Actualité politique

Jean-Jacques Laboutière
Retour au sommaire - BIPP n° 31 - Novembre 2001

Ainsi que vient de le rappeler notre Président dans son éditorial, ces derniers mois ont été particulièrement chargés en rapports et projets touchant plus ou moins spécifiquement à notre discipline. Faisons le point.

Rapport Piel et Roelandt

Commandé au printemps 2000 par Martine Aubry, nos confrères Piel et Roelandt ont remis leur travail début juillet au Ministre Délégué à la Santé. Quatre idées fortes émergent de ce rapport : placer l’usager au sein du dispositif de santé mentale, supprimer le dispositif hospitalier public en le remplaçant par de petites unités de soins de proximité, renforcer la sectorisation en mettant en place des services territoriaux de psychiatrie correspondant environ à trois secteurs actuels de psychiatrie adulte, enfin réformer en profondeur la loi de 1990, avec, peut-être, à l’horizon une dissociation de l’obligation de soins et de l’obligation d’hospitalisation, afin de se conformer à des recommandations européennes. Tout cela ne va pas, pour le moins, sans poser quelques problèmes… Interrogés sur la faisabilité des mesures qu’ils préconisent, les auteurs répondent qu’aucune ambition ne vaut sans une part d’utopie. Dont acte.

Quant à la psychiatrie privée, elle est, comme d’habitude, oubliée, voire méprisée; son importance dans le dispositif de soins est indiquée en trois lignes pour rappeler qu’elle est exclusivement consacrée à prendre en charge les troubles mineurs de patients aisés pouvant financer leurs soins. Air connu, que nous avons déjà entendu, par exemple dans le rapport Joly il y a quelques années. Grande consolation, cependant, pour les psychiatres privés : l’estime où les tiennent les rapporteurs devrait les autoriser à consacrer jusqu’à 20% de leur temps au service public de psychiatrie sans avoir à passer de concours pour faire la preuve de leur compétence et, comble de reconnaissance de nos mérites, avec une rémunération décente. Merci, Messieurs, de cette arithmétique qui démontre sans conteste qu’un psychiatre privé vaut, au moins, un cinquième de psychiatre public.

L’AFPEP a demandé à la Fédération Française de Psychiatrie de faire part à nos tutelles de son indignation devant la manière dont sont traités les psychiatres privés dans ce rapport, ce qui a été fait, à la fois par communiqué et de vive voix lors de la dernière réunion du Comité Consultatif National de Santé Mentale. Mais les a priori idéologiques ont la vie dure. À l’époque, interpellé par l’AFPEP sur le contenu de son rapport, Monsieur Pierre Joly s’était excusé sur son ignorance de la manière dont il avait traité la psychiatrie privée. Interpellés à leur tour par l’AFPEP, nos collègues Piel et Roelandt reconnaissent qu’ils ont finalement une vision trop partielle des pratiques privées, ajoutent qu’ils n’en ont presque rien dit parce que les psychiatres privés travaillent bien (ce ne serait donc pas le cas des collègues de service public ?), et précisent que l’objet de leur rapport visait avant tout à faire des propositions pour réorganiser le service public. Les excuses sont faciles; elles s’envolent. Les écrits restent…, et se répètent. Mais on n’attaque pas en diffamation les rapports officiels.

Rapport annuel de l’O.M.S.

Le rapport annuel 2000 de l’O.M.S. avait fait l’effet d’un coup de tonnerre en saluant le système de soins français comme le meilleur du monde, alors que nos tutelles cherchaient à nous convaincre qu’il était l’un des pires. Idéologie encore. L’édition 2001 de ce rapport évalue l’état de la santé mentale dans le monde, et pointe les énormes besoins en la matière. Nous essayerons d’en présenter une analyse plus détaillée ultérieurement; pour l’heure, nous voulions juste noter que les préoccupations en matière de santé mentale affichées par le Politique ne sont pas une spécificité nationale : il s’agit à l’évidence d’un mouvement beaucoup plus général.

Faut-il s’en réjouir ? Ce n’est pas si sûr : il n’est pas avéré en effet, du moins en France, que la volonté politique s’ajuste aux données scientifiques, ou aux nécessités techniques, de notre discipline. Prévention et déqualification, la seconde avançant souvent sous le masque de la première, sont les deux principes de l’action gouvernementale en la matière. L’hypothèse "sociogénétique" de la souffrance psychique fait fortune et convoque d’autres intervenants que les psychopathologues à prendre part au débat.

La plus grande vigilance s’impose donc si l’on veut éviter, à terme, une désarticulation entre une Santé Mentale noyée dans le champ des pratiques sociales, et une Psychiatrie qui ferait violemment retour à la médecine sous les seuls auspices de la psychopharmacologie. Il devient urgent de réfléchir à ces questions de notre position de psychiatre. L’AFPEP consacrera son séminaire de printemps, à Toulouse, à cette question.

Réglementation des psychothérapies

Après deux années de débats passionnés, le Ministère a décidé de geler ce dossier par trop brûlant. Une mission d’exploration des pratiques européennes de la psychothérapie a été confiée à l’A.N.A.E.S. L’I.N.S.E.R.M. se voit, de son côté, chargé de mener à bien une mission d’évaluation des psychothérapies. Les rapports ne devraient pas être prêts avant la fin de l’année 2002 et il nous a été confirmé au Cabinet du Ministre qu’il n’est pas question de légiférer tant qu’ils n’auront pas été versés au dossier. Une manière élégante, et fort administrative, de remettre la décision à des temps moins cruciaux sur le plan électoral. Mais l’AFPEP, comme d’autres, prendra soin de maintenir ce dossier à bonne température.

Projet de loi sur les droits des patients et la modernisation du système de soins.

La démocratie sanitaire issue de la mascarade des États Généraux de la Santé entre dans la loi. Jospin l’avait promis, Kouchner l’a fait. Le patient, sujet singulier et souffrant, laisse en effet place à l’usager, sujet énigmatique mais collectif, puisqu’il n’existe nulle part que dans ses représentants. De nouveaux droits lui sont accordés, sa dignité ne pouvant, à l’évidence, plus longtemps être garantie par la seule déontologie et par ce que la société reconnaît d’éthique au corps médical. Bouleversement considérable, donc, de l’ordre symbolique qui présidait jusqu’alors la relation médecin-malade…

Parmi ces nouveaux droits, le plus spectaculaire sera celui de chaque usager d’accéder directement à son dossier médical. Concernant notre discipline, la fédération des associations d’usagers, la FNAP-Psy, s’est émue des conséquences néfastes que cette liberté pouvait avoir pour les patients si elle n’était encadrée par quelques principes élaborés conjointement avec les représentants des psychiatres. La présidente de la FNAP-Psy a donc rencontré le C.A.S.P pour proposer un travail commun sur la question. Ce travail n’est pas achevé mais il laisse penser que l’accès au dossier se fera, du moins en psychiatrie, sous de strictes conditions; il ne devrait pas aller au delà d’une retranscription de l’état clinique actuel, rédigée en concertation avec le patient, sans aucune obligation de référence à des classifications nosographiques officielles, et complétée de l’historique des traitements médicamenteux pertinents afin qu’un autre psychiatre puisse assurer le relais de la prise en charge.

Plan de réforme de Bernard Kouchner

Nous allions mettre ce numéro du BIPP sous presse quand le Ministre Délégué de la Santé a annoncé ce 14 novembre son plan pluriannuel de réforme pour la Santé Mentale, apportant ainsi un nouveau jalon à ce second semestre déjà bien chargé.

Ce plan est hélas sans surprise. En dépit de l’hostilité généralement exprimée par toutes les représentations professionnelles contre le Rapport Piel et Roelandt, il est en substance une version expurgée de sa dimension utopique de ce rapport. Mais sans doute notre Ministre était-il trop impatient de communiquer sur le sujet pour attendre la rédaction d’un autre rapport ?

Il est largement fait état dans ce rapport de groupes de travail actuellement en cours au Ministère et dont les conclusions, qui devraient être publiées en janvier prochain, doivent nourrir certaines orientations du plan de réforme. Le SNPP participe à l’un de ces groupes mais, pour l’essentiel, il y est surtout question des éventuels transferts de compétence, souhaités par l’administration, refusés par les psychiatres, qui devraient pallier la pénurie de psychiatres.

Enfin, ce plan fait de nouveau largement référence aux droits des usagers, au point de remettre en cause la légitimité de l’obligation de soins au cours des hospitalisations sous contrainte. L’idée de détruire les hôpitaux psychiatriques est abandonnée mais pas celle de construire des structures de soins de proximité. Le dispositif d’hospitalisation publique devrait donc s’en voir fortement renforcé. Enfin, la mise en place de réseaux apparaît comme la solution magique qui permettra de suppléer à toutes les insuffisances de moyen. Vous l’avez déjà compris, c’est bien sûr à s’inscrire dans ces réseaux que les psychiatres privés sont fermement invités.

Je doute que nous y soyons prêts ne serait-ce que devant le risque d’une perte énorme de notre efficacité dans le champ sanitaire par l’introduction de lourdeurs administratives et la réunionite qui guette toute institution. Mais on comprend la position de Kouchner puisque cette efficacité, notre "productivité" en terme de soins, est complètement occultée dans les rapports.

Jean-Jacques LABOUTIÈRE

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