Lettre au Président du Conseil National de l'Ordre

Jean-Jacques Laboutière
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Paris, le 8 janvier 2007

Professeur Jacques ROLAND
Président du Conseil National
de l’Ordre des Médecins
180, boulevard Haussmann
75389 Paris Cedex 08

Monsieur le Président et Cher Confrère,


Dans le cadre d’un débat d’opinion à propos du traitement des Troubles Obsessionnels Compulsifs (T.O.C.), un article intitulé « Les psychanalystes auraient-ils peur de la confrontation scientifique ? » est paru dans le journal « Le Monde » daté du 19 décembre 2006 sous la signature du Docteur Yves Ferroul.

Dans cet article, dont le principal objet est de promouvoir certains traitements, notre collègue incite explicitement les patients à intenter des procès aux médecins qui se réfèrent à la psychanalyse.

Il nous semble du devoir d’un syndicat médical d’interpeller l’Ordre des Médecins face à l’attitude de notre confrère. En effet, la psychanalyse est pour la plupart d’entre nous un apport théorique indispensable à la compréhension tant des mécanismes psychopathologiques que de la relation thérapeutique au cœur de notre travail de psychiatre.

Les symptômes que la classification internationale des maladies mentales a réduits au terme unique de T.O.C répondent en fait à plusieurs dynamiques psychopathologiques. Cette diversité des mécanismes sous-jacents justifie le recours à des abords thérapeutiques multiples et complémentaires car tout médecin sait qu’il s’agit d’une symptomatologie extrêmement douloureuse pour les patients, souvent invalidante, et parfois désespérante par sa résistance aux différents traitements qui peuvent être proposés.

À l’heure actuelle, aucun traitement de routine ne peut prétendre assurer la guérison de ce type de troubles à lui seul et il y a donc largement place pour de nouveaux apports thérapeutiques issus de tous les horizons de la recherche.

Le docteur Ferroul se fait l’avocat de traitements encore expérimentaux fondés sur la stimulation électrique de certaines zones du cerveau. Si les études réalisées dans ce domaine ouvrent quelques espoirs pour les formes réfractaires à tout autre traitement, ces perspectives encore incertaines ne peuvent cependant justifier de jeter aussi violemment l’anathème sur une large part de notre corps professionnel au seul motif qu’il demeurerait trop réservé face à ces nouvelles techniques qui, en tout état de cause, n’ont pas encore fait la preuve définitive de leur efficacité (quelques dizaines d’observations publiées jusqu’alors) et ne peuvent de toute manière pas encore être proposées en routine aux patients puisqu’elles ne sont accessibles que dans le cadre de protocoles de recherches menés par de très rares équipes.

Notre corps professionnel doit-il supporter que la prudence qu’il exprime face à des traitements à l’efficacité encore incertaine et dont les effets secondaires n’ont pas encore été pleinement mesurés soit stigmatisée comme de l’incompétence ?

Quel que soit le niveau d’incompétence que le docteur Ferroul prête à ses confrères, est-il digne d’un médecin d’exhorter la population à assigner une grande partie du corps professionnel devant les tribunaux plutôt que chercher à le convaincre de la validité de ses propres positions ?

Enfin, et surtout, les convictions du docteur Ferroul, pour respectables qu’elles soient, peuvent-elles l’autoriser à plonger des dizaines de milliers de patients (la prévalence des TOC est estimée à 2 % de la population générale) dans le plus grand désarroi en discréditant ainsi la psychanalyse dans un journal à forte audience ?

En conclusion, le docteur Ferroul ne devrait-il pas, au moins, être rappelé aux obligations déontologiques communes à tout médecin ?

Vous remerciant par avance de vos réponses à ces questions, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président et Cher Confrère, l’expression de nos sentiments confraternels les meilleurs.

Dr Jean-Jacques Laboutière
Président de l’A.F.P.E.P. – S.N.P.P.


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