Vous avez dit "opposable" ?

Michel Marchand
Retour au sommaire - BIPP n° 38 - Mars 2004

Que signifie aujourd’hui défendre l’acte de consultation psychiatrique unique à tarif opposable ? Cette défense est-elle légitime ? Quelle position devons-nous soutenir ? Quel est le sens même de notre combat syndical ?
Nous entendons souvent l’acceptation du discours dominant qui établit les rapports sociaux et humains sous le seul angle économique – ou à défaut judiciaire – ramenant la santé à un objet d’échange entre producteur de soins et consommateur de soins assujettis aux lois du marché.
Acceptation aussi de l’idée qu’il n’y a plus assez d’argent pour assurer la santé de tous et, en conséquence, qu’il faut abandonner la prétention d’une revalorisation significative de notre activité – la consultation psychiatrique – par les gestionnaires de la santé. Il suffirait dès lors de se tourner vers les patients pour faire l’appoint, laissant aux syndicats non médicaux le soin de négocier les tarifs opposables pour la seule CMU.
Acceptation enfin que comme d’autres pays européens ou d’Amérique du Nord qui se sont délibérément tournés vers l’assurance privée pour se dégager du problème, avec pour corollaire la protocolisation des soins à l’aune de leur possible remboursement, on soit obligé de prendre la même direction.
S’agit-il pour nous de nous contenter mollement de constater ces faits, de les considérer comme inéluctables, et de retirer petitement notre épingle du jeu politique, avec quelques sous au passage ?
Ou, au contraire, avons-nous à considérer, en tant que citoyens et en tant que professionnels, que :

  • - la politique de la santé est l’affaire de tous et au premier chef des professionnels de la santé, et qu’il nous appartient d’énoncer le cadre dans lequel les soins doivent se dérouler,

  • - les moyens nécessaires sont à dégager pour assurer la santé de tous nos concitoyens sous la responsabilité de l’État, pour que le droit à la santé soit effectif pour tous et non limité aux ressources que chacun peut y mettre,

  • - les économies faites dans le budget de la santé sont à rechercher du côté des coûts inutiles et de l’insuffi-sance de la prévention, mais sûrement pas dans l’enfermement des professionnels dans des protocoles et des standards établis par des règles administratives niant la singularité du sujet (qu’il s’agisse du psychiatre, du patient, ou de leur relation duelle),

  • - diminuer aveuglément le budget de la santé c’est aussitôt augmenter de façon peut-être moins lisible mais bien réelle les coûts dans d’autres secteurs de la vie de la collectivité (coûts sociaux liés aux pathologies non ou mal traitées : errance, délinquance, criminalité, désinsertion sociale, inactivité professionnelle, et toutes les conséquences délétères sur l’environnement social et familial…).

Nous assistons, dans le même temps, à une convergence de dispositifs qui conduisent de façon coordonnée au démantèlement de la profession. Le plan d’action Cléry-Melin, le rapport Berland, l’amendement Accoyer devenu Mattei, le pôle nomenclature et la future CCAM, forment un ensemble cohérent qui ne peut qu’aboutir à une situation aberrante :

  • - scission de la consultation psychiatrique, rangeant la psychothérapie parmi les techniques compartimentées,

  • - systématisation des pathologies correspondant à des prises en charge par des assurances différentes (assurance maladie, assurance complémentaire…),

  • - glissement de la psychothérapie vers d’autres professions situant le psychiatre au rang d’expert ou de coordinateur et non plus de clinicien en constante élaboration au contact des patients.

L’histoire nous montre que différencier les cotations conduit immanquablement à une dévaluation de l’acte de base.
L’instauration du secteur II a certes permis au gouvernement d’alors de tempérer la grogne des médecins ainsi que les dépenses de l’assurance maladie. Elle a surtout conduit à geler le secteur I pour ceux qui avaient justement choisi une pratique garante de l’accès aux soins pour tous ! La revendication de passage au secteur II ne peut qu’accentuer encore ce clivage et la non reconnaissance de l’acte de base qui fonde notre activité.
Soit nous tenons une position défaitiste en renonçant à défendre le tarif opposable, c’est-à-dire en abandonnant ou limitant le primat de la solidarité sociale concernant le droit à la santé : "puisque c’est comme ça, qu’on n’y peut rien, que l’enveloppe sociale est figée, eh bien ponctionnons tous les patients qui peuvent l’être encore pour retrouver un équilibre économique (provisoire)".
Ce serait nous dessaisir d’un rôle moteur, d’une position syndicale qui se veut partenaire à part entière d’une politique solidaire traitant des questions de santé publique. Ce serait du même coup renoncer à la reconnaissance de la valeur de notre travail par nos partenaires. Ce serait enfin une défaite pour nos patients qui, dès lors, seraient les seuls à assurer la revalorisation de notre activité !
Cela veut dire une liberté tarifaire assurée par les patients. Dès lors, quelle légitimité de notre position syndicale ?
Soit nous considérons que notre rôle s’inscrit et dans une relation spécifique avec chacun de nos patients et comme acteurs d’une politique de santé qui se fonde sur la qualité des soins et la possibilité pour tous de se soigner, dans le respect de la singularité et de la confidentialité de chacun.
C’est là, me semble-t-il, la clef de voûte de la position que nous avons à tenir vis-à-vis de nos partenaires : l’État, l’Assurance Maladie, les patients.
En défendant un acte unique, spécifique et non protocolisable, remboursable dans une proportion acceptable pour les patients, nous défendons nos exigences professionnelles et éthiques, en pleine conscience de notre rôle à jouer pour que la santé mentale soit possible dans notre pays et ait, pourquoi pas, un caractère exemplaire à proposer à nos partenaires européens.
Oui au tarif opposable revalorisé !
Oui à une position syndicale opposable… au discours dominant, au modèle du tout économique et judiciaire !
Voilà qui souligne l’ardente nécessité de redéfinir la convention, dans un véritable partenariat, avec une assurance maladie à défendre en tant que système de répartition où chacun cotise en fonction de ses revenus et soigné en fonction de ses besoins, avec un État porteur d’une politique volontaire.
Redéfinissons une convention respectueuse :

  • - de l’éthique professionnelle,

  • - du libre choix des patients et de l’accès aux soins pour tous, quel que soit le lieu de résidence ou la situation économique (démographie à reconsidérer, revalorisation de la consultation psychiatrique),

  • - de la confidentialité,

  • - de la liberté de réponse thérapeutique,

  • - de l’indépendance professionnelle : assurance professionnelle, télétransmission, formation et évaluation,

  • - de chacun des partenaires qui la signent !

Soyons plus nombreux encore avec l’AFPEP – SNPP pour inscrire notre action dans une véritable politique de santé et dans une relation conventionnelle non dévoyée.

Michel MARCHAND


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