Questions à propos d'un licenciement... Rénover ! ou les pieds nickelés à la santé

Retour au sommaire - BIPP n° 44 - Avril 2006

Le 2 février 2006 le psychiatre d’un ITEP de l’Eure(1) a été licencié, sans préavis ni indemnités, pour « faute grave », après dix-huit ans d’exercice dans l’institution.

Cette qualification ne réussit pas à dissimuler la véritable raison de cette mesure : la critique par ce praticien des ravages opérés, au sein des institutions médico sociales, par le modèle gestionnaire, un modèle sommant les personnels de se taire et d’appliquer sans commentaires ni aménagement ce qui leur est assigné, autrement dit la transformation de ces institutions soignantes en « plateaux techniques », visant à un « formatage » des subjectivités, à leur conditionnement comportementaliste ou médicamenteux, certes propédeutiques à l’univers mécanisé de la consommation marchande, mais dont les autres conséquences restent à préciser. Remarquons déjà qu’il s’agit d’une reprise, parfois sous la figure de la farce féroce, des projets biopolitiques de technologisation de l’homme, déjà à l’œuvre dans les années trente, projets supposant la réduction de l’humain à un substrat manipulable en fonction des exigences du politique ou du marché, avec les résultats que même les « ingénieurs du social », petits-fils numérisés de Maxime Gorki et de Eugen Fischer, ne devraient pas méconnaître.

Ce type de licenciement, passage à l’acte permettant d’éliminer efficacement la moindre objection, est loin d’être exceptionnel et leur nombre va manifestement en se multipliant de jour en jour - il s’avère cependant en cette occasion exemplaire par sa violence caricaturale et son cynisme : licenciement sans considération ni pour la dignité médicale, ni pour le travail accompli, ni pour les années passées, ne laissant pas même la possibilité de prendre congé des jeunes et du personnel.

Une telle décision n’a manifestement pas d’autre raison que l’instauration du type de rationalité et de l’éthique régnant dans les supermarchés - autrement dit la crainte et la soumission. Comme de règle, c’est évidemment au nom de prétendus « dysfonctionnements », dont personne ne s’est jamais risqué à indiquer en quoi ils consistaient. Par contre les salariés des institutions spécialisées noteront sans doute avec intérêt que ce qui fait la difficulté croissante d’un travail sous payé peut de surcroît être constamment retourné contre eux dans un geste dont le cynisme et la tartufferie ne font que dévoiler la structure d’un politique moderne transformé en un nouveau « hache-viande »(2) bénévole et doucereux.

Il est notable que cette mise au pas s’inscrit en particulier dans une démarche de mise en conformité avec la rhétorique explicitement marchande de la très remarquable « loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico sociale ».

Pour témoigner notre soutien à ce praticien, mais aussi pour débattre des effets de la loi 2002-2 et débusquer « l’œuvre » impitoyable de marchandisation et de technologisation du secteur médico social qui accompagne l’inévitable (?) mondialisation libérale :

La section syndicale CFE-CGC
de l’Institut Les Fontaines Vernon
L’association « Antigone à Grambois »
L’association Apolis ont organisé
une réunion débat le 18 mars à Vernon.

1 Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique ou ITEP depuis janvier 2005 – ex Institut de Rééducation.

2 On trouve ce terme dans L’archipel du Goulag d’Alexandre Soljénitsyne.


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