Psychothérapies : "Cachez - médecins - que je ne saurais voir..."

Linda Sarfati
Retour au sommaire - BIPP n° 31 - Novembre 2001

Nos tutelles s’inquiètent de la recrudescence des sectes qui recrutent leurs victimes en prétendant les aider dans leur mal de vivre et en s’autoproclamant psychothérapeutes. D’où l’idée de décerner un diplôme d’État reconnu, qui donnerait le droit d’exercer la psychothérapie, comme il existe un diplôme pour pouvoir exercer en tant que médecin ou architecte.

Une nouvelle guerre est de ce fait lancée.

Schéma des forces en présence :

- Les psychiatres, qui disent que cela fait partie intégrante de leur métier d’exercer la psychothérapie;

- Un courant psychanalytique qui est favorable à l’existence d’un diplôme et qui dispense un enseignement dont il voudrait obtenir la reconnaissance de l’État. Ils disent de la psychanalyse qu’elle est une forme particulière de psychothérapie;

- Un courant psychanalytique qui ne souhaite aucunement de reconnaissance de l’État avec comme argument que la psychanalyse n’est pas une psychothérapie. Certains aiguisent le propos en disant que la psychanalyse "s’adresse à des personnes en difficulté", évacuant un aspect "thérapeutique" concernant la psychanalyse;

- Des personnes qui sont médecins ou pas (la plupart n’ont aucune formation à la psychopathologie) qui pratiquent des psychothérapies qui ne recouvrent pas le champ de la psychanalyse. Ces méthodes de psychothérapie sont nombreuses : psychothérapies familiales, compor-tementalisme, gestalt, cri primal… Le catalogue serait long et mon ignorance me permet de ne pas tout citer. Eux, aspirent à un diplôme d’Etat de psychothérapeute. Ils en assureraient les modalités d’accès. Ils contestent aux psychiatres qui n’ont pas de diplôme spécifié de psychothérapie, la qualité de "psychothérapeute". Je ne crois pas qu’ils revendiquent officiellement un statut de soignant. J’ignore leur discours officiel par rapport aux psychanalystes.

Dans une lettre de Freud adressée à Einstein, connue sous le titre de "pourquoi la guerre ?", il évoque en particulier les conflits d’intérêt et d’opinion.

Je ne pense pas avoir à m’étendre sur les conflits d’intérêt qui sont aisés à percevoir.

Les conflits d’opinion se fondent sur un mot, un signifié, "psychothérapie", dont personne ne s’attache à en définir les contours. On se bat, mais on ne dit pas très bien pourquoi, si ce n’est qu’on ne veut pas être confondu avec les autres.

On ne compte pas les torchons avec les serviettes, comme si le compte pouvait être juste, sans manque et sans bafouille. Le torchon brûle mais la pureté du raisonnement ne supporte ni ne se supporte de quelque aporie que ce soit.

Je reviens au lexique, au signifié. Psychothérapie : traitement psychique. Et je vous renvoie à un texte émouvant de Freud daté de 1890 intitulé "traitement psychique". Je souligne le mot traitement, pour vous mettre sur la piste de mon orientation. Ce sur quoi j’insiste pour l’heure, ce n’est pas le fond, soit les registres théoriques (quand il y en a) sur lesquels les uns et les autres se fondent. J’insiste sur le constat que quand il y a de l’opinion qui ne renvoie qu’à elle même et du signifié qui fait fonction de parole figée à laquelle on se met en plus à croire, il n’est pas étonnant de tomber sur les délits d’opinion et les paroles d’Évangile, la religion et les guerres de religions.

Il n’est pas question de défendre la mise en place d’un diplôme de "psychothérapeute", ce qui risquerait en plus de devenir la voie royale pour les sectes. Il n’en est pas question, le risque étant de devenir sectaire, la tentation serait grande. Nous alertons nos tutelles sur les dérives possibles de ce genre de diplôme. Mais on peut comprendre que devant une telle cacophonie, ils se perdent et sont renforcés dans leur envie de trancher.

Il n’est pas question non plus de laisser évacuer la dimension soignante de la technique psychanalytique. Là encore, il serait absurde de se laisser enfermer par le signifié "soin".

Le paradoxe, ça se soutient, c’est même une leçon de la psychanalyse. On ne l’évacue pas pudiquement avec un torchon par dessus : la psychanalyse pour les problèmes existentiels ! On croit rêver !

C’est se mettre en plus complètement dans le fil des idéologies des sectaires qui sont partisans des techniques "light, zen, naturelles"…

Aujourd’hui, il y a encore des psychiatres pour défendre la validité de la théorie analytique dans le cadre de leur pratique. Pour ceux-là, ce qui est appelé psychothérapie, c’est de l’analyse.

Le discours sur la cure idéale, la cure-pure, donne dans l’idéologie totalitaire. Pour paraphraser Lacan, La psychanalyse ça n’existe pas. Et pourtant, de l’analyse, ça a des effets. Des effets thérapeutiques aussi.

Il semble que bientôt, ces médecins qui osent encore soutenir leur travail depuis les avancées de la psychanalyse, introduite comme un progrès par Édouard Toulouse en 1923 à Sainte Anne, ne seront plus là pour en témoigner.

Je crains qu’il ne reste que l’aspect camisole pour les soins, l’exclusion, la dérive sectaire, et le "tourisme psychanalytique".

Si un diplôme de psychothérapeute devait advenir (il y a vraiment le feu), les psychanalystes retomberaient dans les problèmes évoqués par Freud dans la question de l’analyse profane en 1926. Au cas où on l’aurait oublié, se posait déjà le problème des sectes. Qu’ils ne s’imaginent pas être à l’abri d’une exigence de diplôme du fait qu’ils ne se sentent pas concernés.

Et il n’y aura plus aucun médecin pour soutenir la psychanalyse (et l’analyse profane). Pas de combat sans combattant. On ne pourra pas dire que l’alerte n’a pas été donnée.

Ils n’auront pas été soutenus par les courants analytiques au nom de "l’extra-territorialité" de la psychanalyse.

Cela aura fait fermeture. Encore du signifié. Les trois catégories Réel, Symbolique, Imaginaire sont liées (comme le seraient les anneaux borroméens). Et il ne saurait y avoir d’extra-territorialité qui se soutiendrait d’elle-même, comme il n’y a pas de Réel sans Symbolique et Imaginaire.

N.B. Une lueur d’optimisme.
Le S.N.P.P., en la personne de son président, a soutenu Kamel EL YAFI, psychiatre et psychanalyste devant le Conseil de l’Ordre des Médecins.
Les représentants de l’O.D.M. ont eu, de ce fait, à appréhender le champ de notre pratique.
On peut dire que ce procès aura eu le mérite de se transformer en un processus de reconnaissance de la psychanalyse et de ses particularités dans le champ du médical.

Linda SARFATI


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