A propos de la retraite

Retour au sommaire - BIPP n° 31 - Novembre 2001

Il est pour le moins curieux de lire sous la plume de votre confrère Yves Leclercq, qui se définit à la fois comme retraité et ancien actif de la CARMF, une critique en règle et pour le moins ambiguë de la nouvelle politique de notre caisse de retraite, nouvellement dirigée par le Dr Maudrux, élu brillamment au détriment d’une ancienne équipe, balayée par la lassitude de cotisants totalement abandonnés par leurs élus d’alors.

Mon cher Leclercq, ancien délégué de la CARMF, vous vous préoccupez de ce qui pourrait advenir en 2040 pour les futurs retraités; j’aurais aimé vous sentir concerné par eux, avant que vous (et vos collègues !) ne fassent d’abord passer en priorité vos intérêts immédiats, en vous servant à moindre coût des points de retraite dont l’acquisition aujourd’hui s’avérerait simplement ruineuse (et sans garante) pour les futurs retraités.

Vous avez perdu les élections parce que vous avez méprisé l’intelligence de vos électeurs. Les médecins (échaudés par nos différents gouvernants) ne sont plus les gogos qu’ils ont longtemps été.

Concernant enfin l’appel au gouvernement que vous faites en quelque sorte en guise de conclusion de votre article (on ne peut plus tendancieux), il me semble paradoxal (et pour tout dire immature) de demander de l’aide à ceux qui par leurs politiques successives nous ont toujours démontré le peu d’estime dans laquelle ils nous tenaient...

Le rôle du psychiatre est d’apprendre à son patient (dans la mesure du possible) à mieux se prendre en charge. Notre confrère Maudrux invite tous les médecins à mieux se prendre en charge. Ce n’est déjà pas si mal.

Confraternellement.

Didier GAUCHY

 

Je vous remercie d’avoir réagi à ma chronique, car les médecins actifs se souciant des problèmes de la retraite n’ont jamais été nombreux, même du temps où je l’étais moi-même et en étais un délégué.

Vous me faites un procès d’opinion : comment ne pas être d’accord avec le bon Dr Maudrux ? Et un procès d’intention: je suis de la génération qui se serait sucrée au détriment des actifs d’aujourd’hui et retraités de demain. Bien !

C’est la ruine des épargnants et des investisseurs due aux deux guerres mondiales et aux mesures de spoliation qui en ont été le corollaire (Loi de 1948, par exemple) qui a imposé la création de la CARMF. J’ai connu l’époque où exerçaient encore, à 80 ans et plus, des médecins qui n’avaient plus qu’une clientèle de vieillards, qui s’amenuisait pour la raison que vous devinez. À ceux qui vivaient encore après quelques années de cotisation, la solidarité de la profession, alors dans ses années de pain blanc, a servi des retraites qu’ils n’avaient peut-être pas "méritées", si l’on rapporte au capital investi le taux de rendement de l’époque. Quant aux valeurs du point définies ultérieurement, elles ne prenaient pas en compte les effets du malthusianisme anti-médical et du numerus clausus. Sur ce point je suis d’accord avec vous : l’action de l’État contre la profession médicale, pas vraiment bien évaluée par les médecins eux-mêmes, craignant depuis toujours la pléthore et la concurrence qui en résulte, est la cause du désastre démographique de demain.

Mais je peux vous assurer que dès cette époque, le conseil d’administration, épaulé par une administration d’un haut niveau professionnel, résistait fermement à la démagogie de certains délégués. Et la tutelle ne laissait pas passer grand-chose.

Je ne pense pas être beaucoup moins libéral que vous, mais porté à la dimension d’une société, le libéralisme, c’est, écrivait P.Viansson-Ponté, un renard libre dans un poulailler libre. Il faut donc des correctifs et des règles du jeu. Un individu isolé, fut-il intelligent, psychiatre et psychanalysé jusqu’à l’os, ne peut maitriser les phénomènes politiques et économiques qui font que rien n’est jamais sûr.

C’est pourquoi j’ai toujours ardemment défendu, déjà au temps où le Dr Maudrux n’était qu’un opposant qui montait en audience, le système par répartition, qui devra être corrigé en fonction de l’évolution démographique (je suis, pour ma part, partisan d’un allongement progressif de la durée de cotisation), mais sûrement pas aboli au profit du chacun pour soi du placement de l’épargne (la Bourse d’aujourd’hui vous inspire-t-elle ?), et cela, auprès du Dr Maudrux lui-même, admirateur du système chilien.

C’est sur ce point que j’attends de l’État l’exercice de son devoir d’arbitrage, puisqu’il est le tuteur de la CARMF, par ses institutions, non pas politiques (rien à attendre de Guigou et autres), mais juridiques (Conseil d’État, Conseil Constitutionnel).

Yves Leclercq

 

Je tiens à répondre aux propos de notre confrère retraité le Dr Leclercq, intitulés "le Maudrux nouveau est arrivé" et parus dans le précédent Bulletin d’Information.

Notre confrère procède à une attaque en règle du Président de la Carmf après avoir lu un article du Quotidien du Médecin du 26 mars dernier détaillant les propositions du dit Président en ce qui concerne l’ASV.

J’avoue me méfier des écrits des journalistes souvent si peu au fait du sujet dont la rédaction les a chargés (et pas que pour la médecine).

Je suis délégué (donc élu) de la Carmf, et, plutôt que de m’en remettre à un journaliste néophyte, j’ai assisté à l’Assemblée Générale de fin juin.

D’abord, mais notre confrère ne sera pas le premier à s’en prendre à Maudrux, d’abord je tiens à souligner que Maudrux n’est pas seul. Il est l’émanation du vote de tous les médecins de ce pays et s’est entouré d’une équipe de médecins solidaires avec lui, tous en activité mais bénévoles pour ce qui est de leur action pour la Carmf. Vu l’importance de la tâche, vu l’énormité des sommes gérées, et vu les niveaux de compétence qu’ils doivent acquérir ou affronter (cabinet conseil de Haute Finance par exemple), il faut, comme à leurs prédécesseurs d’ailleurs, leur tirer un grand coup de chapeau.

Cela pour souligner que ni Maudrux ni son équipe ne sont des apprentis sorciers. Pour souligner aussi que selon le principe assez sain : "qui paye décide", la Carmf est administrée par des cotisants ce qui n’est pas le cas de toutes les caisses de retraite (la CIPAV par exemple est administrée exclusivement par des retraités !).

Nous avions pu assister la veille à une séance d’information au cours de laquelle d’éminents spécialistes à la compétence indiscutable nous avaient parlé de l’avenir des retraites et notamment de capitalisation . Pour résumer et faire synthétique : oui à une part croissante de capitalisation mais danger d’une capitalisation trop importante étant donné que dans quelques années les nouveaux retraités réaliseront massivement leurs avoirs financiers ce qui en fera chuter fortement la valeur. En gros, la capitalisation massive, il fallait y penser plus tôt !

Le lendemain avait lieu l’A.G. et il faut le dire l’assemblée était franchement coupée en deux. D’un côté une minorité de courageux et pugnaces retraités, de l’autre une (écrasante) majorité de cotisants dont un tout petit nombre ne cache pas ses opinions de franche droite !

Ce qui les oppose ce sont bien sûr les réformes proposées par Maudrux. Les retraités craignent pour la pérennité des montants de retraites qui leur sont versés. Qu’ils comparent pourtant le pourcentage de leurs revenus consacré aux cotisations quand ils étaient en activité avec celui des médecins en activité actuellement et comparent ensuite ce qui leur est versé aujourd’hui avec ce qui serait versé aux futurs retraités si aucune réforme n’intervenait. Un peu de solidarité s’il vous plaît avec vos fils ... et filles !

Il est clair que Maudrux veut défendre, en libéral, la retraite des médecins contre les pouvoirs publics qui profitent de l’inertie de ceux-ci, incapables même de se mobiliser pour défendre leurs divers C qui n’ont pas pris un franc depuis bientôt 7 ans alors que leurs cotisations obligatoires n’ont fait que croître. Évolution du pouvoir d’achat ? Passons et venons-en à l’ASV qui constituait la question décisive du jour.

La CSMF était pour une fois présente et a exposé les grandes lignes d’un rapport général sur la retraite, rapport qui a été adressé par courrier à tous les délégués de la CARMF les jours suivants.

Ce rapport, outre que ses conclusions sont proches de celles de Maudrux, souligne les deux éléments les plus préoccupants : la compensation et l’ASV.

"En ce qui concerne la compensation, la CSMF n’y va pas par quatre chemins : il est indispensable de supprimer la compensation nationale avec les autres régimes, compensation qui coûte 7.900F par an à chaque médecin". C’est un peu utopique, la Carmf pour sa part penchant fortement pour une attribution de points pour la compensation nationale.

Quant à l’ASV, "c’est bien entendu le régime le plus en péril avec l’absence de réserves et de perspectives démographiques permettant de faire face aux échéances".

La compensation sert à financer les retraites d’autres catégories professionnelles que les médecins et pas toujours les moins privilégiés et pas souvent libéraux.

Le risque de l’ASV est, qu’en le maintenant, c’est-à-dire en reconstituant des réserves, c’est-à-dire en augmentant nos cotisations ASV, ces réserves soient détournées d’autorité par les pouvoirs publics, en sorte de compensation bis, pour renflouer des régimes dont certains seront ou sont déjà dans le gouffre ! Et ceux qui veulent parier sur la parole des pouvoirs publics et notre capacité à la faire respecter, sont de dangereux rêveurs !

Pour pallier ce risque de spoliation, le président de la CARMF propose (et l’A.G. l’a suivi à 80%) d’arrêter l’ASV et de la remplacer par une augmentation de la cotisation du régime complémentaire, libre à ceux qui le désirent et le peuvent... de se constituer des réserves personnelles c’est-à-dire de capitaliser pour leur propre compte.

Voilà ce que va tenter d’obtenir Maudrux. Tenter avec toute son obstination mais tout président qu’il soit il ne fait pas pour autant tout ce qu’il veut; il y a les coriaces tutelles dont les libéraux ne sont pas la tasse de thé.

Alors cher confrère, goûtez les délices de la retraite aisée et ne tirez pas sur le pianiste ni ne hurlez avec les loups. Pas de mauvais procès, pas de désinformation. Merci d’avance.

Pierre CÉZANNE
Futur retraité. Délégué de la Carmf

Mon cher confrère,

Le secrétariat du SNPP m’a transmis votre lettre, dont je vous remercie, puisqu’elle manifeste pour le problème de la retraite un intérêt qui est mien depuis longtemps.

Car je n’ai pas attendu d’être retraité pour prendre position contre toutes les propositions démagogiques qui s’exprimaient au sein de la CARMF (moins de cotisations, plus d’allocations), mais qui se heurtaient heureusement à la rigueur du conseil d’administration, de la direction, et de la tutelle (animée par ses propres raisons).

J’ai combattu Maudrux dès son apparition dans le champ de la contestation radicale, pour la faiblesse de ses analyses économiques, sa méconnaissance de l’histoire, ses références suspectes, et l’esprit de classe qui l’animait.

Son programme avait cependant de quoi séduire les actifs écrasés de charges et mis à la portion congrue par la politique de tous les gouvernements, inspirés par les énarques, jeunes et bien portants, qu’ils soient de droite ou de gauche : la preuve en est !

Quand tout le monde a tort, tout le monde a raison, disait Mirabeau. C’est le défaut de la démocratie, mais cela ne dure qu’un temps. Vous évoquez des discours raisonnables qui vous ont mis en garde contre le tout capitalisation. L’actualité douloureuse a de quoi nous faire tous réfléchir et redoubler de prudence.

La CARMF n’existe qu’à cause des catastrophes économiques qui ont succédé aux grandes guerres et qui ont ruiné toutes les formes d’épargne, quelle que soit leur forme, financière ou immobilière. La mutualisation des risques a été la réponse généralisée à cette situation, et si elle n’est pas parfaite et exige une discipline pesante, elle est sûrement moins exposée aux aléas politiques et/ou économiques, même si la démagogie ne la ménage pas.

Vous évoquez la possibilité d’une confiscation des réserves reconstituées de l’ASV pour en justifier… la mise en liquidation. L’ASV a pendant longtemps regorgé de réserves, ce qui a conduit le gouvernement à freiner la montée en charge des cotisations et à créer la situation difficile d’aujourd’hui. La spoliation s’est produite sous cette forme indolore pour la plupart d’entre nous. Seuls les responsables de la CARMF ont tiré la sonnette d’alarme. Les Syndicats n’ont pas bougé.

Le cadeau fait à l’État par le renoncement à l’ASV ne serait sûrement pas récompensé par de meilleurs honoraires et un desserrement du numerus clausus. Nous perdrions 40% de notre retraite, mais vous aussi, sans avoir pu mettre de côté de quoi compenser, car l’impôt vous reprendrait les cotisations économisées.

Je perçois bien que de l’eau est maintenant mélangée au vin rouge des grandes révolutions promises à notre retraite. Mais l’orgueil est toujours mauvais conseiller.

Il faut se mettre dans la tête ce que j’ai toujours rappelé au cours des réunions syndicales auxquelles j’ai participé : les électeurs aiment leur médecin, mais détestent les médecins. Il ne faut certainement pas compter sur l’opinion publique et les hommes politiques qui en sont l’émanation pour défendre nos intérêts. Donc, ne rien lâcher, ne pas faire de cadeau. Que les spoliations, s’il doit y en avoir, se fassent sans notre consentement !

Yves LECLERCQ


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