Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent : point d'humeur

Marc Maximin
Retour au sommaire - BIPP n° 38 - Mars 2004

La psychiatrie infanto juvénile traverse une crise fondamentale qui doit nous interpeller et nous faire réagir sur les enjeux et les risques.

Ce secteur riche d’une pluridisciplinarité, d’une dynamique, d’une recherche et d’un étayage théorique toujours en question se retrouve aujourd’hui de par sa spécificité comme le maillon le plus faible face à la mutation de l’organisation du lien social.

Mutation qui est la suite logique d’une évolution dans nos fonctionnements et qui, faute d’être identifiée et prise en compte, nous laisse sans repères, dans une recherche permanente de responsables et sans "protection" face aux demandes auxquelles nous sommes confrontés.

En effet, l’éclatement des familles avec une disparition ou une reconfiguration des modalités de solidarités et d’échanges, la quête à l’individualisme et à la "bonne" santé permanente, la dominance des technosciences comme moyen d’explication et de réponse à tout problème ont amené un fonctionnement collectif qui s’est émancipé de toute référence, de toute position de tiers.

Cette modification par rapport à une position d’extériorité ou de transcendance remet en question la reconnaissance symbolique de la légitimité de la place de responsable, de celui qui est en position d’autorité (parents, éducateurs, enseignants, médecins, etc.).

Ce mode permettait la reconnaissance collective de la différence des places et aussi de l’incomplétude qui fonde aussi bien la vie psychique du sujet que la vie collective.

On assiste à une réorganisation selon un régime qui se veut complet, qui fonctionne dans l’immédiateté et "la réponse à tout".

La démarche de transparence à tout prix, dans un contexte de codification permanente et de réductionnisme sur un mode de causalité linéaire, s’inscrit dans cette mutation.

L’enfant est le premier touché par cette perte de repères, il est aussi et surtout la première cible de toutes les "attentions" de ce nouveau fonctionnement.

La psychiatrie infanto juvénile a toujours défendu cette notion de différences des places, d’incomplétude et donc de singularité subjective. Elle est actuellement mise à mal tant sur le fond que sur la forme.

L’approche symptomatologique qui est dominante actuellement fait le forcing devant ce dernier bastion de la psychiatrie qui se défend encore par une classification (Mises) face à la déferlante statistique du DSM.

Il suffit de constater le développement et l’évolution crescendo, aux dépens de la clinique psychiatrique, du fonctionnement sur le mode de la réponse chimiothérapique et neurologique aux problématiques.

On est alors confronté à un rapport au savoir qui se veut dans une pseudocertitude scientifique, qui laisse peu de place au doute et à la remise en cause.

Cette rationalité scientifique semble souvent vouloir cautionner des hypothèses et des méthodologies fondées sur d’autres considérations sans doute plus mercantiles…

Mais peut être le plus impressionnant se masque-t-il sous le vocable de prévention où l’on assiste à des protocoles de prise en charge thérapeutique à l’école, dans la famille, voire dès la naissance, qui sous couvert d’une caution scientifique se révèlent très dangereux.

Il ne s’agit plus alors de psychiatrie mais d’une technologie aux ordres d’une demande sociétale d’un toujours plus correct, toujours plus efficace, et qui ne peut que dériver vers un rôle de régulateur social avec ses dérives normatives.

On assiste à une attaque organisée de la pédopsychiatrie qui commence par un démantèlement en règle du secteur public. Les enfants et adolescents qui présentent des troubles de la personnalité, sont pris en charge pour plus des 2/3 dans le secteur médico-social et l’ouverture de lits d’hospitalisations, au vu de la carence dans le public, se fait actuellement majoritairement dans le secteur privé. Alors que le secteur médico-social a été à la pointe de la psychothérapie institutionnelle, on est confronté actuellement à une démédicalisation importante avec sa conséquence qui est une socialisation voire une approche purement rééducative des problèmes psychologiques.

Par ailleurs l’hospitalisation privée se trouve interpellée de plus en plus souvent, du fait de l’absence quasi-totale d’accueil de jeunes en crises et, devant l’absence de moyens pour répondre à ces demandes, elle risque de s’inscrire dans une réponse en miroir sur un mode exclusivement chimiothérapique.

Quant à l’exercice libéral de la psychiatrie infanto juvénile, il essaie de tenir et de s’exercer dans les meilleures conditions possibles, face à l’impossibilité qui lui est faite par les charges et contraintes qui pèsent sur lui. Ce mode représente souvent la dernière réponse, le seul lieu possible d’accueil, d’écoute et d’échange face à la souffrance.

Les adolescents sont à la mode, surtout pour les conduites addictives qui sont très médiatisées : la manière dont les services universitaires se sont emparés de ce domaine en témoigne.

Par ailleurs l’adolescent a toujours fait peur. Actuellement devant cette mutation qui ne lui laisse plus la possibilité de faire appel à une extériorité repérante, il est mis en demeure de renégocier et de remanier tout ce qui le concerne, et cela se fait souvent dans le tumulte et l’opposition.

La pédopsychiatrie est souvent interpellée pour réguler tout comportement considéré comme "déviant". Il est important qu’elle ne psychiatrise pas les problématiques sociologiques générales et empêche ainsi un vrai débat de fond.

Paradoxalement il est laissé dans le champ social de plus en plus de pathologies psychiatriques "lourdes", du fait souvent de la pénurie de lieux d’accueil et de soins en dehors de l’urgence.

Tout ceci pour dire que cette déstructuration du service public de la pédopsychiatrie et le glissement insidieux de la prise en charge, soit sur le mode du social, soit sur un mode strictement médicalisé, correspond à un champ d’expérience et à une première étape qui va s’étendre à toute la psychiatrie et entraîner la disparition de la clinique psychiatrique.

Le privé ne peut fonctionner que si il y a le public et vice versa, et il faut faire attention de ne pas être attiré par des sirènes qui nous entraînent vers des impasses…

Devant l’évolution vers une psychiatrie athéorique, normative et complètement inféodée aux laboratoires, il est indispensable de résister, il s’agit là de notre responsabilité politique de psychiatre et l’on ne peut s’y dérober.

La défense du secteur privé et public en pédopsychiatrie doit être notre mot d’ordre.

Le SNPP va continuer à se battre pour faire reconnaître à sa juste valeur l’acte du pédopsychiatre dans le mode d’exercice libéral avec tout ce que cela comporte en spécificité, en énergie, en lien et donc en temps avec les différents intervenants concernés (famille, école, travailleurs sociaux etc.). Cette possibilité d’accueil et de soins est fondamentale tant dans son articulation avec les différents modes de prises en charge que pour sa particularité, sa richesse et sa souplesse de fonctionnement.

Le SNPP va essayer de faire un état des lieux de la pédopsychiatrie, avec votre collaboration, au vu de l’absence d’une représentation globale et clinique de ce secteur pour bien mettre en évidence la représentativité et l’importance du privé.

On ne peut plus continuer à laisser faire sans donner notre avis, surtout quand on voit le poids des querelles de "clochers", l’influence des modes et le peu de prise en compte du travail et de la place du secteur privé en pédopsychiatrie.

À partir de là, l’on pourra élaborer des projets qui prennent en compte les différents modes d’exercices, leur complémentarité, leurs indications et surtout mettre nos tutelles devant leurs responsabilités.

Faudra-t-il attendre qu’un problème grave et médiatique surgisse pour que nos tutelles se rendent compte que le médico-social assure une part très importante des soins en pédopsychiatrie avec une pénurie dramatique de médecins ?

La non reconnaissance de ce travail pour les psychiatres, tant sur le plan du temps que financièrement, la maltraitance dans laquelle se retrouvent les usagers mais aussi les salariés qui sont isolés et sans soutien face à la souffrance psychique, la maladie mentale et les crises, nous font dire que cette situation est inadmissible.

Le Comité d’Entente des associations représentatives de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés, lors de sa réunion plénière du 3 décembre 2003, a manifesté sa grande inquiétude devant l’absence ou le temps trop réduit des psychiatres en médico-social, entraînant non seulement une diminution de la valeur thérapeutique des institutions mais une recrudescence de l’épuisement des accompagnants.

Il a demandé une audience aux ministres concernés pour leur faire part des risques et dangers de la situation afin d’avoir une réponse rapide et amener ainsi les remèdes nécessaires.

La synergie et l’impact que représentent la Fédération des Syndicats d’Employeurs, le Comité d’Entente des associations et la totalité des syndicats de Psychiatres vont former un moyen de pression plus énergique au niveau politique pour amener une prise en considération sérieuse de la nécessité des soins et de leur qualité dans le secteur médico-social.

Une démarche groupale et forte de tous les intervenants concernés va donc se faire auprès de nos ministres, élus et tutelles pour obtenir rapidement les réponses indispensables pour la continuité d’un travail de qualité dans ce secteur.

C’est un droit et un devoir pour nous de défendre nos patients et donc notre outil de travail, c’est aussi une obligation pour nos responsables de garantir la qualité des soins et donc le respect des soignés et soignants.

Marc MAXIMIN

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