Conscience et libertés : la psychiatrie entre science et humanisme

Jean-Jacques Xambo
Retour au sommaire - BIPP n° 38 - Mars 2004

Exercer une psychiatrie ouverte et rigoureuse c’est soulager la souffrance psychique et traiter la maladie mentale. Mais ce programme technique suppose l’espace d’une rencontre personnelle qui entende la complexité subjective du lien interhumain pour permettre au patient d’y retrouver la dignité de sa liberté subjective et de ses places sociales entravées. Au delà de la vérité de cette rencontre en elle même humanisante, le projet thérapeutique requiert une indépendance professionnelle compétente du praticien, sa disponibilité psychique et sociale pour recevoir la demande du patient, et la dégager, en ouvrant un réel libre choix des traitements disponibles. Le choix du traitement par un patient informé fait appel aux modèles scientifiques du praticien comme au dialogue ouvert de la consultation. Le soulagement et l’écoute recherchés par le sujet s’appuient sur les qualités humaines du praticien comme la stabilité et la durée des cadres psychothérapiques. Enfin l’humour chaleureux, l’invention et la surprise… la liberté de la parole, la spontanéité… l’attention à l’inconscient sont bienvenus… et il n’est pas interdit de rêver !

A - L’indépendance professionnelle du praticien :

Le professionnel de santé, cela va de soi, doit pouvoir fonctionner selon sa déontologie et son éthique, dans un cadre démocratique : la psychiatrie ne saurait être utilisée comme outil d’oppression ou de discrimination sociale. Nos aînés ont dû le manifester plusieurs fois dans l’histoire récente, mais la société médiatique moderne dans un style "cool et soft" n’est pas à l’abri d’utiliser des "psys" banalisés et "loftisés" comme caution douteuse à des manipulations marchandes et exhibées.

Les pratiques soignantes sont de plus en plus bordées, encadrées, voire déformées par des procédures de protocoli-sation, évaluations ou contrôles… Où la quantification débouche sur la pression sociale du contrôle du coût des soins : pourtant pas de psychiatrie ni de recherche sans moyens financiers et humains, donc sans choix en politique de santé.

Du côté du patient, la liberté de son choix thérapeutique suppose un nombre suffisant de praticiens (et de médicaments !) disponibles : un remboursement des soins fait donc partie intégrante de cette disponibilité sociale et financière du soin et en permet en grande partie la faisabilité.

La diversité des modèles scientifiques ou du côté des sciences humaines, la richesse de leur articulation complexe font la richesse des pratiques et de la pensée en psychiatrie, loin des réductionnismes utilitaristes. La compétence c’est aussi la valeur des formations universitaires… et de l’auto ou l’inter formation entre pairs. Les psychistes ont aussi une tradition ancienne de choix de formations personnelles indépendantes hors des structures universitaires et de certification normée : par exemple, l’ouverture individuelle à l’écoute de l’inconscient par la psychanalyse personnelle et la supervision, avec les différents collèges de formation psychanalytique ; ou plus récemment le pragmatisme des formations cognitivo-comportementales. Ces instituts ont d’ailleurs individuellement à se poser la question de leur liberté : au regard de la médecine, au regard de la reconnaissance sociale, comme autour des liens de parrainage éventuel par l’industrie pharmaceutique… et doivent bien sûr s’écarter radicalement du dogmatisme sectaire ! La pluralité de ces formations psychothérapiques, si elle fait sourire les tenants d’une Vérité "désossée, nue et unique", ou ricaner la science "dure" ou plutôt ses dérives idéologiques simplifiantes, permet aussi la liberté et la richesse diverse des psychistes.

B - La demande du patient , la parole d’un sujet :

À travers le colloque singulier et une écoute psychothérapique, le praticien dégage la singularité d’une demande individuelle, différenciée de la demande sociale voire d’une commande politique globale à la profession. La douleur psychique doit être entendue et soulagée dans sa singularité individuelle et le symptôme doit renvoyer autant à la discrimination diagnostique d’une maladie qu’à une formation subjective de compromis à valeur symbolique. Le praticien plus prosaï-quement se trouve souvent aussi face à la demande contradictoire de soins ou de soulagement bien différents entre un sujet et sa famille qui sont à entendre et à informer spécifiquement. La question ici d’un tiers payant et/ou d’un paiement personnel rencontre la contradiction entre liberté individuelle et prise en charge sociale, recherche d’un soin accessible pour tous et accès à la liberté d’une jouissance personnelle libre de sa vie… "parce qu’elle le vaut bien ?" sans trop de dette symbolique. Ou quand le sujet et le désir se mettraient à compter…

C - La liberté thérapeutique :

Le praticien se trouve à l’articulation complexe d’exigences parfois contradictoires qu’il doit pouvoir trancher avec son patient selon des choix éthiques : soulagement de la souffrance personnelle, pacification du symptôme ou du comportement, usage de la pharmacopée, dégagement d’une position subjective… Idéalement retour à la liberté d’agir d’être, de désirer et de créer (horizon idéal qui heureusement n’est pas visé, seulement la médecine et les praticiens de l’esprit !). Quelle impossible recette y concourt ? Quel croisement métis d’idéaux et d’exigences ? Bien sûr la compétence scientifique, l’expérience humaine, l’ouverture libre à l’écoute, viser une solidité des accompagnements individuels et sociaux mais aussi recourir à une pluralité dialectique de modèles : neurobiologiques, cognitifs, psychosociaux, psychodynamique et exégèse psychanalytique etc. Vaste programme nécessitant de l’espace psychique et du temps ! Et qu’il n’est pas choquant de rémunérer en conscience à sa juste valeur ! Retour de l’économique : qui paye ? À qui ? Pour quoi faire ? Etc.

La liberté thérapeutique c’est aussi l’information du patient sur les techniques disponibles avec un accompagnement ouvert à ce choix, comme ce n’est pas disqualifier un individu et un sujet parlant et désirant par un réductionnisme neurobio-logique obtus : on ne soigne ni seulement un organe, un processus ou une maladie mais un individu social digne, un sujet désirant et parlant capable de dégager une position subjective, et d’engager subjectivement l’éthique de ses choix. Éthique du professionnel, éthique du patient... l’un et l’autre sujets et citoyens !

Jean-Jacques XAMBO


Retour au sommaire - BIPP n° 38 - Mars 2004