Au loup ! Au loup!

Laurent Le Vaguerèse
Retour au sommaire - BIPP n° 47 - Février 2007

La question de la formation permanente est une histoire plutôt ancienne. Il y a plusieurs années, lorsque l’on commençait à évoquer sérieusement cette question, certains dans le syndicat où je me trouvais à l’époque avaient même souhaité m’en confier la charge. Las, l’affaire avait fait long feu et il ne semblait pas qu’il faille se presser autrement que d’un pas de sénateur après que d’aucuns aient violemment appelés à sonner le tocsin. L’affaire prend aujourd’hui un autre tour et si autrefois j’étais de ceux qui freinaient des quatre fers, j’en suis aujourd’hui à sonner l’alarme. Comme on s’est beaucoup affairé par le passé, que les choses ont beaucoup traîné, une douce torpeur semble nous avoir envahie. Certes, la chose prendra du temps mais elle semble maintenant sur les rails et il est indispensable de ne plus tarder à l’envisager dans toutes ses dimensions.

Rien de nouveau pour ce qui touche à l’enjeu avoué : la maîtrise des dépenses de santé, avec son corollaire pour les pouvoirs publics une surveillance de plus en plus étroite de ceux qui en sont l’un des acteurs majeurs, les médecins. Cette nouvelle gouvernance passe par l’envoi de messages forts en termes économiques mais aussi de la tenue d’un discours idéologique visant à orienter la pratique et dans lequel la formation permanente est l’un des éléments clé du dispositif.

Pour en prendre la mesure, j’ai participé récemment à une formation réalisée sur le thème : «mieux prescrire les psychotropes». Celle-ci assurée par un organisme de formation permanente privé tout à fait respectable entrait dans le cadre des formations subventionnées par la Sécurité sociale à un niveau de compensation financière tout à fait incitatif, de l’ordre de 600 euros pour un week-end. Quand on pense à tous les colloques où nous nous rendons sans aucune compensation mais en devant débourser de notre poche la totalité des frais on mesure aisément la différence.

Participaient à ce week-end une majorité de médecins généralistes – une dizaine - et quatre ou cinq psychiatres. Les informations qui avaient été récemment diffusées concernant la mise en place effective du processus de validation de la formation des médecins n’étaient sans doute pas sans avoir facilité la venue d’une part non négligeable de nos collègues.

Les formateurs, dont la qualité n’est absolument pas en cause, se composaient essentiellement d’un psychiatre de St Anne et d’une pharmacologue niçoise. La première surprise vint du fait qu’au moment le plus inattendu, le psychiatre en vint à formuler comme autre prescriptions possibles dans les « dépressions » les thérapies comportementales. Je demandais aussitôt ce que venait faire cette information dans un stage supposé traiter de la question de la prescription des psychotropes, ce à quoi le psychiatre, un peu gêné et disant au passage son désaccord, nous dit qu’il devait en faire mention car cela faisait partie du cahier des charges.

Autre problème et non des moindres. En posant la question sous la forme de l’administration du médicament, de ses effets secondaires, des précautions à prendre etc., il était tout à fait clair que le cadre diagnostic ne pouvait que se trouver placé en parent pauvre. Ainsi le cadre des dépressions pour ne prendre que cet exemple se trouvait de fait confondu avec celui des mélancolies. On ne faisait évidemment pas référence à autre chose qu’au DSM IV et le problème des cadres nosologiques n’était pas à l’ordre du jour. Aussi les situations cliniques posées dans le cadre des sous-groupes contraignaient-elles à un mode de réflexion qui laissait peu de place à autre chose qu’à une prescription là ou beaucoup de participants adoptaient d’emblée – du moins dans le groupe ou je me trouvais - une position beaucoup plus nuancée.

On voit bien dans ces conditions à quoi va tendre la formation des généralistes s’opérant dans ce cadre. Certes, un certain progrès sera fait si l’on compare à la situation actuelle qui fait une part écrasante à la publicité des laboratoires, mais l’orientation dont cette expérience fait état nous invite à ne pas laisser le terrain libre à tous ceux qui se soumettront sans sourciller à une approche dont la dimension idéologique n’est guère masquée.

Pour ma part, il me semble urgent de mettre en place au sein de nos structures des dispositifs destinés à la formation des médecins généralistes et de nos collègues psychiatres qui prennent la mesure de l’enjeu qui nous est aujourd’hui proposé. Il va de soi qu’on ne s’improvise pas organisme de formation ni formateur, qu’il y faut non seulement une rigueur de pensée mais une excellence dans l’organisation, la mise en place et la réalisation de la formation. Toutes choses que l’AFPEP est certainement à même d’assurer à condition de pas perdre de temps. Sinon le loup ne tardera pas à venir nous manger lorsque trop tardivement nous appellerons à l’aide.

Laurent Le Vaguerèse
Paris


Retour au sommaire - BIPP n° 47 - Février 2007