L'hospitalisation privée : un secteur en grand danger

Jean-Louis Place
Retour au sommaire - BIPP n° 31 - Novembre 2001

Ce serait une litote de dire que la situation actuelle des établissements privés est grave mais ce ne sera pas en multipliant dans les médias, qui voudront bien s’y intéresser, les superlatifs de la dramatisation que cette réalité sera perçue à sa juste mesure par les responsables de cette politique.

Comment expliquer que nous en sommes arrivés là aujourd’hui ?

La destruction du secteur hospitalier privé est-elle programmée ?

Et dans quel but : punir les patrons de clinique, faire des économies, démontrer l’inutilité en matière de santé de ce secteur ?

S’il n’en est rien, quel intérêt a donc un gouvernement de gauche à faire le jeu des grands groupes financiers acheteurs de cliniques en faillite ?

Quel intérêt ont les médias à détourner le message politique en assimilant le passage en bourse du plus important d’entre eux comme la preuve que l’ensemble du secteur hospitalier privé n’a plus que le profit comme seul objectif ?

Quel est l’intérêt de désinformer la population sur l’existence d’une spécificité française qui a fait la qualité de son système de santé : la Sécurité sociale ?

Qui peut oublier que c’est en tant que tiers payeur que notre Sécurité sociale soutenait, d’une manière presque neutre, la complémentarité et l’émulation des deux secteurs public et privé de la médecine française ?

Qui peut croire aujourd’hui que le transfert de responsabilité, de la Sécurité sociale au ministère, du système hospitalier, génèrera des économies ?

Qui peut penser, en regard des difficultés actuelles, que le secteur public puisse absorber les 6 millions de patients pris en charge par les établissements privés ?

La place du privé :
Il existait en 1998 1300 cliniques (Médecine Chirurgie Obstétrique et Psychiatrie) totalisant 98 829 lits et représentant 20% de la capacité hospitalière. 40 000 médecins y travaillaient à temps plein ou à temps partiel, ainsi que 120 000 salariés.

Tous ces professionnels ont assuré en 1998 :

- 75% de la médecine ambulatoire (85% avec le privé associatif et le PSPH – Participant au Service Public Hospitalier),

- plus de 40% des interventions chirurgicales (près de 60% avec le privé associatif et le PSPH),

- 30% des accouchements (40% avec le privé associatif et le PSPH),

- 18% des hospitalisations psychiatriques (30% avec le privé associatif et le PSPH).

35% moins cher :
Tout doit être mis en œuvre, dit-on, pour limiter les dépenses de santé. Comment comprendre alors, que le secteur privé, qui coûte 35% moins cher, doive disparaître – sinon au motif idéologique qu’il est à but lucratif !

On avait espéré du Programme Médical des Systèmes d’Information qu’il démontre enfin que les performances, en terme de rapport qualité prix, du privé sur le public n’était qu’un mythe. L’exploitation des résultats du PMSI dans les établissements MCO a permis d’exprimer, par un indice : le point ISA, le coût d’activité des établissements publics et privés. En 1997, le point ISA des cliniques (honoraires et frais de labo inclus) était à 7,94F et celui des hôpitaux à 12,14F.

Une concurrence déloyale :
Quels ont été les moyens (ou plutôt l’absence de moyens) d’une politique qui a pu faire passer la part des groupes financiers à 20% du parc hôtelier privé et devrait faire augmenter le pourcentage de cliniques déficitaires de 30% en 1998, à plus de la moitié cette année et aux 2/3 en 2002 ?

Le coût du principe de précaution :
Tous les établissements publics et privés ont dû répondre, avec une accélération du phénomène ces dernières années, à une succession de contraintes réglementaires dictées le plus souvent par des nécessités légitimes en matière de qualité et de sécurité des soins. Les établissements privés n’ont pratiquement jamais obtenu de contrepartie financière pour la mise en œuvre de ces mesures.

La pérennité du financement de la Réduction du Temps de Travail :
Aucune enveloppe n’a été prévue pour financer le coût de la RTT dans le privé, après la baisse progressive puis l’arrêt des réductions de charges, au moment où la question se pose enfin dans le public.

Le garrot de l’Objectif Quantifié National
En 1991 les fédérations de cliniques privées ont accepté la proposition des tutelles d’une régulation de leur secteur sous forme d’une enveloppe financière à ne pas dépasser chaque année. L’objectif quantifié national était revalorisé tous les ans par un taux prévisionnel des dépenses. De 1992 à 1996, de nombreuses restructurations indispensables avec, à chaque fois une baisse de lits, a permis de maintenir le secteur dans les limites de l’OQN. Depuis 1997, le secteur des cliniques privées, à moyens quasi constants, a vu son activité augmenter. Tout laisse à penser que ce qui a été pris en charge par le privé n’avait plus besoin de l’être par le public. Mais il n’y a jamais eu fongibilité des enveloppes et le secteur privé a été sanctionné de sa trop grande participation à la santé des français par un blocage de l’OQN et par voie de conséquence par une évolution négative en francs constants des taux directeurs des établissements.

Le différentiel des salaires :
Aujourd’hui, certaines catégories de salariés du public (les infirmiers en particulier) ont bénéficié (avant l’application des 35 heures) de revalorisation salariale leur assurant des revenus en moyenne supérieur à 20% de leurs collègues du privé. Lorsque l’État a dégagé ces trois dernières années plus de 10 milliards de francs supplémentaires au budget alloué aux établissements publics pour financer les augmentations salariales, il n’a pas jugé utile de faire bénéficier les salariés du privé de la même mesure en permettant aux établissements de payer leur personnel par une augmentation de leur prix de journée (qui se serait traduit par une enveloppe sociale supplémentaire dans l’OQN).

En l’espace d’un an, la conjonction de l’asphyxie financière des établissements, de la pénurie (aucune anticipation de l’application de la loi de la réduction du temps de travail n’a été faite dans la planification des besoins en formation d’infirmiers) et du transfert d’infirmiers du secteur privé au secteur public, a accéléré un processus de destruction du tissu hospitalier privé qu’un certain nombre de responsables avaient prédit.

Le rôle des médias
Lorsque l’hôpital en difficulté s’exprime, tous les médias couvrent l’événement à la hauteur du fait de société qu’il représente. Lorsque ce sont les cliniques privées qui sonnent l’alarme, le phénomène voit son degré de gravité évalué à la hauteur de l’information régionale, favorisant l’impression d’atomisation du secteur avec ses particularismes locaux. De plus, d’une façon dont le caractère un peu trop systématique invite à toutes les dérives persécutives, le message de la presse est déformé et l’image de l’ensemble du secteur privé dévalorisé et réduit à la dimension la plus péjorative du mot lucratif. Dans l’article du Monde du 28 septembre 2001, la mise entre guillemets de l’expression : "à l’agonie" dans le titre "Menace de grève dans les cliniques privées, qui se disent à l’agonie" met immédiatement une suspicion sur la réalité de la situation des établissements.

A la septième université d’été de la Confédération des Syndicats Médicaux Français, Marisol TOURAINE, secrétaire nationale du PS à la solidarité, a tenté de montrer l’invraisemblance d’un complot contre l’hospitalisation privée, rejointe en cela par le Dr PIGEMENT, délégué national à la santé, et B. KOUCHNER qui ont assuré leur attachement à l’égalité du traitement entre le secteur public et privé (cité dans le Quotidien du Médecin, n° 6975, p.3 du 26 septembre 2001). Nul doute que ces propos politiquement corrects seront préférés par la presse à ceux des médecins contestataires.

La représentation de l’hospitalisation privée
La position de la presse vis-à-vis du secteur hospitalier privé est signalée depuis longtemps par les centrales syndicales patronales : la FIEHP et l’UHP. À ce déficit d’image et ses conséquences, les deux fédérations ont interprété également la faiblesse de leur position dans les négociations avec l’État par la division de leur représentation. Elles ont donc fusionné cet été en une seule fédération la Fédération Hospitalière Privée.

La coordination nationale
La revendication : un même traitement pour les deux secteurs, a été reprise pour sa composante sociale par un mouvement des présidents de CME (Conférence Médicale d’Établissement) apparu simultanément à Tours et à Toulouse. Organisés en Comité d’action les médecins ont pu obtenir le soutien des salariés et des directeurs d’établissements : les premiers parce que la revendication les concernait au premier chef, les seconds par conviction ou par nécessité. Ce Comité d’action a été à l’origine de manifestations locales et nationales à Paris les 9 avril et le 7 juin et a décidé de prendre de l’ampleur en s’organisant en Coordination Nationale des Médecins exerçant en Cliniques (CNMC).

Si les syndicats médicaux ont donné rapidement leur soutien à la CNMC, il n’en a pas été de même pour les syndicats de salariés. La CFDT n’a pas souhaité rencontrer la CNMC et aurait fait dire par l’un de ses représentants, Dominique DROUET (le Quotidien du Médecin, n°6977, p.3 du 28/09/01) que "les médecins se servent des salariés quand ça les arrange".

Dans l’esprit des responsables de la coordination nationale, les personnes les plus crédibles, pour dénoncer au juste niveau de gravité la situation des établissements privés, sont les acteurs de terrain, médecins et soignants, défendant leur outil de travail. Ce sera par contre à la FHP de négocier avec le gouvernement l’enveloppe financière permettant d’équilibrer les salaires des deux secteurs.

Une seule demande : l’égalité des salaires entre le public et le privé

Le 26 septembre à la maison de la chimie à Paris les représentants de la CNMC ont entériné la grève des admissions les 24 et 25 octobre décidée par la FHP et ont menacé de cesser toute activité à partir du 5 novembre si le gouvernement n’accorde pas 6,5 milliards de francs pour la revalorisation du personnel soignant.

Il ne faudrait pas prendre cette somme, qui par son chiffre dépasse l’imagination du gestionnaire moyen, comme une subvention octroyée au secteur privé. Cet argent représente l’écart sur plusieurs années du traitement des deux secteurs. C’est en fait, pour dire les choses simplement, demander à l’État d’être au service de la loi plutôt qu’à l’application obsessionnelle d’une sélection arbitraire de textes réglementaires. Cette dernière remarque pourrait passer pour outrecuidante, voire insultante s’il n’y avait eu récemment plusieurs occasions pour les fédérations de l’hospitalisation privée d’assigner l’État devant la justice. Le 17 décembre 1999, le Conseil d’État désavouait le Ministère des Affaires Sociales qui au nom de l’OQN avait imposer aux seuls établissements privés une baisse du prix de journée pour cause de dépassement de leur enveloppe dans l’Objectif National de Dépense de l’Assurance Maladie. Et nous sommes aujourd’hui dans l’attente du jugement du Conseil de l’Europe interpellé par les fédérations de l’hospitalisation privée pour concurrence déloyale.

Les cliniques psychiatriques privées
Dans ce chaos que vit aujourd’hui le secteur privé, comment se situent les établissements psychiatriques ? Quelles sont leurs raisons d’être dans le dispositif de soins ?

La discipline représente 18% du parc hospitalier privé avec 120 cliniques. Depuis juillet 2001, les établissements psychiatriques sont représentés par un seul syndicat l’UNCPSY, fusion du CPSY (adhérent de l’ancienne FIEHP) et de l’UNEP (UHP). Ce secteur n’a pas été épargné non plus par la boulimie des grands groupes financiers. Dans la seule région Centre 4 établissements sur 10 appartiennent maintenant aux groupes MEDIPSY et MEDIDEP.

La participation à l’offre de soins, 18 %, qui peut paraître minime, doit être réévaluée à l’aune du processus de déshospitalisation qui a fait passer le nombre de lits d’hospitalisation psychiatrique adulte, exclusivement par une baisse de capacité du secteur public, de 86 398 en 1991 à 68 807 en 1997. Pendant la même période, le nombre de places dans les structures alternatives passaient de 22 034 en 1991 à 23 881 en 1997 (rapport de la cour des comptes, p. 417 et 419).

S’il n’y a pas eu de conséquence majeure de ce processus sur le taux d’occupation déjà maximal des maisons de santé, les délais d’admission et les durées de séjour, eux, se sont modifiés, à la hausse pour les premiers et à la baisse pour les seconds. Se séparer des 12 904 lits (en 1997) sur les 68 807 restants ne peut que s’inscrire dans une radicalisation à l’italienne de la politique de santé mentale qui a montré son coût humain dans les pays expérimentateurs.

Même si les contraintes réglementaires sont beaucoup plus nombreuses et lourdes sur le plan financier dans les établissements MCO que dans les cliniques psychiatriques, celles-ci ont vu en quelques années leur rentabilité décroître. Certaines ont rejoint aujourd’hui le rang des établissements déficitaires. La pénurie d’infirmiers touche également le secteur dans des proportions équivalentes au reste du privé. Cette fuite de diplômés vers le service public a pour conséquence immédiate de mettre les établissements à la merci du bon vouloir des tutelles autorisées à reclasser les établissements dans une catégorie inférieure avec des conséquences à court terme sur la survie ou à provoquer une fermeture immédiate pour cause de défaillance de l’établissement aux normes de sécurité.

Jean-Louis PLACE

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