Lettre au Directeur de la CPAM des Deux-Sèvres

Olivier Schmitt
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20 janvier 2007

Monsieur Bruno BATY
Directeur de la CPAM des Deux Sèvres
79041 NIORT

Cher Monsieur,

Je viens de recevoir la Lettre de l’Assurance-maladie « Partenaires Santé N° 39 » sur laquelle j’ai pu lire dans « Flash info » l’avis de décès de la confidentialité sur le parcours de soin sous le titre « L’historique des remboursements en ligne ».
En ce mois de février 2007 les médecins auront désormais accès à la liste de toutes les dépenses de l’Assurance-maladie concernant chaque patient. C’est ce qu’on a appelé le « Web médecin ». Considéré comme une version légère facile à mettre en place du DMP (Dossier Médical Personnel), il s’impose dès lors, sans tenir aucun compte des préventions qui ont été soulevées à propos de ce dernier. La décision politique de mettre en place le DMP a provoqué un débat hautement nécessaire, en particulier au sujet du masquage de certaines informations.
Cette volonté politique relève déjà de trois démagogies.
L’une concerne les médecins dans l’illusion d’avoir accès à toutes les informations des patients qu’ils reçoivent avec le risque - et peut-être le sourd espoir - de faire ainsi l’économie de l’écoute et de l’interrogatoire comme si l’histoire du sujet devant eux s’objectivait dans les traces des prescriptions antérieures.
La seconde concerne l’Assurance-maladie qui, croyant faire ainsi des économies en se préservant de quelques abus, se donne bonne conscience en se plaçant comme la défenseure de la santé publique.
Enfin, la démagogie auprès des consommateurs les confortant dans la tendance naturelle à la passivité et l’infantilisation — qu’habitent le plus souvent les sujets malades — et l’illusion de croire en la toute puissance de celui qui saurait tout de lui.
Or, ces trois démagogies, en dehors même du fait qu'elles sont fondées sur des illusions, ne sont pas sans soulever quelques conflits d’intérêt.
Dans son désir, légitime mais très ambivalent, de tout savoir sur lui et sur ce qu'on lui fait, le patient veut cependant pouvoir ne divulguer qu'au cas par cas ces informations : transparence pour lui et opacité régulée pour autrui, ce qui peut paraître incohérent, mais reste parfaitement justifié. Par exemple, en effet, de nombreux patients craignent, souvent à tort, mais pas toujours, que leur médecin de famille, une fois au courant du fait qu’ils sont suivis par un psychiatre, n’attribue trop facilement leurs plaintes à un problème psychiatrique et de ce fait seraient somatiquement moins pris au sérieux. Ils craignent aussi que le discours de ce généraliste aux autres membres de la famille ne soit influencé par cette information. Le rapport de confiance en est inévitablement altéré.
Or, pour le médecin, une information tronquée, sans savoir si elle l'est, reste peu utilisable car il peut être dangereux de s’y fier. Mais le fantasme de l’exhaustivité des informations est tout aussi redoutable puisque c’est oublier que de toute façon ces informations seront inévitablement incomplètes. Par exemple, c’est l’illusion de croire que ce qui est prescrit est effectivement pris par le patient et c’est nier toute la part d’automédication.
Pour l’Assurance-maladie, c’est ne voir que les économies supposées générées d’un côté sans se soucier des effets pervers d’une telle divulgation. En effet, ne pas se faire rembourser devient ipso facto la seule voie de la confidentialité, ce qui va à l’encontre des valeurs fondamentales de la Sécurité Sociale au regard de l’égalité d’accès aux soins de la population.
Toutes ces illusions reposent sur un fantasme, celui de la supposée merveilleuse exhaustivité des données et de la transparence généralisée. C’est oublier qu’une information n'est utilisable que si elle est connotée et ciblée, indexée à son origine et son contexte ; ce n’est que dans le colloque singulier du médecin avec son malade, fondé sur une confiance réciproque, que ces conditions peuvent se trouver. Pas dans un mouchard !
Le principe de précaution minimum serait de faire en sorte que le patient puisse avoir le droit au masquage sur le Web-médecin tel que c’est envisagé pour le DMP.
Quoi qu’il en soit, même si les préventions citées plus haut se suffisent à elles-mêmes, l’utilisation du « Web médecin » envisagées par l’Assurance-maladie vient en contradiction avec le chapitre X de Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés version consolidée au 24 janvier 2006.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir utiliser tout ce qui est en votre pouvoir pour faire connaître ce point de vue aux instances décisionnelles.
Veuillez recevoir, Monsieur le Directeur, mon bon souvenir et mes salutations les meilleures.

Olivier Schmitt
Vice-président du SNPP


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