aurais envie de prendre de haut le pauvre discours de ce député en portant la réponse ailleurs et en recommandant au président de l'Assemblée un peu plus de sérieux et de professionnalisme dans l'approche d'un problème des plus sensibles, en lui rappelant que nous sommes à la disposition des députés et des commissions qui souhaiteraient recueillir l'avis de personnes compétentes sur le sujet. Une dernière chose : je suis sûr que nombre d'entre nous ont connu des grands pourfendeurs de psychanalyse, qui envoyaient leurs proches si ce n'est eux mêmes consulter ces maudits...

Bien à vous tous.

Jean-Jacques Bonamour du Tartre

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C'est une bonne idée, traiter par le mépris ne veut pas toujours dire ne rien faire.

Une lettre ouverte au président de l'Assemblée Nationale aurait cet avantage de concilier le mépris, la prise de hauteur et le soutien de nos mandants. Je ne me fais aucune illusion sur l'efficacité parlementaire de la démarche mais ce n'est pas cela qui importe pour l'heure. C'est une manière de soutenir les intérêts moraux de nos confrères, qui est l'une des missions du syndicat au même titre que de soutenir leurs intérêts matériels.

Qu'en pensent les autres ?

Olivier Schmitt

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Permettez à la vieille que je suis de vous faire profiter de son expérience et de ce qu'elle a vécu. L'idée, émise en 1934 que la génétique permettait de repérer ceux des humains qui avaient de l'avenir et les distinguer de ceux qui ne pourraient que transmettre leurs propres tares a permis de soutenir la nécessité (au cas où une guerre diminuerait la quantité des bons transmetteurs et déséquilibrerait ainsi tout l'avenir de l'humanité) d'avoir à diminuer activement le nombre des mauvais porteurs.

Ainsi a été mise en oeuvre, avec toutes les capacités aussi bien médicales que logistiques d'une grande nation civilisée, l'extermination des malades mentaux, prélude à une autre extermination.

Comme vous le savez, le docteur Alice von Platten n'a retrouvé qu'une seule lettre de psychiatre renonçant à sa carrière pour prix de sa volonté de ne pas entrer dans une idéologie, s'appuyant sur la science qui la niait dans son essence. Et c'est bien le silence de chaque citoyen de cette nation qui a fait suite au silence des médecins concernés. Cette expérience soutient tout à fait la position qu'Olivier Schmitt vient de nous faire parvenir.

A propos d'autisme, rappelons-nous que les enveloppements de Delion, eux aussi déchaînent les passions de ceux qui ne veulent rien connaître à l'autisme.

La lettre ouverte au Président de l'Assemblée Nationale nous éviterait (tout en ne répondant pas à ce député téléguidé par ses intérêts et/ou son ignorance) de rester dans le pur mépris ni non plus dans un silence qui ne peut être alors que complice ; car notre vérité se signifie dans nos actes beaucoup plus que dans nos discours. Et la prise de parole, comme la lettre ouverte évoquée, est un acte.

Françoise Coret

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Chers tous,

Cette histoire mérite réflexion, c'est sans doute un ballon d'essai pour voir comment nous allons réagir ; après l'offensive médiatique contre la psychanalyse, le premier procès fait à Delion, c'est maintenant un second procès contre Delion et des gesticulations législatives, le tout sur fond d'année de l'autisme annoncée par le premier ministre lui-même.

Je trouve que cela fait beaucoup et je ne dis rien des commentaires orduriers suscités par le texte de Loriane Brunessaux que nous allons publier dans le BIPP. ça se lâche, se croit autorisé à se lâcher.

Je crois que cette histoire est le premier théâtre d'une offensive généralisée contre la psychanalyse et les prises en charge psychodynamiques en général. La prochaine étape sera la prise en charge des psychotiques et des bipolaires. Les enjeux sont notre indépendance professionnelle et la formation. Notre Conseil d'Administration doit réfléchir à cela sereinement. Je ne vois pas ce que le législateur a à voir avec le choix d'un traitement si ce n'est d'avouer sa crainte de l'influence politique de la psychanalyse dans le bain de contrôle actuel.

Cela réclame une analyse politique préalable sinon nous n'adopterons que des "mesurettes". Notre action ne peut être que paradigmatique, qu'elle soit au moins audible et calibrée.

Amitiés.

Patrice Charbit


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