La psychiatrie libérale et les Etats Généraux

Olivier Schmitt
Retour au sommaire - BIPP n° 47 - Février 2007

N’est-il pas surprenant que ce soient des psychiatres libéraux, eux, les nantis, eux qui sont les seuls maîtres dans leur cabinets — c’est ce que l’on croit souvent — qui aient été à l’initiative des États Généraux et se soient autant impliqués dans leur mise en œuvre ?

À part nos patients, et parfois nous-mêmes, les gens ne savent pas ce qui se passe dans le secret de nos cabinets. Et ce que l'on ne connaît pas, on a tendance à l'occulter, à en dénier l'existence ou fantasmer dessus. Or, nous recevons en privé des malades en grande souffrance qui ne sont pas les mêmes ou en tout cas pas aux mêmes moments de leur histoire que ceux qui sont suivis par les services pluridisciplinaires (hôpitaux, CMP, cliniques. CMPP etc.). Ce sont bien souvent des malades qui par leur histoire, leur fragilité voire la gravité de leur pathologie, ne sont pas prêts, ou pas à même, de pouvoir supporter la prise en charge du soin par des intervenants multiples, ni de se confronter à la pathologie des autres.

Le problème est donc pour nous l’ignorance des dangers que font courir au travail en cabinet de ville les décisions intempestives sur l'opératoire spécifique de notre action thérapeutique, préventive et complémentaire des services hospitaliers.

Je veux parler de liberté de choix et d’accès au psychiatre qui doit pouvoir se faire à l’insu des autres intervenants. Sans cette liberté, nombre de nos patients ne viendraient pas nous voir, ou trop tard. Le nouveau parcours de soins est une entrave à cette liberté.

Je veux parler de l’unicité forfaitaire de son acte et de son paiement qui évite toute suspicion de tri des pathologies suivies et laisse la place à l’inventivité indispensable à notre efficacité en évitant ainsi l’apparition de protocoles figés dans une nomenclature éclatée. Nous nous battons par exemple pour que, dans la future classification commune des actes médicaux (CCAM clinique), un seul acte soit conservé en psychiatrie libérale. Ce n’est pas gagné étant donné la volonté de transparence de l’assurance-maladie et l’obsession protocolaire de la Haute Autorité de la Santé.

Je veux parler de la confidentialité non partagée indispensable à la liberté de parole des patients. La bataille sur le droit au masquage sur le Dossier Médical Personnel est une bonne illustration de la difficulté de faire entendre notre point de vue aux confrères généralistes et des spécialités Médecine-Chirurgie-Obstétrique. Là encore nous voyons l’importance de la spécificité indispensable de la psychiatrie.

La novlangue administrative et néolibérale nous inquiète dans tous les sens du terme. Mais le danger vient d’abord des confrères, psychiatres ou non, qui pour des raisons corporatistes à la petite semaine ou carrément idéologiques collaborent, voire reprennent à leur compte le discours économico-pseudo-rationnel dominant.

Donc, si les dangers qui pèsent sur la pratique libérale sont, à l'inverse de nos collègues du public, peu connus voire ignorés, la conclusion est la même : il nous faut prendre la plume et notre courage à deux mains pour faire savoir l'essence et les impératifs fonctionnels de notre pratique. L'AFPEP initie d'ailleurs une étude dans ce sens, espérons que nous arriverons à la mener au bout, sans la dévoyer.

Cela dit, nous avons bien des inquiétudes en commun avec les professionnels hospitaliers en ce qui concerne la psychiatrie en général. Les atteintes à la fonctionnalité de la psychiatrie publique nous touchent par ricochets — ne serait-ce que le manque de personnel et de lit —, et nous nous inquiétons tout autant des dérives théorico-pratiques de la discipline.

L’imposture scientifique des recherches actuellement financées directement ou indirectement par les laboratoires nous révolte. Leur force de médiatisation alimente leur impérialisme. Nous travaillons au sein de nos associations scientifiques à réhabiliter la recherche clinique et psychodynamique, tant au niveau national qu’international. Nous avons encore beaucoup à faire. Lors de notre rencontre avec les internes à France Culture en août dernier, nos jeunes confrères nous suppliaient, nous, les seniors, de ne pas baisser les bras, et prendre le temps de leur apprendre l’inventivité dans la pratique et la subversivité inhérente à notre métier.

Olivier Schmitt
Niort

* Présentation du Livre « La psychiatrie en péril » au colloque d’ISADORA à St Martin de Vignogoul devant une assemblée pluriprofessionnelle de 80 personnes.


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