A-t-on vraiment besoin de psychiatre pour faire de la psychiatrie ?

Pierre Cristofari
Retour au sommaire - BIPP n° 31 - Novembre 2001

Kervasdoué nous l’a bien dit, et en ces termes, à Lorient : ce que font les psychiatres, d’autres pourraient-ils le faire. Psychologues (c’est déjà admis) ou assistantes sociales.

Cela induit d’autres questions.

A-ton vraiment besoin d’un programme théorique aussi musclé pour passer un CAP ? D’un diplôme de grande école d’ingénieur pour être cadre bancaire ? D’une licence de droit pour être inspecteur de police ? D’un bac S pour entreprendre des études d’infirmière ? D’une licence et d’un institut spécialisé pour être instituteur en maternelle ?

Non, bien sûr, on pourrait faire autrement. Je suis de ceux qui préféreraient un apprentissage, à la place de l’université, dans de nombreux métiers, y compris en médecine.

Mais il faut, hic et nunc, faire avec un système culturel donné, même si on le réprouve.

Les études universitaires sont aujourd’hui l’alpha et l’oméga de toute formation. Si je demeure sceptique sur le bénéfice du système scolaire, je demeure en revanche persuadé que, sauf pour certains doués dont je ne suis pas, peu de choses sur terre peuvent se faire – et s’apprendre – vite et bien.

"Devenez psychothérapeute en dix stages de deux jours", franchement, ça n’aurait jamais été à ma portée. Je suis sûrement un très mauvais psychiatre, incompétent à conduire une psychothérapie, disent les uns, trop longuement et donc trop coûteusement formé, disent les autres (dont Kervasdoué se faisait à Lorient le porte-parole).

Dans ces reproches contradictoires, où se situer ?

On connaît l’histoire : "on va emprisonner les Juifs et les coiffeurs – Pourquoi les coiffeurs ?"…

Pourquoi, dans ce fondamental débat sur le choix de société autour des nouveaux moyens d’apprentissage et des nouveaux savoirs, se focalise-t-on sur les psychiatres ?

Y-aurait-il quelque chose qui titille dans la question du transfert, clef de voûte de notre métier et de notre position, quelque chose qui suscite la jalousie ? Ou qui réveille des fantasmes récurrents sur la relation du psychiatre avec ses patients ?

Sans doute, quelqu’un de bonne volonté, et attentif, pourrait-il faire aussi bien qu’un psychiatre ordinaire dans bien des cas.

Et sans doute un ouvrier adroit, avec un peu d’entraînement, pourrait-il changer un cristallin sans connaître beaucoup de médecine…

Pour moi ce temps fut nécessaire : ces études de médecine, ces gardes, cette spécialisation, ces séminaires. Et encore, combien de fois, ensuite, me suis-je trouvé jeune et inexpérimenté…

Alors, ces économies de temps d’étude, ou mieux d’apprentissage (comme quand on tient pour acquis qu’un DESS de psychologie vaut un DES de psychiatrie), ne me disent rien qui vaille.

Beaucoup de gens sont capables de recevoir nos patients, les écouter, parler avec eux, sans avoir besoin du cursus d’un psychiatre : soit, mais c’est vrai pour bien des métiers relevant d’études longues.

Et même pour ceux relevant d’études plus courtes : faut-il vraiment quatre ans d’études aussi poussées qu’aujourd’hui pour former un infirmier ?

Et pour former un psychologue, cinq ans sont-ils vraiment nécessaires ? Une licence – qui permet aujourd’hui d’être psychologue scolaire – n’est-elle pas amplement suffisante ?…

Un programme actuellement en cours au Kenya a permis de former en quelques mois d’excellents médecins de terrain, probablement plus efficaces que nous ne le serions à leurs places ? Et alors ? Ce programme répond à une urgence et n’a aucune vocation à servir d’exemple à l’Afrique de demain ! Pour qui ne peut faire autrement, un médecin formé en quelques mois peut valoir mieux que pas de médecin du tout, mais notre société, crevant sous les richesses et ses inégalités, a-t-elle les moyens de revenir en arrière sur ses conquêtes, en particulier l’instruction ?

L’allongement phénoménal de la durée de la retraite en Occident, ne doit-il pas imposer au contraire, de prendre le temps de s’instruire et de se former pendant une période de plus en plus longue de sa vie.

L’augmentation du niveau général d’instruction en Occident, ne doit-il pas imposer que les plus humbles professionnels, ceux exerçant les métiers nécessitant le moins de qualification (parmi lesquels, bien sûr, la psychiatrie…) possèdent une formation un peu plus poussée – un peu plus longue – dans leur domaine que la moyenne de la population : à quoi donc pourraient-ils servir sinon ?

Ce métier si facile, si aisément remplaçable par un peu de psychologie, beaucoup d’entre nous serions incapables de l’exercer sans le long apprentissage que nous lui avons consacré.

Et quant à l’énorme temps de formation auquel nous continuons à nous astreindre – sans même en avoir l’obligation légale – ça n’a vraiment, vraiment aucune utilité ?

Pierre CRISTOFARI

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