Mesure et TOC

Pierre Coërchon
Retour au sommaire - BIPP n° 47 - Février 2007

Les psychiatres français ne sont pas revenus de la réception d’un nouveau livret de la Haute Autorité de Santé, petit fascicule de recommandations de onze pages modestement intitulé : « troubles obsessionnels compulsifs (TOC) résistants : prise en charge et place de la neurochirurgie fonctionnelle ».

Si les praticiens cliniciens du psychisme ont pu sourire à la première lecture rapide d’un tel document, celui-ci leur semblant tellement éloigné et réducteur quant au problème du traitement du symptôme obsessionnel auquel ils se trouvent quotidiennement confrontés, une deuxième lecture plus attentive a pu néanmoins les glacer. En effet, le titre laissait supposer un protocole de prise en charge sérieux, sous couvert d’autorité et de protection de la santé, des dits « TOC », permettant d’écarter tout risque de dérive dans une éventuelle indication neurochirurgicale pour ce type de trouble.

Il paraissait évident à n’importe quel médecin que les précautions les plus délicates se devaient d’être recommandées du fait des conséquences. Toute chirurgie du cerveau, si fine soit elle, peut conduire à la mort, ne serait-ce que la mort mentale avant celle du corps.

Bien au contraire, le document prend plutôt les allures d’une promotion visant à recruter des patients volontaires, avec consentement éclairé à l’appui, candidats à des techniques chirurgicales cérébrales plus qu’incertaines, parfaitement mal maîtrisées à différents titres.

Les indications posées sont particulièrement floues. Elles arrivent après ce qui est qualifié d’échec psychothérapique, mais dans un cadre mal défini, ne serait-ce que par la brièveté du temps qu’il s’accorde avant la chute du couperet, ou par les critères réductionnistes, simplistes, irréalistes par rapport aux possibilités d’une pratique clinique, et après une tentative thérapeutique partiale excluant tout abord autre que les thérapies rééducatives comportementales et/ou médicamenteuses.

La conduite chirurgicale manque considérablement de rigueur quant aux techniques indiquées (où devrait-on couper dans le cerveau ?), et quant à l’information à délivrer aux patients sur ses effets secondaires. Force est de constater qu’un tel protocole n’accorde que peu de valeur à l’existence subjective et, de fait, à l’éthique. Pire, l’arbitraire va plus loin et sous le prétexte de la logique implacable de l’irréversibilité des séquelles des coupures du scalpel dans cet organe cérébral, si crucial au plan fonctionnel, il propose carrément l’implantation d’électrodes, dans différentes zones possibles du cerveau, afin de contrôler par stimulations électriques la résistance symptomatique de ces irrévérencieux malades.

Notre devoir de médecins praticiens nous oblige donc ici à prendre la parole, à des fins de santé publique et de prophylaxie des catastrophes. Nous devons prévenir des risques potentiels les candidats patients éventuels, qui se trouvent naturellement attirés par ce genre de proposition, du fait du désespoir face à leurs symptômes obsédants, ceux-ci alimentant leur demande d’une guérison spectaculaire et les rendant fragiles à la crédulité et l’adhésion sans critique.

Attention ! Il s’agit, dans cette offre d’un traitement neurochirurgical des troubles obsessionnels compulsifs, de promesses certes séduisantes, à fort pouvoir suggestif dans notre culture technologisante de l’adaptation et de l’efficacité, mais non cautionnables médicalement dans l’état actuel de nos connaissances. Car les études citées en référence par les co-auteurs de ce texte prescriptif s’appuient sur des résultats extrêmement parcellaires et sur des cohortes de petits nombres de patients.

En revanche, ces expériences cherchent à étendre massivement leur audience en élargissant leur public.

Un NON franc et massif du pouvoir médical doit ici s’opposer et ainsi baliser le danger pour les patients face à un tel usage des signifiants de l’autorité et de la santé. Non à la répétition et la régression vers les pratiques de la lobotomie réduisant les êtres parlants, dans leur complexité parfois invalidante, à des bouts de corps à faire disparaître, ou à des connexions neuronales intempestives à contrôler, dans leur dimension pulsatile, par pacemaker cérébral.

Bien que le titre de la brochure des recommandations annonce LES troubles obsessionnels compulsifs, le texte en son contenu fait disparaître la pluralité et la singularité de ces manifestations cliniques symptomatiques au profit d’un abord du trouble en terme d’unicité : dorénavant, ce sera LE TOC.

Regroupés en une classe identifiée comme gênante, ces patients en difficulté avec leur subjectivité sont repérés à présent sous le trait commun du terme TOC dont l’élimination s’indique, avec toute l’agressivité et la radicalité d’un acte chirurgical engageant le risque de leur propre éradication réelle en même temps que celle de leur trouble.

Le tout est rédigé avec un ton bonhomme, dédramatisé, sans scrupule et débarrassé d’éthique. Pourtant, les auteurs évoquent l’existence d’une typologie du TOC. Cependant et malgré l’alibi scientifique, ils ne se donnent pas la peine de la développer afin de nuancer ou distinguer leurs indications neurochirurgicales.

Ce faisant, la question essentielle et fondamentale de la fonction du symptôme obsessionnel passe à la trappe, bien que préalable indispensable à son traitement. Ce trouble s’exprime-t-il comme moyen de défense dans une tentative de renouage de la dissociation de la pensée chez un psychotique ? Permet-il à un pervers de contenir ses passages à l’acte ? S’intègre-t-il à la difficulté de l’engagement en un choix impliquant une perte à assumer dans le cadre d’une névrose obsessionnelle ? Seul compte ici son caractère de résistance d’ailleurs mal défini. Qu’est-ce qu’une résistance ? Pourquoi résiste-t-il ? À quoi résiste-t-il ?

On ne s’embarrasse visiblement pas de ce genre d’intellectualisation inefficace dans ce livret de recommandations de la HAS ! On se propose de trancher dans le vif de la chair pour se débarrasser de cet objet TOC encombrant qui se trouve là indûment incarcéré dans le corps même. En différentes localisations possibles, cet objet TOC devient, dans ce type de construction de réalité, de plus en plus repérable, localisable, photographiable, traçable par les techniques modernes d’imagerie fonctionnelle. C’est à proprement parler fantastique !

Mais nous ne sommes plus dans la fiction. La mémoire historique encore assez proche des résultats de telles expériences ayant conduit à la boucherie humaine ne semble plus ici d’actualité.

La logique à l’œuvre s’organise ici en un « c’est ça ». La vérité y apparaît comme enfin toute dite sans ambiguïté et permettant de saisir la chose. Aucune ouverture de question n’apparaît pertinente dans ce fascicule. Le débat (en fait, quelques réunions entre quelques « experts » pour élaborer des recommandations pas moins que collectives et nationales à propos d’un trouble d’ordre psychiatrique et où les psychiatres se retrouvent minoritaires face à une majorité de neurologues ou de neurochirurgiens) est clos pour traiter, pourtant, d’une indication chirurgicale aussi lourde. Nous sommes dans une configuration de pensée fermée, sphérique, sans échange possible, et où un seul sens est acceptable. Il paraît inutile, dès lors, d’organiser un ou plusieurs congrès scientifiques sur ce thème.

L’affaire se règle de façon univoque, sans aucun débat ni confrontation des expériences et des lectures.

Il s’agit d’une certitude qui, quand nous la repérons en clinique comme organisatrice des propos d’un patient, n’est pas sans orienter notre diagnostic vers la psychose. À cette certitude, l’obsessionnel s’oppose effectivement. Pourtant adepte volontaire de la contrainte, il résiste aux impératifs ou ordres qui lui viennent à l’esprit de devoir faire ceci ou cela. Sa logique conditionnelle (s’il fait ceci ou cela, alors il risque de se produire quelques conséquences fâcheuses) est d’une rigueur implacable et se trouve fort heureusement incluse dans le processus normal même de la pensée. Il se trouve donc fondamentalement soumis et désarmé, face aux impératifs prescripteurs du côté de ses comportements et de ses cognitions, sa seule résistance critique et sa survie subjective résidant autour de sa procrastination, sa tergiversation, voire ses débordements à l’exécution de l’acte.

Le plus souvent, l’obsessionnel résiste à l’acte définitif et se dérobe à la possibilité d’un après-coup susceptible de l’orienter. Ainsi, il doute incessamment, ce qui l’oblige à une éternelle vérification et remise en question, avec la plus grande difficulté à trancher entre deux propositions contradictoires. Il est même fréquent qu’il vienne demander à quelqu’un de confiance ou faisant autorité de trancher à sa place. La réponse de la HAS est ici radicale. Elle tranche pour lui.

Par le biais d’une ordonnance de maîtrise rééducativo-comportementale indiscutable, elle ne manquera pas de relancer chez lui le circuit de l’impératif dans un mouvement d’amplification de ses résistances en cercle vicieux, en aboutissant à sa désorientation. Il deviendra alors, et de mal en pis, un bon résistant candidat à la neurochirurgie, la HAS se proposant ici de trancher dans le vif de son cerveau balayant sa dernière défense subjective armée du doute.

Les recommandations de la HAS, dans son interprétation des processus obsédants, s’organisent en une logique qui rejette dans le réel du corps, une difficulté qui, elle, se trouve dans le registre de la pensée.

Forts d’un tel constat, la sagesse ne réside-t-elle pas dans le fait d’arrêter ici cette expérience humaine suffisamment probante et, accessoirement, probablement coûteuse à différents points de vue ?

Pierre Coërchon
Clermont-Ferrand

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