Les guerres de religion

Pierre Cristofari
Retour au sommaire - BIPP n° 47 - Février 2007

« Le Monde » nous a offert récemment un échange musclé entre deux confrères, dont on oubliera, par charité, les noms.

Le premier confrère, psychiatre proclamé psychanalyste, de la prestigieuse tribune du grand quotidien, lança une charge violente contre… Contre qui, au fait ? Contre les scientifiques, les techniciens, les biologistes, les universitaires… J’en passe, sûrement, alors disons, une charge contre les « neurosciences », le vocable suffisant en général pour faire sortir de leurs gongs certains et les précipiter de toute la force de leur pensée contre cette muleta.

L’article était remarquable à plus d’un titre. Par son style, talentueux, servi par une plume trempée dans le vitriol. Par sa mauvaise foi, digne d’un militant poujadiste, utilisant les poncifs les plus éculés : tout fout le camp, tout était tellement mieux avant… La psychanalyse, alpha et oméga de toute réflexion, sans qu’il soit utile de la définir, qu’il faudrait sans doute écrire avec une majuscule, seule garante de l’humanisme, de la culture, du respect du patient. Les autres ne font rien qu’à ouvrir le crâne de leurs patients vivants pour leur enlever des bouts de cervelle. O tempora, o mores !

Tout ce qui est exagéré est ridicule, et cet article l’était, assurément. Malgré le talent littéraire de son auteur, il ne faisait guère progresser la cause de la psychanalyse.

Cet article n’eut sans doute pas valu qu’on s’y arrête, s’il n’avait suscité l’ire d’un autre confrère. Ce confrère, non psychiatre, mais docteur en médecine et psychologue, maître de conférences dans une faculté de psychologie, n’aime guère la psychanalyse. Sa réponse, moins brillante mais en apparence posée se concluait par un manquement grave aux règles déontologiques élémentaires : il encourageait les patients à porter plainte contre les médecins se référant à la psychanalyse. Chance pour le premier protagoniste : non seulement la faute déontologique invalidait l’auteur et sa réponse, mais elle donnait en plus une publicité à un article à l’intérêt modeste.

Mais cette polémique masque le fond, qui est la médiocrité des arguments. Dogmatisme d’un côté, où la psychanalyse, indéfinie (s’agit-il de philosophie, de théorie, de politique, de thérapeutique, de technique ?) éclaire tout et existe par elle-même, et où la confusion entre psychanalyse et psychanalystes est totale. Dogmatisme de l’autre côté, où le rationalisme est pris pour de la raison, où l’argument suprême du manque de validité de la psychanalyse s’appuie sur des assertions sans fondement, où la décision d’un tribunal américain disant nocive la psychanalyse est mise au rang de preuve…

Entre tenants de la vraie foi, il n’y a pas de place pour la réflexion. Quand les seuls arguments audibles sont des arguments d’autorité, sont réunis les éléments d’une guerre de religion. Ce type de confrontation, que les protagonistes eux-mêmes voudraient faire prendre pour un débat, arrange les deux partis : publicité assurée, mobilisation des fidèles, conservation des parts de marché.

On finirait par leur donner raison sur un point : triste époque !

Pierre Cristofari
Hyères

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