L'invité

Patrice Charbit
Retour au sommaire - BIPP n° 31 - Novembre 2001

Aux récentes Journées Nationales de la Psychiatrie Privée était convié un ancien directeur des hôpitaux au Ministère de la Santé.

Au nom de la science économique, celui-ci est venu nous prévenir de l’imminence du grand soir : celui de notre disparition.

En effet, selon lui, la Sécurité sociale n’est pas censée résister à l’étatisation de sa structure, à nos prescriptions inconsidérées et au papy-boom. Par ailleurs, psychiatres et psychanalystes seront bientôt sommés de justifier de leur légitimité ce qu’ils devraient être bien incapables de faire puisque leur art n’est que "pure humanité" qu’aucune étude n’est venue valider : une tape sur l’épaule ne règle pas des questions de santé publique.

En clair, fini de rigoler.

La salle s’en est émue. Aucun des intervenants n’a pu prononcer son nom, "de peur de l’écorcher"… son nom.

De l’écorcher, ce n’est pas l’envie qui manquait. Les lois de l’hospitalité nous interdisant de muer l’hôte en gigot sacrificiel, nous l’avons donc identifié au reste que nous pouvions : le signifiant "invité".

Cette historiette, qui n’est malheureusement pas qu’anecdotique, illustre, théorie et pratique étant indissociables, certains concepts et interroge notre éthique.

L’invité a utilisé ce que l’on ne peut manquer d’appeler un discours pervers qui consiste là en une simple substitution : ce n’est pas lui qui parle mais la science économique. Ainsi donc, toute tentative de critique relève, de façon automatique, d’une agression obscurantiste dirigée contre la science et l’équité.

Les "psy" sont des ringards corporatistes.

De plus, venant redoubler l’effet théorique, il substitue discours politique et discours économique cherchant à légitimer ainsi son message car s’il est question de politique alors c’est d’un discours de haine dont il s’agit, d’une volonté de destruction de plus d’un siècle de découvertes et d’organisation institutionnelle, de l’avènement d’une idéologie pour laquelle le sujet serait l’ennemi du citoyen fiscalisé.

Mais il nous faut insister sur les qualités de notre invité :

De l’aisance, une certaine allure, de hautes fonctions, de l’avenir, une rosette à la boutonnière bref tous ces signes de légitimité qui incarnent dans ce contexte haineux ce que depuis Freud nous appelons le Surmoi.

Surmoi de Freud, impératif de jouissance de Lacan, impératif moral de Kant, sursaut de l’effort chez Sade, toutes ces figures de l’obscène, celles des braqueurs de banque qui se munissent d’un masque de Mickey Mouse pour opérer. Des masques souriants utilisés pour terroriser d’autant plus qu’ils sont souriants.

Cela étant, l’alibi scientifique est commode.

La science, celle dont se sont soutenus les humanistes, celle qui a inspiré les droits de l’homme et les partisans du progrès, celle dont se sert la médecine, est d’évidence le support d’avancées mais également celui de certaines… industries.

Son objet n’est pas le "bien" et l’existence de la bio-éthique le confirme.

Son dispositif expérimental renouvelable quel que soit l’opérateur ne va pas sans rétrécissement du champ d’observation, ni sans désubjectivation.

En effet, nul besoin d’Archimède pour utiliser son théorème, le théorème d’Archimède forclot donc le sujet… Archimède.

L’exhaustivité de l’objectivité, l’exigence à se débarrasser du "facteur humain" est donc bien un lieu de désubjectivation, de forclusion du sujet.

Le sujet est sommé d’aller voir ailleurs. Ce qu’il ne manque pas de faire.

Et quel est le lieu paradigmatique de cet ailleurs ? Le psy.

Non, la clientèle ne manquera pas et c’est pourquoi la discussion concernant le statut du psychothérapeute est d’importance.

La question a été évoquée à plusieurs reprises durant ces Journées.

D’après les informations données, des écoles de psychothérapeutes feraient du lobbying afin d’obtenir un monopole de la formation sous prétexte de lutte contre les sectes.

Au regard du nombre de psychiatres formés, la psychanalyse ne bénéficiera plus de soutien médical et ne sera plus, sur l’échiquier politique, qu’une particularité diluée parmi d’autres : on ne nous veut pas que du bien.

Pour ma part, un tel constat ne peut se suffire de considérations syndicales.

Durant ces Journées, le contraste entre les considérations théoriques et d’actualité d’une part et les prises de positions syndicales de l’autre, a été frappant. Secteur public délabré, cliniques exsangues, disparition programmée de la psychiatrie libérale versus aléa de la télétransmission.

Tout ceci est peut être une invitation à… plus de circonspection.

Patrice CHARBIT

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