"Tout bouge mais pas de panique !"

Antoine Besse
Retour au sommaire - BIPP n° 31 - Novembre 2001

Les États Généraux de la Santé ont débouché sur l’organisation d’une démocratie sanitaire. De sujets souffrants nos patients deviennent sujets de droit. Les médecins sont sommés de remplir leur devoir d’information (plutôt que de vérité) envers ces derniers.

Nous savons en psychiatrie la place de la confiance dans la relation à nos malades où elle permet la liberté de parole, source d'éclaircissement, de pensée et de sortie de crise parfois salvatrice, du moins salutaire et dynamique. Par contre nous n'avons pas attendu la loi de modernisation de la médecine pour informer nos patients et créer une alliance thérapeutique avec eux et leur famille. La qualité de la relation à nos patients est même soulignée par les Fédérations de Patient.

Après le vote de la loi viendront les décrets d'application. Nous nous battrons pour y faire figurer les conditions spécifiques à notre discipline. Dans le même mouvement, les politiques voudraient nous faire passer de la psychiatrie à la santé mentale.

Bel élan de générosité ou déni de la difficulté de soigner des maladies aiguës et chroniques toujours stigmatisées dans l'opinion ? Les psychiatres ne seraient plus indispensables que pour parer à la détresse médico-psychologique en cas de crise, de catastrophe, etc…"Bougez-vous, les psychiatres" avait dit B. Kouchner aux "4èmes Rencontres de la Psychiatrie". Est-ce ainsi qu’il faut l’entendre ?

Pour nous encourager pensait-il alors à la stagnation de nos honoraires depuis plusieurs années et à l'avalanche de nouvelles contraintes ? - Obligation de la télétransmission, réquisitions de collègues lors des catastrophes, sans soucis de nos tâches essentielles auprès de nos malades, mise sous tutelle financière des cliniques privées étranglées administrativement par la réglementation et l'expatriation de leur personnel vers les structures publiques, est-ce cela la modernisation de la psychiatrie ?

Les cliniques privées sont exemplaires d’une atteinte à l'outil de travail. Au nom de la maîtrise comptable, sans appréciation des coûts relatifs aux soins les plus essentiels on attaque les cliniques institutionnelles qui depuis plus de 30 ans offrent aux malades les plus graves les soins les plus adaptés. Aujourd'hui le moment est venu de réagir fortement et de se regrouper comme les médecins des cliniques viennent de le comprendre au niveau national en créant la première coordination des médecins exerçant en clinique privée. Beaucoup de cliniques seront en faillite si rien n'est fait pour lever l'étau financier, le rachat de ces structures "à bas prix" par les grands groupes sera ainsi "paradoxalement" la conséquence de cette politique avec une gestion strictement lucrative de ce secteur d'activité.

Dans le même registre, le groupe Vivendi qui avait acquis la majorité de la presse scientifique française vient de la revendre à un groupe de fonds de pension comme un "vulgaire" objet de profit, fragilisant tout un secteur sensible, les publications scientifiques de la médecine d'un pays.

Grâce à notre prudence, notre revue PSYchIATRieS est restée à l'abri de la bourrasque.

Le rapport des docteurs Piel et Roelandt commandé par Martine Aubry, début 2000, illustre cette politique de sortir la psychiatrie de ses axes, missions et traditions. La psychopathologie, est au cœur de notre pratique et se voit ici niée. Il cède à la démagogie des dogmes technocratiques du moment. Ainsi il s’agit de tout réformer, même ce qui a fait ses preuves et est le plus consensuel parmi les psychiatres. Ce rapport rien de moins propose un moratoire définitif sur l'hospitalisation psychiatrique. Certes, l'utopie est invoquée pour permettre de ne pas tenir compte des réalités de la maladie mentale. Nous sommes d’accord qu’il faut lutter contre la stigmatisation des malades mentaux. Pouvons nous cependant ne garder qu'un objectif de santé mentale, diluant notre mission dans une atomisation des moyens, réduisant notre place à égalité avec des acteurs peu qualifiés ni reconnus, pour aller finalement vers une psychiatrie sans psychiatre.

Antoine BESSE

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